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MERVEILLE, subst. fém.
I.
A. − Événement ou chose qui cause un vif étonnement par son caractère étrange et extraordinaire. Les reîtres avaient laissé dans le pays de si terribles souvenirs, et la légende y avait ajouté tant d'effroyables merveilles, qu'il fallait être deux fois brave pour les affronter (Sand, Beaux MM. Bois-Doré, t.2, 1857, p.175).Sitôt après le dîner, l'esprit affamé de merveilles et prêts à toutes les stupéfactions, Ghéon et moi étions sortis dans la nuit (Gide, Journal, 1914, p.410).
En partic. Événement ou chose qui paraît dépasser les forces de la nature. Synon. miracle, prodige.Telles furent les merveilles qu'accomplit la vierge d'Alca à l'aurore de sa glorieuse éternité (A. France, Île ping., 1908, 135).L'Église a-t-elle banni des représentations évangéliques les détails apocryphes que les siècles y avaient introduits? A-t-elle proscrit les merveilles de la Légende Dorée? (Mâle, Art relig., 1932, p.7):
1. ... une pauvre femme, venant ramasser du bois tout auprès avec son petit garçon aveugle, se souvint des merveilles qu'on racontait de Marie, et l'idée lui vint de mener son enfant sur la tombe et de demander sa guérison. E. de Guérin, Journal, 1837, p.137.
[P. allus. à l'ouvrage de Lewis Carroll] Le pays des merveilles. Le monde des contes de fées. Les petites filles et les petits garçons d'Angleterre sont les plus heureux qu'il y ait au monde, semble-t-il, parce qu'ils vivent avec Alice au pays des merveilles et Peter Pan (Barrès, Cahiers, t.13, 1921, p.181).
Interj. ou loc. interjective. [Exprime l'étonnement, l'admiration] Le bébé fut couché en grande pompe. Il s'endormit tout de suite, ô merveille! (Duhamel, Confess. min., 1920, p.67).Haut les mains, le vioc obtempère, mais alors, ô merveille, une superbe et idéale innocente et blonde jeune fille apparaît (Queneau, Loin Rueil, 1944, p.40):
2. La muette parle! Comme c'est intéressant une muette qui se met à parler. Et − merveille! − ce n'est pas pour me dire de me taire, c'est seulement pour me dire de parler moins fort. Anouilh, Répét., 1950, II, p.39.
Expressions
Vieilli. C'est merveille de + inf., c'est merveille que + subj.C'est une chose admirable, étonnante, extraordinaire. C'était merveille de l'entendre. Ce seroit merveille que vous me reconnussiez, répliqua le hibou, car je ne vous ai obligé qu'à votre insu (Nodier, Trésor Fèves, 1833, p.37).C'est merveille de voir votre air jeune et sain! Ce n'est pas chose fréquente, à Vienne! (Rolland, Beethoven, t.1, 1937, p.220):
3. C'était merveille de la voir quand elle avait du champagne dans la tête, accompagné de cinq ou six petits verres de quoi que ce fût. Elle enlevait la compagnie et produisait toujours un effet miraculeux. Reybaud, J. Paturot, 1842, p.131.
C'est merveille de vous voir. ,,Se dit pour faire un reproche d'amitié à quelqu'un qu'on avait coutume de voir et qu'on ne voit plus que rarement`` (Ac.).
Ce n'est pas merveille si. Ce n'est pas étonnant si. J'absous de tout mon coeur les Princes qui croient que tout se fait par intérêt. On leur fait faire à cet égard des expériences si tristes et si multipliées que ce n'est pas merveille s'ils généralisent la règle (J. de Maistre, Corresp., 1812, p.92).
B. − P. méton. Étonnement, émerveillement. Une exclamation de surprise et de merveille (Lamart., Voy. Orient, t.2, 1835, p.166).Son oeuvre [de Mallarmé] me fut dès le premier regard, et pour toujours, un sujet de merveille (Valéry, Variété II, 1929, p.196):
4. J'ai pour joie et pour merveille De voir, dans ton pré d'Honfleur, Trembler au poids d'une abeille Un brin de lavande en fleur. Hugo, Chans. rues et bois, 1865, p.277.
II.
A. − Chose qui suscite l'étonnement et l'admiration en raison de sa beauté, de sa grandeur, de sa perfection, de ses qualités exceptionnelles. C'est une merveille; une pure, une rare merveille; les merveilles de la nature. Bonjour, Monsieur de Valcé. Vraiment votre château est une merveille (Leclercq, Prov. dram., Révol., 1835, 6, p.177).Quelle jolie fleur, je n'en avais jamais vu de pareille, il n'y a que vous, Oriane, pour avoir de telles merveilles! (Proust, Guermantes 2, 1921, p.515):
5. ... on s'est plu à considérer l'homme comme le centre et le but de toutes les merveilles dont il est seulement le témoin intelligent, et dont il n'a encore, le plus souvent, qu'une notion fort imparfaite. Cournot, Fond. connaiss., 1851, p.97.
Loc. (Attendre, dire, raconter) monts et merveilles. (Attendre, dire, raconter) des choses étonnantes, extraordinaires, remarquables. On attend monts et merveilles du marquis de Martel, qui s'est vanté de forcer les Algériens à la paix (Jouy, Hermite, t.2, 1812, p.6):
6. Les meilleures, entendant leur mari dire monts et merveilles de l'esprit de la duchesse, estimaient que celle-ci était si supérieure au reste des femmes qu'elle s'ennuyait dans leur société, car elles ne savent parler de rien. Proust, Guermantes 1, 1920, p.207.
Promettre monts et merveilles. Faire des promesses exagérées et trompeuses. Rose était au comble de l'émoi parce qu'elle venait d'être séduite par un monsieur assez laid, entre deux âges mais sénateur, et qui lui promettait monts et merveilles (Drieu La Roch., Rêv. bourg., 1937, p.41).
En partic. Les sept merveilles (du monde). Les sept oeuvres d'art qui chez les Anciens passaient pour être supérieures aux autres en beauté, en grandeur, en magnificence. Les sept merveilles du monde: les murailles et les jardins de Babylone (...); les pyramides d'Égypte; le phare d'Alexandrie; le tombeau qu'Artémise fit élever pour Mausole, son mari; le temple de Diane à Éphèse; celui de Jupiter Olympien à Pise, en Élide; et le colosse de Rhodes (Ac.):
7. Rhode est fière, Chéops est grande, Éphèse est rare. Le Mausolée est beau, le Dieu tonne, le phare Sauve les mâts penchés, Babylone suspend dans l'air les fleurs vermeilles, Et c'est pour moi que l'homme a créé sept merveilles, Et Satan sept péchés. Hugo, Légende, t.4, 1877, p.567.
C'est une des sept merveilles du monde; c'est la huitième merveille du monde. C'est une chose étonnante en son genre, qui suscite une vive admiration. Ces écuries où des empereurs ont soupé, et qui seraient une des sept merveilles si elles avaient été bâties à Athènes au lieu de s'élever en Picardie (Gozlan, Notaire, 1836, p.4).Le berceau de l'enfantelet que le peuple de Naples avait offert au fils de son prince bien-aimé, (...) et dont toute la société parlait comme de la septième merveille du monde depuis un an (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p.121).
B. − P. hyperb.
1.
a) Chose excellente, remarquable en son genre. Ce vin, cette liqueur est une merveille. Je l'adore, la bouillabaisse. D'ailleurs, vous la faites si bonne! Une merveille! (Zola, Œuvre, 1886, p.209).J'ai mangé chez lui des jambons moulés (...) qui étaient de pures merveilles (Jammes, Mém., 1922, p.175):
8. ... il avait la manie des expériences et des constructions, et, tout seul, avait construit, entre autres merveilles, une machine électrique dont il avait taillé jusqu'au plateau de verre. Guéhenno, Journal homme 40 ans, 1934, p.105.
Une merveille de.Une merveille de beauté, de goût, d'habileté, d'ingéniosité. Les règles des maisons religieuses, ces merveilles d'entente psychologique (Bourget, Nouv. Essais psychol., 1885, p.165).Tes lettres sont des merveilles de lucidité, d'intelligence (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1905, p.141).Elle avait pris trop d'amants et elle buvait immodérément; ça n'était pas une merveille d'équilibre (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.168).
b) Personne remarquable sous quelque rapport, qui suscite une vive admiration. Cette enfant est vraiment une merveille (Ac.). La cadette, une merveille. Une blonde, ou plutôt une blondine avec une tête venue du ciel (Maupass., Contes et nouv., t.1, Découv., 1884, p.958).Georges (...): Léo a raison. Michel: Léo est une merveille. Georges: Léo est une merveille. C'est vrai (Cocteau, Parents, 1938, iii, 6, p.290).
En apostrophe. Soyez la bienvenue en ce beau jour, la belle fille, dit Mllede Porhoët, et embrassez-moi (...). Que pourrais-je vous offrir, ma merveille? (Feuillet, Rom. j. homme pauvre, 1858, p.162).Il dit: − On rentre ? − Tout de suite, ma petite merveille (Sartre, Âge de raison, 1945, p.38).
2. Loc. verb.
a) Faire merveille, faire des merveilles. [Le suj. désigne une pers.] Faire quelque chose d'étonnant, d'exceptionnel, méritant l'admiration. Le cocher fit des merveilles, rossa son cheval à tour de bras et arriva à Passy en moins d'une heure (Ponson du Terr., Rocambole, t.5, 1859, p.363).Le parc devient un lieu ravissant. Mary-Ann y a fait des merveilles (Maurois, Disraëli, 1927, p.220):
9. ... un plan savamment élaboré de concert avec les Soviets, pour maintenir d'importantes forces allemandes loin du front russe, où l'armée rouge fait merveille... Gide, Journal, 1943, p.189.
b) Faire merveille. [Le suj. désigne un inanimé] Produire un bel effet, des résultats remarquables, exceptionnels. Il se livrait à des prédications monarchiques et religieuses qui faisaient merveille (Balzac, Splend. et mis., 1844, p.108).Une superbe nourrice, dont le bonnet cauchois fait merveille aux promenades du bois de Boulogne (A. Daudet, Nabab, 1877, p.206):
10. ... kangourous et sangliers y abondaient, et les épieux ferrés, l'arc et les flèches des chasseurs faisaient merveille. Verne, Île myst., 1874, p.176.
c) Dire (ou un verbe du même paradigme) merveille(s) de qqn ou qqc. Faire l'éloge de, dire beaucoup de bien de. Mary Pickford, dont M. chantait merveille (Gide, Journal, 1920, p.681).Elle venait, l'oublierai-je jamais? de Badefol d'Anse, dont elle nous contait merveilles (Green, Journal, 1931, p.71):
11. ... le maître d'hôtel crut devoir lui recommander une certaine gibelotte de «lapin du pays», dont il lui dit merveille. Verne, Tour monde, 1873, p.43.
C. − PÂTISS., le plus souvent au plur. Petite pâtisserie faite ,,d'une abaisse de pâte (farine, beurre, sucre, oeufs, sel), découpée selon des dessins divers, frite, puis saupoudrée de sucre`` (Ac. Gastr. 1962).
III. − Loc. À merveille
A. − Loc. adv. Très bien, excellemment; admirablement, parfaitement bien. Chanter, danser à merveille. Ce costume vous va à merveille (Ac.). Guitry, dans une longue robe de chambre à fleurs, ressemble au Bourgeois gentilhomme. D'ailleurs, il nous en lit à merveille (Renard, Journal, 1901, p.640).Si tu tiens à être rassuré sur le compte de Joseph, sache que ses affaires vont à merveille (Duhamel, Maîtres, 1937, 216):
12. Je me suis surpris hier en train de me demander le plus sérieusement du monde si vraiment j'étais encore vivant. Le monde extérieur était là et je le percevais à merveille; mais était-ce bien moi qui le percevais? Gide, Ainsi soit-il, 1951, p.1177.
Être (vieilli), se porter à merveille. Être en excellente santé, en très bonne forme. La mère (...) faisait écrire tous les mois afin d'avoir des nouvelles de son enfant. Les Thénardier répondaient invariablement: Cosette est à merveille (Hugo, Misér., t.1, 1862, p.196).Je t'aurais bien écrit hier au soir, mais le bain m'avait refroidi. Aujourd'hui, je me porte à merveille (Villiers de L'I.-A., Corresp., 1888, p.240).
Vieilli. Accueillir, recevoir, traiter qqn à merveille. Faire un excellent accueil à quelqu'un. Il avait une belle maison à la Chaussée-d'Antin, où il nous reçut à merveille (Duras, Édouard, 1825, p.117).Il [le général Gazan] va arriver pour commander à Mâcon. Fais-lui les honneurs, (...) introduisez-le, invitez-le, traitez-le à merveille (Lamart., Corresp., 1836, p.199).
B. − Loc. interjective. [Pour exprimer une vive approbation, parfois teintée d'ironie] Très bien! Parfait! Oh! il nous surveille! fit MrsEdith. À merveille! Il est probable que nous le gênons, lui et M. Darzac, en restant ici (G. Leroux, Parfum, 1908, p.142).Si vous n'admettez pas cette évidence, à merveille! (Bremond, Hist. sent. relig., t.4, 1920, p.542):
13. Vous dînerez à Paris, et vous souperez à Pékin, grâce à la rapidité des communications; à merveille; et puis? Chateaubr., Mém., t.4, 1848, p.587.
Prononc. et Orth.: [mε ʀvεj]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 «chose qui frappe d'étonnement» (Alexis, éd. Chr. Storey, 440); xiiies. en parlant des sept merveilles du monde (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 7531, var. du ms. G: Sept mervoilles a en cest mont; l'éditeur a retenu la leçon: cent mervoilles); 1557 les sept Merveilles (O. de Magny, Souspirs, éd. Courbet, p.47); 2. a) ca 1100 avoir grant merveille de «s'émerveiller grandement de» (Roland, éd. J. Bédier, 550); b) début xiies. adv. merveilles «d'une façon étonnante» (St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 380), ne subsiste que dans la loc. adv. à merveille att. dep. ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 9134); 3. ca 1165 «action extraordinaire (en bonne ou en mauvaise part)» (Id., ibid., 24251); 4. 1761 «sorte de gâteau» (Rousseau, Nouvelle Héloise, IV, X, éd. H. Coulet et B. Guyon, p.451). Du lat. pop. *mirabĭlia (ou *mrblia), altération par assimilation régressive du class. mīrābĭlia, plur. neutre de l'adj. mīrābilis «admirable, merveilleux» particulièrement usité dans la lang. de l'Église au sens de «miracles» ou «hauts faits» et employé comme subst. fém. singulier. Fréq. abs. littér.: 2836. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 5292, b) 3977; xxes.: a) 3138, b) 3526. Bbg. Duch. Beauté. 1960, p.105. _ Ferrier (J. M.). The Old pilgrim's catch-words: Notes on parlant moralment and quel merveille in Le Songe du Vieil Pelerin. In: [Mél. Reid (T.B.)]. Oxford, 1972, pp.99-116. _ Gir. Nouv. Rem. t.2 1834, pp.60-61. _ Kuen (H.). Z. rom. Philol. 1973, t.89, pp.652-653. _ Quem. DDL t.10.