| MENTIR, verbe intrans. A. − Affirmer, dire pour vrai ce qu'on sait être faux, nier quelque chose de vrai. Synon. tromper, raconter des histoires* (fam.), monter un bateau (fam.; v. bateau2).Il prétendit qu'elle était blessée au pied, ce qui n'était pas vrai. Il mentait pour mentir, avec une mauvaise foi étalée, dans l'espoir de fâcher et d'étourdir la vendeuse (Zola,Terre,1887, p. 174).Elle comprit qu'il fallait parler et me conta son histoire, ou plutôt une histoire, car elle dut mentir d'un bout à l'autre, comme mentent tous les arabes, toujours, avec ou sans motifs (Maupass.,Contes et nouv.,t. 1, Allouma, 1889, p. 1313): 1. Germaine avait le génie du mensonge. Le mensonge lui servait de rêve et de revanche. Elle mentait à tout propos, pour se vanter, pour se disculper, pour rabaisser une autre femme; elle mentait surtout pour le plaisir de mentir. D'instinct, Gilbert haïssait le mensonge; entre son amie et lui, des scènes violentes éclatèrent. S'il la surprenait à mentir, si, après une discussion acharnée, il lui prouvait qu'elle avait menti, elle riait, le regardait d'un œil amusé...
Arland,Ordre,1929, p. 176. SYNT. Mentir efficacement, effrontément, gauchement, impudemment; mentir à plaisir, avec bonne foi, avec aplomb, par héroïsme; bien, mal mentir; mentir le mieux possible, le moins mal possible. ♦ Mentir sur qqc. Mentir sur un point précis. Mentir sur des détails. Renée était alors enceinte de quatre mois; son mari allait l'envoyer à la campagne, comptant mentir ensuite sur l'âge de l'enfant (Zola,Curée,1872, p. 386). − Locutions ♦ Mentir comme on respire (fam.). Mentir continuellement. Ils [les Blancs] mentent pour rien. Ils mentent avec méthode et mémoire, comme on respire. De là leur supériorité sur nous (Maran,Batouala,1921, p. 75). ♦ Mentir comme un arracheur* de dents. ♦ Sans mentir. À dire vrai, à la vérité: 2. Il mangeait et dormait beaucoup, dans un demi accablement. Le reste de sa vie se passait comme en songe. Sans mentir, il n'était plus lui, mais une sorte de démon que tenait une seule idée, noire et confuse.
Pourrat,Gaspard,1925, p. 144. ♦ En avoir menti par la gorge (vx). Avoir menti de façon éhontée. V.gorge I B 2 b β: 3. ... cette bonne institutrice Adeline s'est complètement trompée en croyant m'apercevoir sur le carrousel. Probablement que je lui remplis l'imagination. Cela me flatte, mais elle en a menti par la gorge (manière proverbiale de parler car la susdite en a peu, de gorge).
Flaub.,Corresp.,1854, p. 14. Absol. En avoir menti: 4. Vous ne reverrez plus votre grand'mère, me dit-elle, puisque vous la détestez. Elle vous abandonne; dans trois jours vous partirez pour Paris. − Vous en avez menti, lui répondis-je, menti avec méchanceté, je ne déteste pas ma grand'mère, je l'aime, mais j'aime mieux ma mère...
Sand,Hist. vie,t. 3, 1855, p. 62. − Proverbes ♦ Bon sang, bonne race, nature ne peut mentir. Celui qui est de race noble ne dégénère pas. Le premier point s'établissait, «1 sur ce que les rois ne sont appelés rois que pour faire justice, et non pour autre chose; 2 sur l'amour fraternel, car nature ne peut mentir;... etc.» (Barante,Hist. ducs Bourg.,t. 3, 1821-24, p. 63).Ayant une fille mariée et son gendre étant venu se plaindre à lui qu'elle buvait, − bon sang ne peut mentir, − il la fouetta (Goncourt,Journal,1862, p. 1134).Et ils sont Français et Lorrains. Fils de bonne race et de bonne maison. Or bonne race ne peut mentir. Fils de bonne mère (Péguy,Porche Myst.,1911, p.181). ♦ A beau mentir qui vient de loin. Celui qui vient d'ailleurs a beau jeu de raconter des histoires que personne ne peut vérifier. A beau mentir...; il n'est pas vrai que tous les voyageurs mentent; mais il est profondément vrai que nous croyons aisément ce qui n'est pas à portée de notre expérience (Alain,Propos,1933, p. 1161). − [Avec un compl. second.] ♦ Mentir à qqn.Dans toutes mes lettres, je vais mentir à mes amis et leur dire que je travaille − mais cela n'est pas vrai (Mallarmé,Corresp.,1864, p. 144).Je ne veux pas vous tromper. Je suis lasse de mentir aux autres et à moi-même, à vous, je dirai la vérité (Gobineau,Pléiades,1874, p. 272). ♦ Mentir à qqc.Se mettre en contradiction avec, renier. Mentir à sa parole, à ses instincts. Il est impossible d'avoir moins compris les sites et plus menti aux moeurs qu'il ne l'a fait (Lamart.,Voy. Orient,t. 2, 1835, p. 8).Il causa deux minutes, et, comme il avait promis de ne pas s'arrêter, voulant ne pas trop longtemps mentir à sa promesse, il embrassa de nouveau la jeune fille ardemment (...) et s'échappa (R. Bazin,Blé,1907, p.88). − Emploi factitif. Faire mentir qqn.Jean Racine persévère dans la piété; le foyer qu'il fonde fait mentir Pascal écrivant à sa soeur Périer que le mariage est la plus basse des conditions du christianisme (Mauriac,Vie Racine,1928, p. 158): 5. S'il était possible de l'enfouir [mon argent] dans ma fosse, de revenir à la terre, serrant dans mes bras cet or, ces billets, ces titres? Si je pouvais faire mentir ceux qui prêchent que les biens de ce monde ne nous suivent pas dans la mort!
Mauriac,Noeud vip.,1932, p. 233. − En partic. Dissimuler, taire la vérité. À partir de cette heure, j'ai menti, j'ai menti par mon silence... la honte ne m'étouffait pas. J'aurais gardé ce secret à jamais (Zola,M. Férat,1868, p. 150).Vous m'aurez menti en vous taisant (Estaunié,Ascension M. Baslèvre,1919, p. 27).J'ai déjà trop tardé à prendre parti. Je prendrai parti aujourd'hui même, j'en ai assez de mentir par omission (Bernanos,Joie,1929, p. 691). B. − Contenir, exprimer des choses fausses. Ils [ces diables du Père-Lachaise] n'étaient pas sans qualités. Et l'épitaphe ment peut-être autant par celles de leurs vertus qu'elle omet que par celles qu'elle leur décerne (Toepffer,Nouv. genev.,1839, p. 446): 6. Rien que de traverser rapidement un intérieur parisien, je savais en juger les habitudes, les moeurs, et, bien que les meubles mentent autant que les visages, il était rare que je me trompasse...
Mirbeau,Journal femme ch.,1900, p. 227. − Emploi factitif ♦ Faire mentir qqc.Mettre en défaut, désavouer, démentir quelque chose. Je reçus tout à coup de M. de Villèle ce billet inattendu qui faisait mentir mes prévisions et mettait fin à mes incertitudes (Chateaubr.,Mém., t. 3, 1848, p. 125).Ils ont une grandeur qui n'est pas seulement spirituelle, mais intellectuelle, et fait mentir le lieu commun vulgaire sur l'abêtissement que causerait la foi (Green,Journal,1945, p. 275).La fête de Vanessa ne faisait pas mentir sa réputation de prodigalité somptueuse. On avait ouvert toutes grandes les baies à arcades qui donnaient directement sur la lagune (Gracq,Syrtes,1951, p. 94). ♦ Faire mentir le proverbe. Apporter un démenti à un proverbe, démontrer que ce qu'il exprime est faux: 7. − Ah! monsieur le colonel! Qui a bu l'eau de Béicos revient tôt ou tard au Bosphore. Je n'ai jamais quitté Stamboul sans pleurer. − Je le quitte douloureusement, monsieur le maréchal. Mais je ferai mentir le proverbe. J'ai bu l'eau de Béicos, et je ne reviendrai pas. − Jamais.
Farrère,Homme qui assass.,1907, p. 352. C. − Emplois partic. 1. Vx, emploi trans. Tromper. Tremble que je ne tire le voile, et que je ne montre aux yeux de mon rival la hideuse, l'horrible vérité!... tu as menti l'amour, je m'en doutais (Restif de La Bret.,M. Nicolas,1796, p. 171). 2. Emploi pronom. réfl. Refuser de s'avouer la vérité à soi-même. Elle se mentait quand elle feignait de croire à la résurrection d'un passé mort et enterré (Beauvoir,Mandarins,1954, p. 79). 3. Part. passé empl. adj. S'enflammer contre l'humiliation de notre politique extérieure et contre la foi mentie de la royauté nouvelle (Chateaubr.,Mém.,t. 4, 1848, p. 76).Tu les aimes tout de même. De quelle amour. Comment peux-tu les aimer. D'une amour mentie, d'une amour trahie et qui se trahit soi-même, qui se trahit perpétuellement soi-même, d'une amour faussée (Péguy,Myst. charité,1910, p. 60). Prononc. et Orth.: [mɑ
̃ti:ʀ], (il) ment [mɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Fin xes. li bons qui non mentid épithète de Jésus-Christ (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 297); b) ca 1160 «manquer à sa parole envers quelqu'un» (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 1309); 2. ca 1100 «affirmer comme vrai ce qu'on sait être faux» (Roland, éd. J. Bédier, 1253); 3. ca 1170 fig. (Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 1120: et, se mi oel ne m'ont manti); 4.1229 (Gerbert de Montreuil, Violette, 1579 ds T.-L.: se li estoire ne ment). Du lat. pop. mentire, class. mentiri «ne pas dire la vérité, se tromper; promettre faussement; décevoir; imiter, contrefaire». Fréq. abs. littér.: 3 722. Fréq. rel. littér.: xixes.: a)3272, b)4817; xxes.: a) 6387, b) 6614. Bbg. Quem. DDL t.10. _ Zauner (A.). Mentir. Z. rom. Philol. 1922, t. 42, p. 79. |