| MAÎTRISE, subst. fém. A. − Fait, faculté de dominer les êtres ou les choses. 1. [Correspond partiellement à maître1IA] Rare. Condition, pouvoir d'un maître, de celui qui exerce une autorité absolue (sur une personne ou une communauté). Synon. domination, empire; anton. asservissement, esclavage, servitude.Tout ce qui a la maîtrise du monde fut encensé, glorifié, excusé quoi qu'il advînt, justifié, fortifié dans la domination des faibles (Clemenceau,Iniquité,1899, p. 77): 1. [Selon Hegel] Le maître, pour son malheur, est reconnu dans son autonomie par une conscience qu'il ne reconnaît pas lui-même comme autonome. Il ne peut donc être satisfait et son autonomie est seulement négative. La maîtrise est une impasse. Puisqu'il ne peut pas non plus renoncer à la maîtrise et redevenir esclave, le destin éternel des maîtres est de vivre insatisfaits ou d'être tués.
Camus,Homme rév.,1951, p. 177. − Au fig. C'était Cécile (...) qui semblait avoir usurpé l'empire dans ce ménage. Elle s'était dérobée à la maîtrise intellectuelle et morale de son mari (Feuillet,Journal femme,1878, p. 244). 2. [Correspond à maître1I B 2] Fait d'être maître de quelque chose, d'avoir quelque chose en son pouvoir, sous son contrôle matériel ou moral. La substance de tous les arts est la même: et c'est l'effort de l'être pour réaliser une harmonie − (qui est la forme la plus parfaite de la maîtrise sur les choses) − avec ses propres réactions contre son milieu (Rolland,Beethoven,t.1, 1937, p.22).La maîtrise du corps dans la douleur n'a plus le même sens que la maîtrise du corps dans le besoin (Ricoeur,Philos. volonté,1949, p.102). − En partic. a) Dans le domaine milit.Maîtrise d'un lieu. Pouvoir de domination, de surveillance, exercé en un lieu. La rivalité russo-allemande pour la maîtrise des détroits (Aragon,Beaux quart.,1936, p. 291). ♦ MAR., AVIAT. Maîtrise de la mer, de l'air, du ciel. Capacité de contrôle d'une zone maritime, d'un espace aérien. Dans la séance du 9 janvier 1912, le ministre de la Marine avait exprimé l'avis que la maîtrise de la mer devait être acquise complètement avant que les transports des troupes de l'Afrique du Nord vers la France ne fussent entamés (Joffre,Mém.,t. 1, 1931, p. 181). b) SPORTS. Maîtrise de la balle, du ballon. Fait d'entrer en possession du ballon et d'en assurer le contrôle. Se rendre maître du ballon, c'est, dans un premier temps de contact, le contrôler pour l'utiliser aux meilleures fins de progression. Dans la maîtrise de la balle, le joueur exprime ses qualités de finesse de touche (J. Mercier,Football,1966, p. 35). c) Dans le domaine psychol.Maîtrise de soi ou, absol., maîtrise. Faculté de se gouverner suivant la raison et la volonté, en gardant le contrôle de ses impulsions, de ses instincts. Tout ce que notre culture a placé délibérément au premier rang des valeurs humaines, cette maîtrise de soi, cette possession de nos forces, de nos sentiments, cet empire de l'homme sur ses désirs (Massis,Jugements,1924, p. 53).Raoul, ce que j'aime en toi, c'est la surveillance que tu exerces sur toi-même (ton besoin de contrôle et de maîtrise) (Abellio,Pacifiques,1946, p. 25).On éliminera par dressage les gestes spontanés incongrus et inutiles, tout en se gardant, avec un émotif, de l'enfermer dans une perpétuelle contrainte (...); on éduquera la maîtrise volontaire de soi, qui ne devra pas comprimer le coeur (Mounier,Traité caract.,1946, p. 334). d) Dans le domaine de l'activité intellectuelle ou pratique.Connaissance approfondie et sûre (d'un objet de pensée, d'une discipline, d'un art, d'une technique). Avoir, acquérir la maîtrise d'une langue, du style, de l'expression; avoir la maîtrise de ses moyens. Titien a donné lieu d'étudier la beauté du coloris; Véronèse, la maîtrise du pinceau et la grandeur de l'ordonnance (Le Brun,Conf. sur leRavissement de Saint Pierre de Poussin ds H. Lemonnier, Art fr. Louis XIV, 1911, p. 27).Des pianistes soucieux d'acquérir la maîtrise mécanique du clavier (Cortot,Techn. pianist.,1928, p. 1).Le mouvement du symbolisme ne s'achève donc qu'en nous faisant passer de l'intuition au concept du temps: il nous en assure la maîtrise mentale et la domination pratique (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 174). ♦ Art, talent supérieur (manifesté dans l'exécution de quelque chose) reposant sur une connaissance approfondie des moyens (cf. maître1II C 3). Synon. maestria, virtuosité.Faire qqc. avec maîtrise, une grande maîtrise; oeuvres, pièces de maîtrise. Jusqu'à ce jour, avec une maîtrise incomparable, elle avait réussi à conserver intacte sa situation mondaine de veuve riche, reçue partout (Zola,Fécondité,1899, p. 349).La majesté de l'attitude, la noblesse de l'expression, la grâce du geste [dans une statue de Michel Colombe] (...). sont autant de caractères révélateurs d'une maîtrise consommée, d'une incomparable habileté de facture (Fulcanelli,Demeures philosophales,t. 2, 1929, p. 202): 2. Je ne sache pas de danger plus insidieux ni de malédiction plus mesquine que ceux d'un temps où maîtrise [it. ds le texte] et perfection désignent à peu près l'artifice et la convention vaine, où beauté, virtuosité et jusqu'à littérature signifient avant tout ce qu'il ne faut pas faire.
Paulhan,Fleurs Tarbes,1941, p. 27. B. − [Correspond à maître1II dans certains emplois] 1. Poste, charge, grade de maître. La grande maîtrise de Malte, de Saint-Lazare, de l'ordre teutonique (Ac.1835-1935). ♦ Maîtrise de conférences. Poste de maître de conférences. On crée en ce moment à la Sorbonne des maîtrises de conférences avec assez de facilité pour qu'on m'ait offert l'une d'elles (Malègue,Augustin,t. 2, 1933, p. 136). ♦ [Dans la franc-maçonnerie]Grade de maître. Grande maîtrise. Dignité du chef d'une fédération de loges. Quand Philippe d'Orléans eut écrit au Journal de Paris sa renonciation à la grande maîtrise (...), l'Assemblée générale du Grand-Orient se trompa en prononçant la déchéance du duc Égalité (Adam,Enf. Aust.,1902, p. 347). ♦ [Au Moyen Âge et sous l'Ancien Régime] Maîtrise des eaux et forêts. Charge de maître des eaux et forêts; juridiction qui était de son ressort. Maîtrise particulière; grande maîtrise. Madeleine Béjart était fille d'un sous-officier de justice, d'un huissier audiencier à la grande maîtrise des eaux et forêts (A. France,Génie lat.,1909, p. 104). 2. Dans le secteur des métiers (cf. maître1II B 1) a) [Dans les anciennes corporations]Qualité, statut du maître reçu dans un corps de métier. Acquérir, obtenir, gagner, acheter la maîtrise; droit, lettres de maîtrise. Très tôt les maîtres assurèrent la fortune de leurs fils. Il fallait, pour accéder à la maîtrise, présenter un chef-d'oeuvre, ce qui demandait, certes, une grande habileté professionnelle, mais surtout une importante mise de fonds (J. Heers,Le Travail au Moyen Âge,Paris, P.U.F., 1975, p. 109). − P. méton. Association de maîtres constitués en corps de métiers. On charge à tort le moyen âge de tous les maux qu'ont pu produire les corporations industrielles. Tout annonce qu'à l'origine les maîtrises et les jurandes ne furent que des moyens de lier entre eux les membres d'une même profession, et d'établir au sein de chaque industrie un petit gouvernement libre (Tocqueville,Anc. Régime et Révol.,1856, p. 185). b) Mod., DR. COMM. Qualité de maître-artisan. Des cours de promotion artisanale destinés à parfaire la formation des artisans et de leurs ouvriers, à leur permettre d'accéder à la maîtrise (Robert,Artis.,1966, p. 158). 3. INDUSTR. Agent de maîtrise, personnel de maîtrise. Agent, personnel d'encadrement directement en contact avec le personnel d'exécution qu'il dirige dans ses travaux. Les agents de maîtrise constituent l'encadrement du personnel ouvrier. Dans l'ordre décroissant de la hiérarchie, ils se divisent en: − chefs d'atelier; − contremaîtres (professionnels ou non professionnels); − chefs d'équipe (professionnels ou non professionnels) (Lubrano-Lavadera,Législ. et admin. milit.,1954, p. 157). − P. méton. La maîtrise. Ensemble des agents de maîtrise. Un phénomène caractéristique est le développement des tâches administratives dans toutes les catégories de la maîtrise (Branc.Écon.1978). 4. Dans le domaine de l'Université a) Anciennement et auj. encore au Canada (Québec). Maîtrise ès-arts. Grade universitaire obtenu après la licence (cf. maître1II B 2). Il parcourut également tous les degrés de licence, maîtrise et doctorerie des arts (Hugo,N.-D. Paris,1832, p. 172). b) [Dep. 1966] Grade universitaire sanctionnant la deuxième année de deuxième cycle. Sont admis en équivalence de la maîtrise en vue de la préparation du doctorat d'État ès lettres les titres figurant sur la liste ci-après, délivrés par les universités étrangères et portant sur les disciplines littéraires (Arrêté du 8 mai 1969 ds B.O.E.N., no20, 15 mai 1969). C. − MUSIQUE 1. a) [Avant la Révolution] École attachée à une cathédrale ou à une église importante et où des enfants étaient formés à la musique et au chant religieux. Synon. manécanterie, psallette.Il [Rousseau] devint pensionnaire à la maîtrise de la cathédrale dirigée par M. Le Maistre (Guéhenno,Jean-Jacques,1948, p. 54). b) P. anal. [À l'époque mod.] École formant les enfants à la musique et au chant choral. La Maîtrise de Radio-France est le résultat d'une collaboration établie depuis 1946 entre la Direction des Enseignements de Paris et la Radiodiffusion. C'est un Établissement d'Enseignement Général et Musical (...) où les élèves bénéficient d'une formation générale conforme à celle des programmes officiels et d'une formation musicale de niveau professionnel (B. de la Société Nat. de Radiodiffusion,1981, p. 1). 2. P. méton. a) Ensemble de chanteurs, chorale d'adultes ou d'enfants attachée au service d'une institution religieuse ou laïque. Les choeurs et la maîtrise de Radio France. Dans les maîtrises religieuses, l'enfant était jadis de rigueur. De nos jours, il est surtout remplacé par des femmes (Arts et litt., 1935, p. 36-12).Et à la schola, ça ne va pas fort, eh? Vous avez une jolie voix, et vous arrivez à gâcher même cela par votre attitude dans la maîtrise (Montherl.,Ville dont prince,1951, I, 1, p. 860). b) Emploi du maître de chapelle dirigeant la maîtrise d'une église. Il posait inutilement sa candidature à la maîtrise de la Sainte Chapelle en 1696 (La Laurencie,Éc. fr. violon,t. 1, 1922, p. 68). Prononc. et Orth.: [mεtʀi:z] ou [me-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1165 «commandement d'un vaisseau» ([Chr. de Troyes], G. d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 2035); 2. ca 1350 «autorité, puissance» (Passion nostre Seigneur, éd. G. A. Runnalls, 4031); 3. 1910 «domination de soi-même» (Lar. pour tous); 4. 1924 «possession d'une chose dont on use à son gré» (Bainville, Hist. Fr., t. 1, p. 249). B. 1. Av. 1191 «habileté, supériorité de talent» (Gui de Cambrai, Vengement Alixandre, éd. B. Edwards, 1202, var.); 2. a) 1267 «certaine charge ou dignité à la cour ou dans un ordre de chevalerie» (Cart. de Champ., BN l. 5993, fo190bds Gdf. Compl.); b) 1743 «logement réservé à un maître de chapelle et à l'école où il enseigne» (Trév.); c) 1835 «emploi de maître de chapelle dans une église cathédrale» (Ac.); d) 1893 maîtrise de conférences (DG); 3. a) 1454 «qualité d'un artisan qui a reçu le titre de maître» (Ordonnances des Rois de France de la troisième race, éd. De Pastoret, t. 18, p. 45); b) 1776 «ensemble de ceux qui gouvernent un corps de métier» (Condillac, Comm. gouv., II, 6 ds Littré); c) 1941 agents de maîtrise (Aymé, Travelingue, p. 33). Dér. de maître*; suff. -ise*; cf. l'a. fr. maistrie «autorité, puissance; art, science, talent» (xiies. ds Gdf. et T.-L.). Fréq. abs. littér.: 457. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 174, b) 182; xxes.: a) 650, b) 1306. DÉR. Maîtrisien, -ienne, subst.Enfant faisant partie d'une maîtrise. Une vingtaine d'élèves sont admis par classe: les Maîtrisiens, les Maîtrisiennes et d'autres enfants qui bénéficient d'un enseignement artistique dans certains établissements spécialisés, les après-midi (B. de la Société Nat. de Radiodiffusion,1981, p. 3).− [mεtʀizjε
̃], fém. [-jεn]. − 1reattest. 1929 (Gastoué, Vie mus. Église, p. 40); de maîtrise, suff. -ien*. BBG. −Breslin (M. S.). The Old Fr. abstract suffix -ise... Rom. Philol. 1969, t. 22, pp. 408-420. _ Goosse (A.). Ét. de vocab. eccl.: l'enfant de choeur. Foi Lang. 1977, no2, p. 134, 135 (s.v. maîtrisien). |