| MASSACRE, subst. masc. A. − [Correspond à massacrer A] 1. Action de massacrer, de tuer avec sauvagerie et en grand nombre (des êtres qui ne peuvent se défendre). Synon. extermination.Le massacre des Innocents, de la Saint-Barthélémy; les massacres de septembre. Le massacre des blancs par les noirs (Delécluze,Journal, 1825, p.146).Il apprit tendrement le massacre des cailles, l'assassinat des biches (Giraudoux,Bella, 1926, p.111).La destruction de l'Amérique par le massacre et de l'Afrique par l'esclavage (S. Weil,Pesanteur, 1943, p.138): 1. ... cette Europe en pourriture, coalisée contre la miséricorde et l'équité, à plat ventre devant la force, regardait, en souriant, les massacres des Arméniens et les brigandages des Anglais au Transvaal...
Huysmans,Oblat, t. 2, 1903, p.60. ♦ Envoyer (des soldats) au massacre. Envoyer à une mort certaine presque sans combat. L'armée dès lors se trouvait en détresse, cent mille hommes étaient envoyés au massacre (Zola,Débâcle, 1892, p.120). − P. exagér. Synon. carnage, tuerie, boucherie.Il s'est trouvé pendant douze heures au milieu de l'épouvantable massacre de Borodino (J. de Maistre,Corresp., t. 4, 1812, p.239).Pour l'instant, pour deux ou trois minutes peut-être, ce pan de muraille était un abri; mais comment sortir de ce massacre? (Hugo,Misér., t. 2, 1862, p.503). SYNT. Massacre d'enfants, de femmes, de prisonniers, d'un peuple; épouvantable, horrible, infâme massacre; exécuter, faire un grand massacre, donner le signal du massacre, échapper au massacre; destruction, dévastation, guerre, incendie, pillage et massacre. 2. P. ext. Action, fait de tuer avec sauvagerie, d'une manière particulièrement odieuse. Synon. assassinat, crime.Quand elle [l'autorité légitime] envoie cinq ou six coupables à la mort pour le même crime, c'est un massacre (J. de Maistre,Consid. sur Fr., 1796, p.14).Attentat contre le petit roi d'Espagne. Dieu n'a pas permis le massacre de ce dégénéré (Bloy,Journal, 1905, p.258): 2. Je présageai le massacre du malheureux monarque et de sa noble et infortunée compagne; mais un assassinat juridique ne se présenta pas, je l'avoue, à mon esprit.
Sénac de Meilhan,Émigré, 1797, p.1841. 3. VÉNERIE a) Vx. Synon. curée.Sonner le massacre (Baudr.Chasses1834). b) P. méton. − Tête d'un cervidé (cerf, chevreuil, daim) séparée du corps et placée sur la peau de l'animal pendant la curée. (Dict. xixeet xxes.). − Tête naturalisée ou dépouillée d'un animal, conservée comme trophée ou utilisée comme ornement. Les triglyphes séparent les caissons où des massacres de taureaux montrent leurs orbites vides, leurs mâchoires dénudées et leurs cornes festonnées de guirlandes (Du Camp,Hollande, 1859, p.212).C'était (...) une tanière de chasseur. Des hures monstrueuses, des peaux d'ours et de loups, des massacres d'aurochs en couvraient les murs (Bourges,Crépusc. dieux, 1884, p.16). ♦ Bois de cerf (souvent muni de l'os frontal) conservé comme trophée ou utilisé comme ornement. Le «massacre» d'un cerf, c'est sa tête, ses ramures, que l'on coupe proprement quand il est mort, environ trois doigts derrière les meules (Vialar,Rendez-vous, 1952, p.252).V. cors ex. de Gautier, Fracasse, 1863, p.6.HÉRALD. ,,Figure stylisée, constituée par les deux bois du cerf réunis autour de l'os frontal`` (Past. 1979). V. cerf ex. 3. − P. ext. Crâne d'un animal à cornes. Je butai contre un massacre de bighorn: un crâne très blanc, deux massives cornes (...) annelées dans toute leur longueur (Genevoix,Laframboise, Couguar, 1942, p.154). B. − [Correspond à massacrer B] 1. Action, fait de mettre à mal quelqu'un. Les yeux tuméfiés, le nez écrasé, toute la chair de sa face éclatait et se fendait. Ce n'était plus un combat, c'était le massacre d'une brute (Van der Meersch,Empreinte dieu, 1936, p.128). − Bagarre violente et brutale. Cela se termina forcément par un massacre entre les hommes, comme toutes les querelles de femmes (Zola,Germinal, 1885, p.1471).Ils se sont rebiffés contre nous et de façon si agressive, si absolument rageuse, que j'ai cru un moment que ça finirait en massacre! (Céline,Mort à crédit, 1936, p.613). ♦ Fam. [Précédé de l'art. partitif] Ils balançaient des graviers... C'était du massacre bientôt... Il a fallu qu'on se carre en trombe... (Céline,Mort à crédit, 1936, p.530). 2. a) Action, fait d'abîmer, de détruire avec brutalité, avec violence. Synon. destruction, détérioration, déprédation, saccage.Je vais les étonner bien plus en leur demandant en justice des dommages et intérêts pour l'exécrable massacre de mon pauvre bois (Courier,Lettres Fr. et Ital., 1816, p.872).Elle se donna le régal d'un massacre, tapant les objets, prouvant qu'il n'y en avait pas un de solide en les détruisant tous (Zola,Nana, 1880, p.1436). b) Action, fait de gâter de façon irréparable. Synon. destruction.Je ne vois aucun moyen pour ce malheureux, acharné au massacre de sa volonté d'échapper à l'abrutissement (Bloy,Journal, 1899, p.358).Alain dénonce la pensée en tant qu'elle est un «massacre d'impressions» (Benda,Fr. byz., 1945, p.18). c) En partic. Attaque verbale, critique particulièrement violente. J'ai lu soigneusement tout ce que la critique a écrit sur Les Héritiers Rabourdin (...). J'avoue que, d'abord, cet accueil m'a émotionné. Ce n'était plus de la discussion, c'était du massacre (Zola,Hérit. Rabourdin, 1874, i, préf., p.1).[Il] lut une conférence-préambule, véritable massacre des poètes de l'époque, me laissant seul debout (Cocteau,Portr.-souv., 1935, p.163). d) En partic. Action, fait de gâter involontairement par un travail maladroit ou brutal, par une interprétation ou une exécution très mauvaise. Le massacre d'une robe (Lar. 20e). Jamais (...) on ne vit pareil massacre des grands hommes grecs et romains [dans des dessins] (Champfl.,Bourgeois Molinch., 1855, p.106).Bien que Berlioz eût eu pendant quelques heures l'illusion d'une réussite, le massacre de la partition s'acheva (Bruneau,Mus. hier et demain, 1906, p.270). − P. méton. ♦ Ce qui a été gâté par un travail maladroit ou brutal, une exécution ou une interprétation très mauvaise. Ce concert fut un massacre. Quant au jardin, n'en parlons pas, dit Mmede Cambremer. C'est un massacre. Ces allées qui s'en vont tout de guingois! (Proust,Sodome, 1922, p.945).Le petit lobe de son oreille portait une perle pour cacher le massacre véritable qu'avait fait un maladroit le perçant (Aragon,Beaux quart., 1936, p.309). ♦ Vieilli. Artisan, artiste particulièrement maladroit. Notre profession [la coiffure] est gâtée par des massacres qui ne comprennent ni leur époque ni leur art (Balzac,Comédiens, 1846, p.339).Les médecins, c'est tous des massacres. Pour que celui-là ne sache quoi dire, ça doit être qu'il n'y a pas grand'chose (Zola,Joie de vivre, 1884, p.960). − Par antiphrase. [En parlant d'une oeuvre, d'un spectacle, d'un artiste] (Faire un) massacre. (Avoir un) très grand succès. Synon. faire un malheur.Son bouquin va faire un massacre (Hachette1980). 3. Jeu de massacre, p. ell. massacre (rare). Jeu forain qui consiste à renverser avec des balles des poupées grotesques placées à distance. Il avait une grande tête de jeu de massacre, les dents plantées de travers, quelques traces de petite vérole dans le visage (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p.73). − P. méton. ♦ Baraque de foire où l'on joue à ce jeu. Il souriait devant les loteries, devant les chevaux de bois, et surtout devant le jeu de massacre. Il y demeura longtemps, ravi quand un amateur abattait le gendarme ou le curé (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Père Amable, 1886, p.231). ♦ Jouet d'enfant imitant ce jeu. Massacre en bois laqué décoré personnages excentriques (Catal. jouets [Bon Marché], 1936). − Au fig. Et lisez le pamphlet de Maistre sur le Jansénisme (...). Quel jeu de massacre allant et gaillard! (Thibaudet,Hist. litt. fr., 1936, p.80).Le temps s'amuse à jouer au massacre avec nous, pensait-il; il nous bombarde à coups de secondes (Morand,Homme pressé, 1941, p.194): 3. Sur le journal, je contemple, un instant, photographié à la sortie de l'Élysée, le jeu de massacre du ministère. Qui dira si c'est celui qui arrive ou celui qui s'en va?
Mauriac,Journal 1, 1934, p.16. Prononc. et Orth.: [masakʀ
̭]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. [Fin xies. «boucherie (abattoir et boutique)» macecre (Raschi, Gl., éd. A. Darmesteter et D. S. Blondheim, t. 1, p.91)]; ca 1150 «mise à mort de beaucoup de gens» marçacre (Roman de Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 9842); 1588 machacres de bestes (Bougueville, Rech. de la Neustrie, II, 15 ds Gdf.); 2. fig. 1675, 31 juill. «action d'exécuter maladroitement une oeuvre» (Mmede Sévigné, Corresp., éd. La Pléiade, II, p.24); 3. 1816 «action de taillader, d'endommager» (Maine de Biran, Journal, p.872: l'exécrable massacre de mon pauvre bois); 4. 1889 jeu de massacre (Goncourt, Journal, p.1016) d'où id. tenir un massacre (Larch. Suppl., p.152). II. 1. 1520 «brigand, criminel» (Michel de Tours, Trad. de Suétone, VI, 210 rods Hug.); 2. 1740 «ouvrier qui travaille mal» (Ac.). III. 1. 1553-62 vén. «tête de cerf ou de daim, ou de chevreuil mise debout sur la peau de la bête, lorsqu'on fait la curée aux chiens» (Journal du sire de Gouberville, 23, 10, 51 ds Poppe, p.59); 2. 1573 «action de démembrer un cerf» (Dupuys); 1636 sonner le massacre (Monet); 3. 1581 hérald. «tête d'un animal lorsqu'elle est décharnée» (H. de Bara, Le Blason des Armoiries, 102 d'apr. FEW t. 6, 1, p.516b); 4. 1760 «bois de cerf avec l'os frontal qui le supporte» (Buffon, Hist. Nat. Quadrup., t. 5, p.373 ds IGLF). Déverbal de massacrer*. Fréq. abs. littér.: 836. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1161, b) 1111; xxes.: a) 1618, b) 995. Bbg. Dauzat (A.). Mots fr. d'orig. orientale... Fr. mod. 1943, t. 11, pp.241-251. _ Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p.13. |