| MASQUER, verbe trans. A. − 1. Gén. au passif. Qqn masque (le visage de) qqn (de qqc.).Couvrir le visage de quelqu'un d'un masque, de ce qui a fonction de masque. Être masqué d'un loup, de blanc, de noir. Il gronda sourdement en voyant le visage de sa femme découvert; mais après l'avoir assez adroitement masquée, il l'emporta dans ses bras (Balzac,Enf. maudit,1831-36, p.354).Don José et les deux femmes étaient (...) soigneusement masqués. Tous trois avaient pris des dominos (Ponson du Terr.,Rocambole,t. 4, 1859, p.287). 2. Qqc. masque (le visage de) qqn.Dissimuler le visage de quelqu'un à la manière d'un masque. Il n'apercevait que ses yeux sous la voilette de dentelle noire qui masquait sa figure (Flaub.,Éduc. sent.,t. 2, 1869, p.277).Les pénitents s'avancent sur deux files, en longues robes et en cagoules qui les masquent (Montherl.,Bestiaires,1926, p.472). − Littér. Qqc. masque (le visage de) qqn de + subst. désignant une partie ou une qualité de l'obj. désigné par le suj.La poussière noire (...) masquait de ténèbres leur visage farouche (Hamp,Champagne,1909, p.94). 3. Emploi pronom. réfl. Se couvrir le visage d'un masque. À Paris, les hommes ne se masquent point: un homme en domino paraît ridicule (Balzac,Splend. et mis.,1844, 4). − P. ext., rare. Se masquer en qqc.Se déguiser en quelque chose. Il peut s'habiller en Chaldéen, se masquer en pharaon, il a changé de siècle, mais pas de minute (Giraudoux,Sodome,1943, i, 1, p.37). B. − Au fig. 1. [Le suj. désigne une pers.] a)
α) Qqn masque qqc. (à qqn) (de, derrière, par, sous... qqc.).Cacher quelque chose sous une apparence trompeuse de manière à ne pas le révéler, à ne pas le laisser paraître; p. ext., ne pas révéler, ne pas laisser paraître. Synon. cacher, dissimuler.Masquer la vérité, les faits; masquer ses intentions, son émotion. Masquant la menace sous la louange, il feignit de la prendre pour un ange de bonté (Sand,Consuelo,t. 1, 1842-43, p.133).Elle masque aux autres sa tentation sous des termes mystiques, et elle tâche de se la dissimuler à elle-même (Sainte-Beuve,Port-Royal,t. 4, 1859, p.136).Les Russes avaient subi un échec grave que le grand quartier général russe semblait vouloir masquer autant qu'il pouvait (Joffre,Mém.,t. 1, 1931, p.368): 1. ... il [Renan] se masque les troubles, les ravages, les ruines, que ses négations amoncellent dans les âmes; mais le pire, c'est qu'il les masque à ceux qui croient avec lui «adorer en esprit», être les fidèles de la «religion éternelle».
Massis, Jugements,1923, p.119. − Rare. [Constr. avec une complétive] Il ne faut pas nous masquer qu'à ce point sensible va porter le plus grave des problèmes spirituels (Mounier,Traité caract.,1946, p.351).
β) Rare. Qqn masque qqn en qqn.Présenter quelqu'un sous l'apparence trompeuse de quelqu'un d'autre, d'une fonction ou d'un rôle qu'il n'a pas. C'était une niaiserie de vouloir masquer un tel homme [Bonaparte] en roi constitutionnel (Staël,Consid. Révol. fr.,t. 2, 1817, p.262). b) Emploi pronom. réfl.
α) Qqn se masque (de, derrière, sous... qqc.).Dissimuler son identité, sa nature, ses intentions sous l'apparence trompeuse de quelque chose. Le jouteur [Pascal] se masqua ici sous le nom de Dettonville (...) et publia le cartel en juin 1658 (Sainte-Beuve,Port-Royal,t. 5, 1859, p.249).Les cyniques ne se masquent point, se laissant voir tels qu'ils sont (Péladan,Vice supr.,1884, p.222).La dissimulation dont je m'étais masqué dès mon arrivée continuait de me couvrir (Bourget,Disciple,1915, p.149): 2. ... ce qui fait le prix du voyage, c'est la peur. Il brise en nous une sorte de décor intérieur. Il n'est plus possible de tricher − de se masquer derrière des heures de bureau et de chantier (ces heures contre lesquelles nous protestons si fort et qui nous défendent si sûrement contre la souffrance d'être seul).
Camus,Env. et endr.,1937, p.109.
β) Qqn se masque en qqn.Se présenter sous l'apparence (trompeuse) de quelqu'un d'autre, d'une fonction ou d'un rôle qu'on n'a pas. Ce n'était pas un adversaire de Vaugelas, c'était un approbateur sous forme badine et qui se masquait en diseur de contre-vérités, que l'évêque Godeau (Sainte-Beuve,Nouv. lundis,t. 6, 1863, p.390). 2. [Le suj. désigne un inanimé] a) Qqc. masque qqc. (à qqn) (de, sous... qqc.).Présenter une apparence qui cache quelque chose, qui empêche que l'on se rende compte ou que l'on prenne conscience de quelque chose. Synon. cacher, dérober, dissimuler, recouvrir.On retrouve (...) une similitude qui n'est masquée que par les proportions diverses des parties qui la composent (Cuvier,Anat. comp.,t. 3, 1805, p.92).Cette habitude de contredire masquait habilement son absence d'orientation personnelle (Martin du G.,Devenir,1909, p.50).La cordialité lui masquait aisément les médisances qu'il ne connaissait pas (Proust,Sodome,1922, p.1039): 3. [Nos notions universellement acceptées] assument à nos yeux un caractère d'éternité, et nous masquent, sous l'apparence de la loi, l'acte arbitraire qui leur donna naissance...
Gaultier,Bovarysme,1902, p.284. − En partic. ♦ Qqc. masque qqn.Dissimuler la (vraie) nature, les intentions de quelqu'un. Elle avait sur la face son rire qui la masquait. Elle demeurait impénétrable, au milieu de son expansion bavarde (Zola,E. Rougon,1876, p.73).Il était [Charlus] (...) parfaitement masqué par ce qu'il était devenu et qui n'appartenait pas à lui seul mais à beaucoup d'autres invertis (Proust,Temps retr.,1922, p.763). ♦ Absol., rare. Le phénomène est (...) ce qui masque plus qu'il ne montre; le phénomène de la faute obture l'être de la condition humaine (Ricoeur,Philos. volonté,1949, p.30). b) Emploi pronom. passif
α) Qqc. se masque (de, sous... qqc.).Se présenter sous une apparence trompeuse. L'égoïsme partout (...) se masque ou s'étale (Sully Prudh.,Justice,1878, p.180).Ces enivrements mystiques n'étaient que l'apparence dont se masquait l'immense frénésie de vivre qui l'habitait (Daniel-Rops,Mort,1934, p.60).L'histoire des passions qui se masquent pour que l'homme, épris de sa propre perfection, ne les reconnaisse pas (Mauriac,Journal 3,1940, p.264). − Rare. Qqc. se masque dans qqc.Se dissimuler dans quelque chose. Dans le mouvement facile l'intention motrice se masque dans la sensation du mouvement fait (Ricoeur,Philos. volonté,1949p.302).
β) Qqc. se masque en qqc.Se présenter sous l'apparence (trompeuse) de quelque chose. L'égoïsme moderne a l'art de louer toujours, dans chaque chose, la réserve et la modération, afin de se masquer en sagesse (Staël,Allemagne,t. 3, 1810, p.202). C. − P. ext. 1. a) Qqn masque qqc. (de, sous, derrière... qqc.).Dérober à la vue quelque chose en le recouvrant, en interposant quelque chose. Synon. partiel cacher, occulter.Masquer une lampe. Elle avait masqué la glace, de peur d'y voir surgir encore son visage! (G. Leroux, Parfum,1908, p.32).Elle masquait sous une couche de poudre de petites plaques rouges sur les joues (Chardonne,Dest. sent.,ii, 1934, p.238): 4. ... le calvinisme, sans mauvaise intention d'ailleurs, a malmené cette pauvre église; (...) il a blanchi les fenêtres, il a masqué d'une balustrade à mollets le bel ordre roman des hautes travées de la nef...
Hugo,Rhin,1842, p.375. ♦ Qqn masque qqn.Tenez-vous au fond; je vais vous masquer de mon mieux (Ponson du Terr.,Rocambole,t. 3, 1859, p.282). − Spécialement ♦ ART MILIT. Cacher à l'ennemi en interposant quelque chose. Masquer une batterie, un mouvement. Des feux de bengale rougeâtres que l'ennemi allumait pour masquer les coups de départ (Romains,Hommes bonne vol.,1938, p.142).Masquer (une place forte, une armée). Laisser des troupes devant une place forte, une armée pour la neutraliser sans l'attaquer. Il méprisa les places fortes qu'il se contenta de masquer, s'aventura dans le pays envahi et gagna tout, à coups de batailles (Chateaubr.,Mém.,t. 2, 1848, p.403). ♦ CUIS. Recouvrir un mets d'une sauce épaisse et froide, d'une crème, de sucre liquide. Le contenu du pot de rouge, liquéfié, pourrait servir à masquer, comme disent les cuisiniers, quelques «pêches cardinal» (Colette,Music-hall,1913, p.51). − P. anal. ♦ Dissimuler un goût, une odeur par un goût ou une odeur plus forts. [Des] boulangers (...) masquent le goût d'une farine moisie en salant outrageusement leur pâte (Faral,Vie temps st Louis,1942, p.76). ♦ Soustraire une partie d'un objet à l'action de quelque chose au moyen d'un masque. Allumer (...) la lampe d'agrandisseur tout en comptant les secondes (...). À 10 secondes, masquer les 2/3 de la bande. Le dernier tiers sera exposé 15 secondes (Objectif Photo, Paris, éd. Atlas, 1981, p.74). b) Emploi pronom. réfl., rare. Se masquer sous, derrière... qqc.Se dissimuler sous, derrière quelque chose. M. de Camors, se masquant derrière un des volets (...) plongea son regard dans l'intérieur de la chambre (Feuillet,Camors,1867, p.372). 2. Qqc. masque qqc. (à qqn).Recouvrir quelque chose, s'interposer devant quelque chose de manière à le dérober au regard. Synon. cacher, dérober.Un écran masque qqc. Elle mit le costume de crêpe marocain marron, fait sur mesure, ample pour masquer la taille (Chardonne,Dest. sent.,iii, 1936, p.218).La crête (...) leur masquait encore les fonds de Derborence (Ramuz,Derborence,1934, p.39): 5. [À] l'église de Saint-Savin (...) les piliers placés au centre des transepts (...), ayant une très-forte saillie sur l'alignement des colonnes de la nef, le choeur est masqué en grande partie au spectateur entrant dans l'église.
Lenoir,Archit. monast.,1856, pp.30-31. ♦ Littér. Qqc. masque qqc. de + subst. désignant une partie ou une qualité de l'objet désigné par le sujet.Elles [des fleurs] masquaient la place vide de leurs couleurs charmantes et fraîches (Carco,Vérotchka,1923, p.209). ♦ Qqc. masque qqn.J'étais masqué par une colonne et perdu dans une obscurité complète (Dumas père, Monte-Cristo,t.2, 1846, p.393). ♦ [P. méton.] Masquer la vue, le regard. Empêcher de voir. La colline, couverte d'arbres disposés par étages, formait un rideau qui masquait le regard (Verne,Île myst.,1874, 46). − P. anal. ♦ [Le compl. d'obj. désigne un goût, une odeur] Empêcher que l'on ne sente. Les marinades (...) masquaient l'odeur de graisse et le fumet de sang des viandes (Huysmans,À rebours,1884, p.234).Une dose de houblon trop forte donne une amertume qui masque le parfum du malt et le moelleux de la bière (Boullanger,Malt., brass.,1934, p.339). ♦ [Le compl. d'obj. désigne un son] Empêcher que l'on n'entende. Les sons de basse fréquence masquent efficacement les sons de haute fréquence (Ling.1972). D. − MARINE 1. Emploi trans. a) Masquer une voile, un navire. Intercepter le vent pour l'empêcher d'arriver sur une voile, un navire. Une voile en masque une autre lorsqu'elle empêche le vent de lui arriver (Gruss1952). b) Masquer une voile. Faire que les voiles prennent le vent à contre. Nous n'[avions] pas (...) l'espace nécessaire pour virer vent arrière, même en masquant les voiles d'avant (Dentrecasteaux,Voy. rech. La Pérouse,1808, p.104).Le brick venant au vent, la grande voile fasilla et fut masquée en grand (Sue,Atar-Gull,1831, p.3). 2. Emploi intrans. a) Être privé de vent lorsque celui-ci est intercepté par un obstacle quelconque. Il [un gros îlot] nous intercepta la brise déjà très-faible. Par une conséquence naturelle, les voiles masquèrent (Dumont d'Urville,Voy. Pôle Sud,t.2, 1842, p.55). b) Prendre le vent à contre, à la suite d'un changement subit de vent ou d'une manoeuvre destinée à faire culer le navire. Nous établirons les voiles du grand mât à masquer, et elles concourront à relever le brick (Verne,Enf. cap. Grant,t. 3, 1868, p.53). REM. Masquant, -ante, adj.a) Qui masque, qui soustrait à la vue. Planter une haie masquante (Lar. Lang. fr.). b) Qui soustrait à la perception auditive. Son masquant. V. Ling. 1972, s.v. masqué.L'influence masquante du bruit diminue avec le rétrécissement de la bande (Piéron,Sensation,1945, p.182). Prononc. et Orth.: [maske]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1528 part. passé masqué «caché sous un masque» (G.d'Aurigny, 52earrest d'amours, foa 4 ro); 2. 1553 «dissimuler aux regards» (Ronsard, Folastries ds
Œuvres, éd. P. Laumonier, t.5, p.25); 3. 1558 «dissimuler sous des apparences trompeuses» (J. du Bellay, Les Regrets, éd. E. Droz, p.91, XC, 3); id. réfl. au fig. (E. Jodelle, Recueil des inscriptions, figures, devises et masquarades ds
Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 1, p.279); 4. 1783 cuis. (Encyclop. méthod., Arts et métiers, t. 2, p.100); 5. 1808 mar. masquer une voile (Dentrecasteaux, loc. cit.). Dér. de masque1*; dés. -er. Fréq. abs. littér.: 537. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 393, b) 793; xxes.: a) 692, b) 1110. Bbg. Tracc. 1907, p.155. |