| MANOEUVRE1, subst. fém. A. − 1. Action manuelle individuelle ou collective nécessaire pour utiliser un appareil, un mécanisme, une machine; résultat de cette action. Manoeuvre d'une arme, d'une serrure; câble, levier de manoeuvre; exécuter, diriger une manoeuvre. Jean entreprend toute une série de manoeuvres: ouverture du capot, dévissage des bougies, injection d'essence, etc. (Romains,Knock, 1923, i, p. 2): 1. Le prince ne se hâtait nullement, très intéressé, s'attardant au contraire à regarder la manoeuvre des machinistes. On venait de descendre une herse, et cette rampe de gaz, suspendue dans ses mailles de fer, éclairait la scène d'une raie large de clarté.
Zola, Nana, 1880, p. 1205. − Action effectuée par un dispositif technique remplaçant la main de l'homme. Manoeuvre automatique, électrique, électronique, hydraulique. Les deux ingénieurs (...) tâchèrent d'intéresser les visiteurs (...) en leur expliquant le jeu des pompes et la manoeuvre du pilon qui enfonçait les pieux (ZolaGerminal, 1885, p. 1557): 2. ... si je réduis le moteur de gauche il me faudra compenser la traction latérale du moteur de droite, laquelle tendra évidemment à faire pivoter l'avion vers la gauche. Il me faudra résister à cette rotation. Or, le palonnier, dont dépend cette manoeuvre, est lui aussi, entièrement gelé.
Saint-Exup.,Pilote guerre,1942, p. 303. 2. Spécialement a) MARINE − MAR. À VOILES. Action manuelle exercée sur la voilure au moyen d'un cordage pour régler le mouvement d'un navire. Les matelots se précipitèrent à leur poste de manoeuvre; les drisses furent larguées, les cargues pesées, les focs halés bas avec un bruit qui dominait celui du ciel (Verne,Enf. cap. Grant, t. 2, 1868, p. 52). ♦ P. méton. Cordage, filin appartenant au gréement et servant aux manoeuvres. Manoeuvres courantes. Le vent (...) sifflait dans des manoeuvres dormantes avec une extrême violence (Verne,Enf. cap. Grant, t. 2, 1868, p. 51). − P. ext. [Quel que soit le type de navire] Action destinée à diriger la marche et les mouvements d'un navire. Manoeuvre à quai; manoeuvre d'appareillage. Les pilotes (...) criaient leurs ordres, indiquant les manoeuvres nécessaires pour se diriger à travers le dédale mouvant des embarcations (Gautier,Rom. momie, 1858, p. 208): 3. On reconnaissait à la propulsion électrique [des paquebots] des avantages de sécurité, de silence, de souplesse de manoeuvre, d'économie aux allures réduites par rapport aux autres installations.
Le Masson, Mar., 1951, p. 83. b) P. anal. Opérations, règles à observer pour diriger un véhicule, une voiture. Un ingénieur adroit et audacieux, tel que Cyrus Smith, saurait bien conduire un aérostat. S'il eût connu la manoeuvre, lui, Pencroff, il n'aurait pas hésité à partir (Verne,Île myst., 1874, p. 14).Un accident (...) avait eu lieu en gare. Une fausse manoeuvre. Un cheminot écrasé (Aragon,Beaux quart., 1936, p. 105). − Au fig. ♦ Fausse manoeuvre. Démarche, initiative maladroite et inopportune. Les bourgeois de Paris font une fausse manoeuvre, en se soulevant contre l'acte additionnel et la réélection des deux tiers, acceptés par la province (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 405). ♦ Fam. Connaître la manoeuvre. Être au courant de ce qu'il faut faire. Synon. connaître la musique*: 4. Roubaud circule, distribuant de grandes feuilles timbrées de bleu au coin gauche, et des pains à cacheter. Nous connaissons toutes la manoeuvre: il faut écrire au coin son nom, avec celui de l'école où nous avons fait nos études, puis replier et cacheter ce coin.
Colette,Cl. école, 1900, p. 194. c) ART MILIT., souvent au plur. − Exercice exécuté en temps de paix par des soldats ou des marins pour les familiariser avec le maniement des armes, le mouvement des troupes ou celui des bâtiments. Champ de manoeuvres, aller à la manoeuvre; manoeuvre de garnison; exempté de manoeuvre; manoeuvre d'une escadre. Des élèves de la marine descendant en chaloupe, allaient aux leçons de manoeuvre, à bord du vaisseau amiral (Chateaubr.,Mém., t. 4, 1848, p. 359).Pendant l'été de 1883, le capitaine Hector de Fontenne prit part aux grandes manoeuvres du 32ecorps d'armée (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Confess., 1884, p. 950).La Guillaumette (...) coupa encore à la manoeuvre ce matin-là (Courteline,Train 8 h 47, 1888, p. 7). − Opération, mouvement stratégique exécuté en temps de guerre par une armée. Manoeuvre enveloppante, de débordement, de repli. Les alliés attendaient un troisième corps russe qui n'était plus qu'à huit marches de distance. Kutuzof soutenait qu'on devait éviter de risquer une bataille; Napoléon par ses manoeuvres force les Russes d'accepter le combat (Chateaubr.,Mém., t. 2, 1848, p. 378).La Woëvre a été évacuée par manoeuvre stratégique (Bordeaux,Fort de Vaux, 1916, p. 38). ♦ P. anal. Ensemble des mouvements exécutés par une personne ou un animal pour réaliser une action déterminée. Léopard et Saigneur [deux chiens] après de prudentes manoeuvres d'approches s'étaient jetés l'un sur l'autre en grondant (Aymé,Vouivre, 1943, p. 129).Il s'agenouillait devant l'autel et bredouillait de confiance le galimatias qu'il se rappelait (...) puis il montait à l'autel où s'accélérait la manoeuvre, − l'essentiel étant de lever les bras, de ne pas manquer les inclinaisons, de changer de place (Queffélec,Recteur, 1944, p. 21). 3. MÉD. Action ou opération exercée sur une personne. Manoeuvres opératoires; manoeuvres abortives. Un contact de la main met fin quelquefois aux contractures et rend la parole au malade, et la même manoeuvre, devenue rite, suffira dans la suite à maîtriser de nouveaux accès (Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p. 190): 5. La sage-femme, afin de rassurer Pauline, lui expliquait à demi-voix (...) les douleurs de la dilatation du col étaient parfois plus intolérables que les grandes douleurs de l'expulsion (...). Ce qu'elle redoutait, c'était la rupture des eaux, avant l'arrivée du médecin; car la manoeuvre qu'il allait être obligé de faire, serait alors dangereuse.
Zola,Joie de vivre, 1884, p. 1087. B. − Moyen ou ensemble de moyens mis en oeuvre pour obtenir un résultat recherché. Manoeuvre diplomatique; manoeuvre de persuasion. La manoeuvre de dissuasion qui s'appuie sur la crainte de la guerre nucléaire doit aussi se fonder sur le refus de la guerre nucléaire (Beaufre,Dissuasion et strat., 1964, p. 81): 6. ... il n'avait rien d'un séducteur, le brave Alain. Ses premières manoeuvres d'approche eurent un singulier résultat. Juliette ne se défendit pas, sembla consentir, mais comme on consent un sacrifice de soi-même.
Van der Meersch,Invas. 14, 1935, p. 241. − Péj. Synon. de agissement(s), combinaison, machination, menée.Manoeuvre dilatoire, machiavélique, partisane; manoeuvre habile, subtile; manoeuvres de coulisses; basses manoeuvres; être victime d'une manoeuvre. Je cours au collège électoral... je dévoilerai tout haut les manoeuvres, les intrigues que l'on a fait jouer... car il y en a eu... je le sais... j'en ai les preuves (Scribe,Camaraderie, 1837, v, 7, p. 335). − En partic. ♦ Liberté de manoeuvre. Liberté d'agir, d'entreprendre à sa guise. Entre deux maisons, celle de la ville et celle des champs, il retrouverait plus aisément sa liberté de manoeuvre, des prétextes pour s'absenter, des occasions toutes naturelles de s'évaporer, de s'enfuir (Duhamel,Désert Bièvres, 1937, p. 206). ♦ Masse de manoeuvre. Ce dont on peut disposer pour agir. Il était temps qu'il se démerde pour gagner sa croûte, car il ne lui restait pas grands fonds en poche et sa masse de manoeuvre pour le P.M.U. avait été anéantie la veille même par l'imbécile emballement d'un trotteur à grosse cote (Queneau,Pierrot, 1942, p. 148). − DR. Manoeuvres (frauduleuses). Procédé destiné à induire un tiers en erreur. Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que sans ses manoeuvres l'autre partie n'aurait pas contracté (Code civil, 1804, art. 1115, p. 202). Prononc. et Orth.: [manoe:vʀ
̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. Ca 1180 anc. prov. «ouvrage» (Girart de Roussillon, éd. W. Mary Hackett, 1803: Set ans n'estui faidis en bos espes, Qu'en ovra(r)e manevres de quei visques, Quant nien a trait reis Carles per ses marces); 2. 1248 «opération impliquant le mouvement de la main» ici «corvée manuelle» manuevres (Réglem. des droits de la ville d'Aumes, Cart. blanc de Corbie, Richel. 1. 17759, fo74 rods Gdf.); 1309 maneuvre d'homme «travail manuel» (Charte, Reg. 5o, Chartoph. reg. ch. 35 ds Du Cange t. 5, p. 225b); 3. 1616 «opération servant à diriger un navire» (D'Aubigné, Histoire Universelle, X, 21, éd. A. de Ruble, 6, 320); p. ext. 1643 «cordages servant à manoeuvrer un navire» (G. Fournier, Hydrographie, Paris, p. 39); 1678 manoeuvres coulantes ou courantes et manoeuvres dormantes (Guillet, 3epart., p. 224); 4. 1876 manoeuvres des trains (Huysmans, Marthe, p. 83). II. 1694 (Ac.: Manoeuvre. Il se dit aussi, en parlant des mouvements qu'un General ou un autre homme de commandement fait à la guerre); 1772, 14 août les manoeuvres militaires (D'Alembert, Lettre au roi de Prusse ds Littré); 1805 les grandes manoeuvres (Napoléon Ier, Lettres Joséph., p. 95); 1830 champ de manoeuvre (Michelet, Journal, p. 72). III. 1690 (Fur.: Manoeuvre, se dit aussi figurément en Morale, en parlant de la conduite qu'on observe pour faire réussir quelque affaire ou entreprise; il ne se dit gueres qu'en mauvaise part); 1792 manoeuvres ministérielles (Robesp., Discours, Sur la guerre, t. 8, p. 136); 1802 manoeuvres politiques (Baudry des Loz., Voy. Louisiane, p. 10); 1835 manoeuvres électorales (Michelet, op. cit., p. 205). Du lat. pop. manuopera, littéralement «travail fait avec la main», formé du lat. manū
, ablatif de manus «main» et de opera «activité», dér. de opus, operis «oeuvre, ouvrage». Manuopera se rencontre au sens de «corvée» dans un Capitulaire de Charlemagne (ca 800). Bbg. Mack. t. 2 1939, p. 100, 196. _ Quem. DDL t. 6. |