| MANIÉRÉ, -ÉE, adj. Affecté, recherché, exagérément raffiné. A. − [En parlant d'une pers.] V. apprêté ex. 3, façonné II D ex. de Mauriac, maladroit ex. de Colette. 1. Dans le domaine du comportement.Il n'est pas si aisé d'être naïf, suivant l'acception qu'on donne aujourd'hui à ce mot, sans tomber dans la fausse simplicité, qui est de toutes les façons d'être maniéré la plus insupportable (Viollet-Le-Duc, Archit.,1872, p. 245).Vous ne pouvez pas la juger. Elle est maniérée, minaudière; elle se fait un masque d'une attitude qui a été autrefois son naturel. Non, moi je ne peux même plus la voir (Maurois,Climats,1928, p. 267): 1. ... il épousera ce qu'ils appellent, là-bas de l'autre côté, «une jeune fille comme il faut», une fausse grande dame maniérée dans le monde et une bourgeoise revêche et mesquine dans l'intimité...
Larbaud,Amants,1923, p. 103. ♦ P. anal. Tout à l'heure, une caille s'est promenée un moment sur le rebord d'une des fenêtres (...). J'ai admiré l'élégance et la délicatesse de cette petite créature si maniérée et si imposante qui allait et venait comme une dame dans un salon (Green,Journal,1944, p. 125). − Emploi subst. Quand on a dit: «Ah! il fait une chaleur... une chaleur... vraiment... tropicale!!!» on est soulagé. Les maniérés formulent «sénégalienne» (Flaub.,Corresp.,1859, p. 323). 2. ARTS, LITT. Il y a des acteurs et surtout des actrices qui sont maniérés jusque dans les moments d'expansion et de pathétique: ce n'est plus sensibilité, c'est de la sensiblerie (Bussy,Art dram.,1866, p. 348).La langue française (...) est une eau pure que les écrivains maniérés n'ont jamais pu et ne pourront jamais troubler (Maupass.,Pierre et Jean,1888, p. 283): 2. Corot, c'est la pierre de touche; c'est Saint Jean-Bouche-d'or. Paysage, figures, c'est tout un; c'est le moins maniéré des maîtres, le plus candide et le plus pur.
Gillet,Art fr.,1938, p. 74. ♦ En partic., vieilli. Synon. de maniériste (v. ce mot B).[Le] chevalier Bernin, cet artiste maniéré, comme les poëtes italiens du dix-septième siècle (Staël,Corinne,1807, p. 239). − Emploi subst. Le style vous tient-il à coeur, et avez-vous souci de la distinction et de la nuance: vous n'êtes qu'un maniéré (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t. 5, 1863, p. 80). B. − [En parlant d'une manifestation de l'activité humaine ou de l'affectivité] Rencontres d'une cordialité un peu maniérée, affectée et brève (Arnoux,Solde,1958, p. 105).Une voix à laquelle un souci de politesse donnait des inflexions presque maniérées (Green,Chaque homme,1960, p. 128): 3. Son art concerté, tout en nuances (comme styliste et comme causeur), ne cessa de se compliquer, d'accueillir des termes très modernes, de l'argot (slang), jusqu'à s'en faire une langue maniérée, cocasse.
Blanche,Modèles,1928, p. 154. SYNT. Accent, geste, langage, pas, rire, sourire, ton maniéré; expression, voix maniérée; beauté, civilité, délicatesse, élégance, lenteur, naïveté, noblesse, réserve, simplicité maniérée; goût maniéré; lyrisme, tour maniéré; roman, vers maniéré; description maniérée. − BEAUX-ARTS. Art, dessin, peinture maniéré(e); formes, plastique maniérée(s); décor, façade, jardin, statue maniéré(e). Ah! Botticelli! (...) les mains de Botticelli, si travaillées (...) s'unissant les unes aux autres, se baisant et se parlant, avec un tel souci de la grâce, qu'elles en sont parfois maniérées, mais chacune avec son expression (Zola,Rome,1896, p. 150).La statue de Louis XIV, qui date de 1670, est d'un style maniéré, alambiqué; elle manque à la fois de majesté, de réalisme et même de vraie jeunesse (H. Lemonnier,Art fr. Louis XIV,1911, p. 71): 4. Là où étaient le geste sûr, la puissance aisée, la superbe élégance de la force en action, [Van Dyck] substitua le geste apprêté, la grâce maniérée, l'élégance apprise et fanée de la servitude et de l'oisiveté de cour.
Faure,Hist. art,1921, p. 28. ♦ P. anal. Au bord de la rivière un joli châtelet rococo qui a l'air d'une pâtisserie maniérée ou d'une pendule du temps de Louis XV, avec son bassin lilliputien et son jardinet Pompadour (Hugo,Rhin,1842, p. 52). ♦ En partic. Qui concerne le maniérisme, qui appartient à ce courant artistique ou qui en a subi l'influence. Synon. maniériste.Il y a des fresques maniérées de l'école de Sienne, un Triomphe de la mort que je me bats les flancs pour trouver beau (Green,Journal,1935, p. 25): 5. ... depuis le milieu du dix-septième siècle le genre maniéré a dominé dans toute l'Europe, et (...) cette tendance a fait perdre la verve audacieuse qui animoit les écrivains et les artistes à la renaissance des lettres.
Staël,Allemagne, t. 3, 1810, p. 348. − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Il n'y a pas de parodie, si vulgaire qu'elle soit, qu'on ne préfère à la fade impression du maniéré (Staël,Allemagne, t. 3, 1810p. 215).Discerner le faux du vrai, le naïf du maniéré (Sand,Hist. vie,t. 4, 1855, p. 250).V. afféterie ex. 4, 5 : 6. Dupaty touche à cette nouvelle école qui bientôt allait substituer le sentimental, l'obscur et le maniéré, au vrai, à la clarté et au naturel de Voltaire.
Chateaubr.,Mém., t. 3, 1848, p. 432. ♦ Le maniéré de + compl. de nom.Caractère maniéré de quelque chose. Le maniéré d'une tournure. Quelques beautés répandues dans cet opéra ne dédommagent pas du tourment que cause à l'oreille et à l'esprit la recherche, le contourné, le maniéré des phrases de cette musique (Delécluze,Journal,1827, p. 441).La marche naturelle de l'esprit humain est de débuter dans les arts par la raideur, et de finir par le maniéré de l'exécution (Cournot,Fond. connaiss.,1851, p. 278): 7.Le maniéré de ses attitudes me ravit, surtout cette façon de porter sa tête comme s'il avait un torticolis, sans parler de ce geste affecté de la main qui semble offrir des fleurs imaginaires à une personne invisible.
Green,Journal,1939, p. 227. Prononc. et Orth.: [manieʀe]. Ac. 1718: manieré; dep. 1740: maniéré. Étymol. et Hist. 1679 péj. «où il y a de l'affectation» (H. Testelin, Conf., Jouin, p. 205 ds Brunot t. 6, p. 726, note 6); 1767 subst. «ce qui est maniéré» (Diderot, Salon, p. 373). Dér. de manière*; suff. -é*. Cf. le m. fr. maniéré «dressé (d'un cheval)» xves. (Froissart, Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, var. t. 16, p. 114). Fréq. abs. littér.: 126. |