| MANIER1, verbe trans. A. − 1. Vieilli. Manipuler, toucher un objet de ses mains. Des cheveux luisants, touffus, qui donnaient envie de les manier (Balzac,Méd. camp.,1833, p. 245).Pour mieux manier les tiges de ses fleurs, elle avait ôté ses gants, et je voyais ses belles mains blanches dont les doigts fragiles allaient et venaient (Bourget,Disciple,1889, p. 156): 1. Il était assis sur le billard, les pieds ballants, et il maniait une boule de la main gauche, tandis que de la droite il tripotait un linge qui servait à effacer les points sur le tableau d'ardoise...
Maupass.,Contes et nouv.,t. 2, MllePerle, 1886, p. 638. − En partic. [En parlant d'une étoffe] Tâter, palper. Gabrielle trouvait Étienne beau, elle voulut manier le velours du manteau, toucher la dentelle du collet (Balzac,Enf. maudit,1831, p. 430).Il pelote et manie et chiffonne, de ses doigts caressants, des satins, dans lesquels il fait courir des moires et des cassures luisantes (Goncourt,Journal,1883, p. 243). ♦ P. métaph. Augustin voyait de près sur le visage encore robuste de sa mère, tout un réseau de plis et de rides né depuis son dernier séjour. Il maniait du regard, comme il en eût de sa main palpé l'étoffe (Malègue,Augustin,t. 1, 1933, p. 294). 2. Avoir en main quelque chose ou quelqu'un que l'on déplace, que l'on remue. Manier un cadavre, un essaim d'abeilles; manier qqn avec douceur. Un léger murmure de grelots annonça qu'on maniait les harnais (Maupass.,Contes et nouv., t. 2, Boule de suif, 1880, p. 119).Adroits, habitués à manier des objets délicats, deux ouvriers soulevèrent Jean avec précaution (Chardonne,Dest. sent.,iii, 1936, p. 262).Lundi, il s'est sauvé, il a pris le train et il est rentré chez lui. C'est en maniant une arme à feu qu'il s'est tué (Green,Moïra,1950, p. 133). − P. ext. a) Remuer, déplacer quelque chose (avec une autre partie du corps). Les Maori manient les ficelles avec leurs dents et leurs doigts de pied aussi bien qu'avec leurs mains (Lowie,Anthropol. cult.,trad. par G. Métraux, 1936, p. 188). b) Remuer, déplacer les mains ou les pieds. Ce géant osseux à la grosse moustache broussailleuse semblait puéril à cause de son inhabilité à manier ses formidables mains et ses pieds (Barrès,Serv. All.,1905, p. 139).Avec son sourire de monseigneur et ses grosses mains qu'il manie si doucement (Bernanos,M. Ouine,1943, p. 1532). 3. ARTS a) [En parlant de matériau] Façonner, modeler avec la main. Manier la cire. V. maquette A 1 ex. de Balzac. − Modeler avec un outil. Après quinze siècles de production ininterrompue, le statuaire thébain manie la matière avec trop de facilité (Faure,Hist. art,1909, p. 54). b) [En parlant d'une peinture] Employer judicieusement (les tons, les couleurs); exceller à rendre quelque chose. Manier les éléments d'une composition. Une toile peinte dans les tons les plus difficiles à manier: les cadmiums et les violets, toile éblouissante pleine de vérité (Lhote,Peint. d'abord,1942, p. 150): 2. Comme d'autres un madrigal, il improvisait des épopées. Comme d'autres manient les physionomies et les gestes par des couleurs et des volumes, il maniait, non pas au gré de son esprit, mais au gré des instincts sauvages que lui imposaient ses sens, les foules, la mer et les nuages par de la lumière et de l'obscurité.
FaureHist. art,1914, p. 447. c) ART CULIN. Malaxer, pétrir; mélanger du beurre ramolli avec une autre substance (farine, persil, etc.). Sauce hachée (...) au moment de servir, vous y mettez un ou deux anchois pilés et maniés avec du beurre (Viard,Cuisin. roy.,1831, p. 44).Foie de boeuf sur le gril. (...) servez deux tranches l'une sur l'autre, et mettez entre chacune une boulette de beurre manié de persil (Audot,Cuisin. campagne et ville,1896, p. 196). − Part. passé en emploi adj. Beurre manié. Beurre ramolli dans lequel on a incorporé de la farine. Une sauce liée au beurre manié ne doit plus bouillir, parce qu'elle risque de contracter un désagréable goût de farine crue (L'Art culinaire fr., Paris, Flammarion, 1950, p. 165). 4. [En parlant d'un objet, d'un outil, d'une arme, d'un instrument] Utiliser, employer quelque chose que l'on a en main; s'en servir. Ces doigts boudinés et roses, ces poignets épais et grossiers, c'étaient les mains d'un homme dont le père, durant un demi-siècle, avait dû manier la charrue (Montherl.,Lépreuses,1939, p. 1452).Quelqu'un qui sait se servir de ses mains, c'est quelqu'un qui sait manier des outils, qui a un métier en mains (Ricoeur,Philos. volonté,1949, p. 198).S'il ne s'agit que de tenir le sabre, dit-il, c'est facile (...). Quant à le manier, c'est une affaire d'homme (Giono,Angelo,1958, p. 224): 3. ... une fille qui sait une foule de belles choses, je l'avoue, mais qui manie également le couteau d'une manière fort agréable, comme j'en ai reçu moi-même la preuve dans l'épaule...
Gobineau, Nouv. asiat.,1876, p. 36. SYNT. Manier l'épée, le fleuret, un fusil, la lance, le poignard, le révolver; manier l'aiguille, le burin, le pinceau; manier la hache, le maillet, le marteau, la pelle, le tournevis; manier la raquette; manier qqc. adroitement, habilement, hardiment, vigoureusement, avec adresse. ♦ Emploi pronom. passif. La vergue de la voile se manie à l'aide d'une roue placée sur l'habitacle (Du Camp,Nil,1854, p. 200). − En partic. a) [En parlant d'un produit] Utiliser, employer. Manier un médicament avec discrétion. C'est à partir de ce moment (...) qu'on s'appliqua à manier adroitement les assaisonnements, à les manier harmonieusement (Ali-Bab,Gastr. prat.,1907, p. 28): 4. ... c'était une image qui, un jour, se présenterait à mon esprit entièrement décantée de tout ce qu'elle contenait de nocif, comme ces poisons mortels qu'on manie sans danger, comme un peu de dynamite à quoi on peut allumer sa cigarette sans crainte d'explosion.
Proust,J. filles en fleurs,1918, p. 626. b) [En parlant d'un bateau, d'un véhicule, etc.] Le manoeuvrer, le faire évoluer. Dans les idées de mon père, un officier de marine ne devait savoir manier que son vaisseau (Chateaubr.,Mém.,t. 1, 1848, p. 83).C'était de très petits canons (...). On les maniait aisément (A. France,J. d'Arc,t. 1, 1908, p. 153).Avion assez rapide, avec de fortes réserves d'essence, mais difficile à manier (Malraux,Espoir,1937, p. 561). B. − Au fig. 1. [En parlant d'un animé] − [En parlant d'une pers.] Diriger, faire agir quelqu'un comme on le désire. Manier qqn doucement. C'était la personne la plus difficile à manier qu'il y eût au monde. J'en étais venue à bout dans ses dernières années, mais ce n'était pas sans peine et sans souffrance (Sand,Hist. vie,t. 2, 1855, p. 246).Elle refusa et fit une telle résistance qu'il dut s'apercevoir qu'il n'est pas facile de manier une sainte (A. France,J. d'Arc,t. 1, 1908p. 310): 5. Les petits enfants sont en somme ce que je connais le mieux et ce que je manie avec le plus d'adresse. Je les possède à la fois par intuition et par expérience, et je les lis jusque dans les moelles.
Amiel, Journal,1866, p. 134. − [En parlant d'un animal] Conduire, mener, diriger. La belle, objet de tous les voeux, montée sur un très-beau cheval bai, qu'elle maniait avec adresse (Brillat-Sav.,Physiol. goût,1825, p. 303).Le chameau n'a pas été facile à domestiquer et aujourd'hui encore il est besoin de beaucoup d'habileté pour savoir le manier (Lowie,Anthropol. cult.,trad. par G. Métraux, 1936, p. 62). 2. [En parlant d'une chose abstr.] Utiliser, employer habilement. Manier le langage, des idées, des notions, des mots, des symboles; manier l'ironie, la moquerie, la morale. Je ne fais plus d'astrologie, me dit-il brusquement. C'est une science à la fois trop précise et pas assez, que personne ne sait aujourd'hui manier (Abellio,Pacifiques,1946, p. 136).Honneur de cette langue anglaise, que nous ne parlons plus au souper, depuis que MmeRezeau s'est aperçue que nous savions désormais la manier mieux qu'elle (H. Bazin, Vipère,1948, p. 231). 3. Avoir entre les mains, diriger quelque chose. Depuis longtemps Madame Gérard n'avait eu à manier une affaire aussi intéressante que ce mariage (Duranty,Malh. H. Gérard,1860, p. 205). − En partic. Gérer (des fonds); s'occuper de (sommes d'argent importantes). Manier les deniers de l'État, de gros capitaux. Ces vieux banquiers, tous deux retirés à la campagne (...) lui laissèrent leurs fonds à manier, moyennant un léger intérêt (Balzac,Curé vill.,1839, p. 20).Les comptables du Trésor manient des deniers publics. Les comptables des corps de troupe (...) manient soit des deniers ministériels (...) soit des deniers privés (Lubrano-Lavadera,Législ. et admin. milit.,1954, p. 180): 6. Tous les jours il était appelé à manier des sommes considérables; ce matin même, à côté de l'enveloppe aux treize mille francs, une autre enveloppe contenant quinze mille était là...
Gide, Souv. Cour d'ass.,1913, p. 635. 4. Rare. Changer, modifier la forme, la disposition de quelque chose. Synon. remanier.Je les ai tellement travaillées [les pages], recopiées, changées, maniées, que pour le moment je n'y vois que du feu (Flaub.,Corresp.,1852, p. 394). Prononc. et Orth.: [manje], (il) manie [mani]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1165 maneier «toucher avec la main» (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 29236); 1690 manier «éprouver la qualité d'une chose en la tâtant avec les mains» (Fur.); 2. ca 1180 maniër «avoir en main (quelque chose, pour l'utiliser)» (Marie de France, Fables, éd. K. Warnke, 92, 10); d'où a) ca 1200 maneier «utiliser, se servir d'un outil» (Chanson Guillaume, éd. D. MacMillan, 1741); p. ext. 1256 maniier «gérer, administrer» (Août, Flines, Arch. Nord ds Gdf.); fin xives. argent mannyer (Eustache Deschamps, Ballades, éd. Queux de Saint-Hilaire, t. 5, p. 233, 38); b) fin xves. fig. manyer qqn «le diriger, l'influencer» (Commynes, Mém., éd. J. Calmette, t. 1, p. 170); c) 1559 manier «faire évoluer (un animal)» (Amyot, Marius, 22 ds Littré); d) se manier «se dépêcher», v. se magner; 3. xiiies. manier «façonner» (Médicinaire liégeois, éd. J. Haust, 311). Dér. anc. de main*; suff. -eier, v. -oyer, réduit à -ier. Fréq. abs. littér.: 1080. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1174, b) 1579; xxes.: a) 1872, b) 1619. DÉR. Maniage, subst. masc.a) Action de manier l'argile afin d'en faire des boules destinées à être moulées. [Pour le] moulage à la balle, on fait par le maniage des balles de pâte bien homogènes (Al. Brongniart, Arts céram.,t. 1, 1844, p. 136).b) Opération consistant à faire glisser les feuilles d'or les unes sur les autres en les étageant, afin de les détacher de la baudruche, où elles finiraient par s'incruster (d'apr. Guérin 1892). − [manja:ʒ]. − 1resattest. 1694 (Corneille), a) 1840 (Ac. Compl. 1842), b) 1873 (Lar. 19e); de manier, suff. -age*. |