| MALADROIT, -OITE, adj. A. − [En parlant d'un être vivant] Qui n'est pas adroit; qui manque d'adresse, d'habileté. 1. a) [En parlant d'une pers.]
α) [Dans son activité matérielle ou intellectuelle] Acteur, imitateur, orateur, ouvrier, peintre maladroit; servante maladroite; bras, pied maladroit; doigts maladroits. À la bonne heure (...), tu nous as pêché une belle friture, aujourd'hui. Tu n'es pas maladroit, quand tu veux (Renard,Poil Carotte,1894, p.243).Certains gestes des osseuses mains fines, non pas maladroites mais désoccupées (Malègue,Augustin,t. 1, 1933, p. 102).Cette histoire, qu'il raconte avec tant de verve, semble rédigée par un écolier maladroit (Duhamel,Cécile,1938, p.213).V. adresse3ex. 9, adroit ex. 4 et 12, chouchou ex.: 1. Les mains encombrées de sa montre, de son altimètre, de son porte-carte, les doigts gourds sous les gants épais, il [le pilote] se hisse lourd et maladroit jusqu'au poste de pilotage.
Saint-Exup.,Courr. Sud,1928, p. 5. ♦ [P. méton. du déterminé] Pinceau maladroit. En cette nouvelle, il n'y a que la plume maladroite et la sensiblerie sans art d'une pensionnaire (Goncourt,Journal,1876, p. 1117).
β) [Dans son comportement] Prétendant maladroit. Il fut timide, gauche, gêné dans ses habits, maladroit, surtout de la conscience de sa maladresse, n'osant ni marcher ni se tenir en place (Karr,Sous tilleuls,1832, p. 58).Elle aimait Olivier (...) parce qu'il était pauvre, parce qu'il était intransigeant dans ses idées morales, parce qu'il était maladroit dans le monde (Rolland,J.-Chr.,Amies, 1910, p. 1119).Nous étions minces, hâlées, maniérées et brutales, maladroites comme des garçons, impudentes, empourprées de timidité au son seul de notre voix (Colette,Mais. Cl.,1922, p. 174): 2. Quelquefois le gars Pinceloup, qui avait une balle rougeaude de campagnard cuit au soleil, disait, les mains aux poches, en balançant son gros corps maladroit: − On les verra p't'être seulement point, les Alboches.
Benjamin,Gaspard,1915, p. 29. − Emploi subst. Un grand, insigne, triste maladroit; agir en maladroit; être traité de maladroit. J'ai été un maladroit, et il est juste que je porte la peine de ma maladresse (Dumas père, Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 283).Si je n'étais pas l'obstiné, le maladroit, le balourd que je suis, je baiserais les doigts de Cécile et je regagnerais ma chambre (Duhamel,Terre promise,1934, p. 163).La gaffe est (...) une protestation spontanée de la vérité qui (...) élit pour s'exprimer le propos d'un maladroit (Jankél.,Je-ne-sais-quoi,1957, p. 178).V. adroit ex. 11: 3. Un monde de survivants est un monde de prudents et d'habiles. Il nous faut donc réaliser le rêve des maladroits sublimes de Bir-Hakeim et du maquis, contre vents et marées, contre les ambitions, contre les manoeuvres tortueuses des malins.
Mauriac,Bâillon dén.,1945, p. 393. b) [Avec compl. prép.]
α) [Le compl. désigne ce qui est maladroit dans la pers.] :
4. Jean-Jacques paraît comme un garçon doux, timide, maladroit de son esprit comme de ses mains (...). Sa conversation banale, maladroite, le fait passer pour médiocre. Une vieille amie à lui lui confessera par la suite qu'elle n'avait rien pu deviner de ses richesses (...). Son coeur est rapide, et son esprit lent.
Cocteau,Poés. crit. I,1959, p. 314.
β) [Le compl. désigne l'activité dans laquelle la pers. est maladroite] ♦ Être maladroit à (pour)Maladroit à + subst.Cette femme malade, enlaidie, maladroite au plaisir, l'exaspérait (Zola,Fécondité,1899, p. 130).J'étais naturellement maladroite à tous les exercices du corps (Maurois,Climats,1928, p. 204).Maladroit à + inf.Être maladroit à aimer, à se manifester, à raisonner, à se servir de qqc. Elle s'assit et parut fort maladroite à mettre ses gants (Balzac,Langeais,1834, p. 255).Elle était maladroite à commander, n'aimant qu'à obéir (Richepin,Cadet,1890, p. 88).Et alors (...) [Barrès] se rendit compte que si j'étais maladroit pour mettre des livres en place, j'étais moins malhabile à mettre en ordre des idées (J. Tharaud,Chez Barrès,1928, p. 78): 5. Maladroit à déchiffrer les signes du coeur, le jeune guide pressentait néanmoins que l'engagement dont il n'avait vu au début (...) que la fortune, serait un jour plus lourd pour lui que le poids mort, d'un homme à déhaler du Matterhorn.
Peyré,Matterhorn,1939, p. 109. ♦ Être maladroit dans/en qqc.Être maladroit dans l'action, la lutte; être maladroit dans ses arguments, ses explications. Elle était timide, gauche, maladroite en tout ce qu'elle faisait (Maupass.,Contes et nouv.,t. 1, Ça ira, 1885, p. 1285).Elle craignait de paraître à Jean maladroite et naïve dans sa tendresse, alors qu'il s'attendait à trouver une femme savante et expérimentée (Gyp,Passionn.,1891, p. 169).Comment voulez-vous que je ne sois pas maladroite dans mes rapports avec les gens, et surtout avec un homme comme vous ? (Montherl.,Démon bien,1937, p. 1356). ♦ Être maladroit de qqc.Être maladroit de ses gestes, de ses mouvements. Peu à peu, elle avait vu l'adolescent, d'abord gêné, comme toujours, et maladroit de ses phrases, s'assurer davantage (Daniel-Rops,Mort,1934, p. 402).
γ) [Le compl. désigne une pers.] Être maladroit avec/envers qqn.Comme ceux qui ne les ont pas éprouvées [ces tentations] sont maladroits envers ceux qui en souffrent! (Renan,Souv. enfance,1883, p. 307).Mais nous savons par un témoin qu'elle était gauche et maladroite avec son fils et qu'elle n'osait ni le prendre ni le caresser (A. France,Vie littér.,1888, p.262). 2. [En parlant d'un animal] J'ai donné à maman le goût des chevaux. Je lui ai appris à caresser la grande bête puissante et maladroite (Alain-Fournier,Corresp.[avec Rivière], 1910, p. 252).Très lent de mouvements [le paresseux]. Très maladroit lorsqu'il marche sur le sol, et disgracieux, mais fort habile à grimper et à se suspendre la tête en bas, à n'importe quel support (Gide,Voy. Congo,1927, p. 770). 3. [En parlant d'une abstraction personnifiée] Là où avaient régné jusqu'ici la tradition, le génie et le miracle, on veut donc installer la maladroite et empruntée et guindée raison (David,Cybern.,1965, p. 49). B. − [En parlant d'une manifestation, d'un produit de l'activité hum. ou animale, du comportement] Qui dénote un manque d'adresse. Prévenir les erreurs dans lesquelles un usage maladroit de la théorie pourrait entraîner (Condorcet,Esq. tabl. hist.,1794, p. 187).Sa générosité, qui est proverbiale, revêt souvent une forme si maladroite qu'elle en devient presque blessante (Martin du G.,Devenir,1909, p. 39).Tant d'existences manquées et obstinément recommencées et de nouveau manquées − comme les efforts maladroits d'un insecte tombé sur le dos (Sartre,Nausée,1938, p. 169).V. afféterie ex. 7, épris ex. de Bernanos et supra ex. 4: 6. Ils allaient du même pas, obligés de se presser l'un contre l'autre, de cette allure gênée, maladroite, spéciale aux prisonniers que la chaîne unit par le bras et entrave.
Van der Meersch,Invas. 14,1935, p. 461. SYNT. Acte, baiser, coup, geste, mouvement, pas, rire, sourire maladroit; empressement, réflexe, zèle maladroit; éloge, hommage, mensonge, mot, propos maladroit; essai, procédé maladroit; action, caresse, démarche, enjambée, foulée maladroite; agitation, bonté, familiarité, fierté, franchise, grâce, hâte, insouciance, méfiance, naïveté, pitié, politesse, réaction, spontanéité, véhémence maladroite; parole, phrase, question maladroite; combinaison, décision, feinte, initiative, insistance, manoeuvre, offre, opération, précaution, tentative maladroite; doléances, façons, généralisations maladroites; art, article, dessin, enchaînement, langage, passage, style maladroit; écriture, expression, intrigue, lettre, mise en scène, oeuvre, page, peinture, pièce, rédaction, syntaxe, traduction maladroite; politique, stratégie, tactique maladroite; alignement, échafaudage maladroit; bouquet maladroit; piqûre maladroite; vol maladroit (d'un oiseau). − Tournure impers. Il est maladroit de + inf.Bientôt l'esprit retors du futur lieutenant-colonel s'aperçut qu'il était maladroit de tant chanter la Marseillaise. Aussi fut-il le premier lieutenant du régiment qui obtint la croix (Stendhal,L. Leuwen,t. 1, 1835, p. 31).Omer n'osa présenter tout haut ces remarques, parce qu'il prévoyait le triomphe du général: dès lors, il eût été maladroit d'agir en adversaire (Adam,Enf. Aust.,1902, p. 514). Rem. Maladroit est rarement antéposé, sauf dans des emplois vieillis et littér. Le maladroit enfant (...) venait, sans le savoir, (...) d'enfoncer le doigt à l'endroit le plus sensible de sa plaie (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 113). Il signera ces maladroites et gauches compositions: le Camouflet et le Château de cartes (Goncourt, Art XVIIIes., 1882, p. 55). Cette maladroite pudeur que l'on nomme le sens du ridicule (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 150). V. supra A 3 ex. de David. Prononc. et Orth.: [maladʀwa], [-wɑ], fém. [-wat], [-wɑ:t]. Martinet-Walter 1973, 9/17: [-a-], et 8/17: [-ɑ-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1538 «qui manque d'adresse corporelle» (Est.); cf. 1540 (Amadis des Gaules, éd. H. Vaganay, t. I, 142, ligne 30); b) av. 1654 «qui dénote de la maladresse, de la gaucherie» corps maladroits (Balzac, liv. II, lett. 9 ds Littré); 2. a) 1642 «qui manque de tact, d'assurance dans l'action» ici subst. (Corneille, Polyeucte, V, 1); b) 1656, 25 nov. «qui traduit un manque d'assurance dans l'action» (Pascal, Provinciales, XV, éd. L. Lafuma, p. 444: cela n'est pas maladroit); cf. 1794 un usage maladroit (Condorcet, Esquisse tabl. hist., p. 187). Comp. de mal2* et de adroit*. Fréq. abs. littér.: 1113. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 662, b) 1270; xxes.: a)2000, b) 2284. Bbg. Mack. t. 2 1939, p. 182. |