| MALADRESSE, subst. fém. A. − Au sing. [Gén. avec art. déf.] Caractère, qualité de celui ou de ce qui est maladroit; caractère maladroit de quelqu'un ou de quelque chose. Les entraves font ressortir l'habileté de l'esprit; mais il y a souvent dans le vrai génie une sorte de maladresse (Staël, Allemagne, t. 2, 1810, p. 111).Tous ces détails étaient traités avec tant de grandeur et tant de maladresse qu'ils étaient en harmonie parfaite avec le reste de l'image (Sartre, Nausée, 1938, p. 186).Qu'il manifestât au travail un zèle désordonné qui allait parfois jusqu'à briser quelque machine, cela passait sur le compte de la maladresse (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 248).V. désorientation ex.: 1. Inutile de souligner la part inévitable d'imperfection qui est impliquée dans toute entreprise humaine, les erreurs, les lacunes imputables à la maladresse, la négligence...
Marrou, Connaiss. hist., 1954, p. 234. 1. Maladresse + déterm. a) [Le déterm. exprime une qualité] L'arrangement de cette phrase était d'une maladresse complète (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 427).Elle ne voyait pas qu'elle ne pouvait rien faire de pis que de chercher à s'imposer; et, avec sa maladresse habituelle, elle continua, les jours suivants (Rolland, J.-Chr., Adolesc., 1905, p. 288).Il maniait les mots avec une espèce de maladresse puissante, une gaucherie, une lourdeur, qui arrivaient à de frappants effets (Van der Meersch, Empreinte dieu, 1936, p. 92): 2. L'un et l'autre se battaient pour la première fois de leur vie, avec une touchante maladresse qui eût fait sourire Archambaud en d'autres circonstances.
Aymé, Uranus, 1948, p. 199. SYNT. Maladresse affligeante, apparente, déconcertante, épouvantable, étonnante, étrange, extraordinaire, extrême, impardonnable, inconcevable, incroyable, inimaginable, insigne, irritante, rare, volontaire; maladresse adorable, charmante, émouvante, exquise, naïve, pathétique, poignante, sympathique, touchante. b) [Le déterm. exprime une relation] − [Le déterm. désigne la nature, la forme ou l'origine de la maladresse] Maladresse fébrile, foncière; maladresse de femme, d'initiateur, d'isolé, d'ivrogne, de noyé. Elle s'était assise, elle (...) tenait [sa fille] sur les genoux, avec une maladresse de gamine jouant à la poupée (Zola, Joie de vivre, 1884, p.1117).Il y avait, dans ses gestes, une maladresse volubile et tremblante, comme dans son babil (Duhamel, Confess. min., 1920, p.140).Je vous avouerai bientôt à quel point je dissimule une maladresse native sous un faux air désinvolte (Cocteau, Poés. crit. II, 1960, p.140).V. amusement ex. 3: 3. ... ils auront reconnu toute la fougue, toute la tremblante maladresse de l'adolescence, dans ces visages émus, ces voix troublées, et ces attitudes si naturellement nobles, confiantes et royales, de la seule royauté qui vaille, la royauté de la jeunesse.
Brasillach, Corneille, 1938, p. 435. − [Le déterm. désigne le domaine dans lequel s'exerce la maladresse]
α) [Le déterm. est un adj.] Maladresse intellectuelle, motrice, pratique, technique, verbale; maladresse tonale. Ainsi va la routine de souffrir, comme va l'habitude de la maladresse amoureuse, comme va le devoir d'empoisonner, innocemment, toute vie à deux (Colette, Naiss, jour, 1928, p. 8): 4. Les égalitaristes modernes, en cessant de comprendre (...) que l'essence du concret est l'inégalité, ont montré, outre leur insigne maladresse politique, l'extraordinaire grossièreté de leur esprit.
Benda, Trahis. clercs, 1927, p. 100.
β) [Le déterm. est un compl. prép.] ♦ Maladresse à + subst.Un bon chrétien (...) doit manquer d'un certain attachement profond à la vie (...). D'où sans doute (...) une certaine incertitude, inexactitude et maladresse à la vie (Péguy,
Œuvres en prose, Toujours de la grippe, Paris, Gallimard, 1900, p. 191).Pas un instant je ne déplorai ma maladresse au jeu, ni la coupe rudimentaire de ma robe de pongé rose (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p. 148). ♦ Maladresse à + inf.Maladresse à articuler, à s'expliquer. Quenu riait de sa maladresse à faire les omelettes (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 641).Aimons donc sa maladresse à feindre, qui mieux que tout, c'est vrai, nous montre qu'elle est «nature» (Montherl., Pte Inf. Castille, 1929, p. 661). ♦ Maladresse dans/en + subst.Maladresse dans la discussion, dans la lutte, dans les choses du coeur. Les faux pas et la maladresse en affaires (Cocteau, Appogiatures, 1953, p. 64). ♦ Maladresse de + subst.Maladresse d'accent, d'écriture, de gestes, de langue, de paroles, de style. La Loi qui récompense les travailleurs, de M. Villeclère, est d'une insigne maladresse de procédé (Péladan, Décad. esthét., Salon de 1883, 1888, p. 75). ♦ Maladresse de + inf.Ils gardent toujours quelque infériorisation, depuis le charme d'une timidité un peu gauche jusqu'à une maladresse de vivre foncière à travers le succès même (Mounier, Traité caract.,1946, p. 94). − [Le déterm. désigne la pers. maladroite ou la partie du corps concernée] Maladresse des mains. Rien n'est au-dessous des pièces modernes (...) si ce n'est la maladresse des acteurs qui les jouent, et la stupide patience du public qui les écoute (Jouy,Hermite, t. 1,1811, p. 278)Il dessinait comme un barbare, (...) se fâchant contre la maladresse de ses doigts et la désobéissance de son outil (Baudel., Curios. esthét., 1863, p. 329).D'où vient alors cette légende de la maladresse, de la gaucherie du peintre aixois [Cézanne]? (Lhote, Peint. d'abord, 1942, p. 131).V. adresse ex. 6, maladroit A 1 a ex. de Karr et Dumas père. − [Le déterm. désigne une manifestation de l'activité hum., du comportement] Maladresse de la marche, d'une étreinte; maladresse d'une combinaison, d'un jugement, d'un propos, d'une proposition; maladresse de l'expression, du langage, des mots; maladresse d'un jeu de scène. Sa robe à volants soulevée par une puissante crinoline faisait ressortir la gaucherie de sa personne et la maladresse de ses mouvements (About, Roi mont., 1857, p. 35).Grivet se faisait (...) remarquer par la maladresse de ses offres (Zola, Th. Raquin, 1867, p. 176): 5. Elle produisait chez lui une brusque augmentation de la vie, qui se traduisait par la vivacité, la maladresse des gestes, un air à la fois caressant et rude, je ne sais quoi d'incontrôlé, tel un homme qui est réveillé en sursaut.
Chardonne, Femmes,1961, p. 24. 2. Verbe + maladresse.Avouer, regretter sa maladresse; se guérir, s'en vouloir de sa maladresse; être victime, rire de la maladresse de qqn, reprocher à qqn sa maladresse. Il faut, en présence de la chère petite fille, qu'il devienne fin, délicat, subtil (...). Autrement, elle va avoir peur ou honte de sa maladresse (Michelet, Journal, 1858, p. 411).Je dansais très mal. Mademoiselle Gobelin (...) souffrait de ma maladresse, et, bien des fois, elle m'offrit de me donner des leçons (A. France, Vie fleur, 1922, p. 505). ♦ Être d'une grande, d'une rare, de la dernière maladresse. Être (très) maladroit. Je ne suis ni docteur, ni révérend; je ne saurais donc te préparer de la morale, j'y suis tout à fait impropre, je serais de la dernière maladresse si j'essayais (Balzac, Lys,1836, p. 269).V. supra A 1 a ex. de Stendhal. 3. Loc. adv. ♦ Avec maladresse. Maladroitement. J'ignore si je n'agis pas avec maladresse, mais je sais que j'agis avec franchise (Hugo, Corresp., 1820, p. 307).C'est un procédé qui est justifiable en soi, mais qui est, ici, appliqué avec maladresse (Maillet, Peint. relig.,1934, p. 15).Le marinier peinait, à bord, arc-bouté sur sa gaffe. La lourde et massive barque obéissait avec maladresse (Van der Meersch, Empreinte dieu, 1936, p. 63). ♦ Par maladresse. D'une manière qui dénote un manque d'adresse, d'habileté. Trahir par maladresse. Oh! soyez tranquille, observa froidement Rocambole, le marquis Van Hop est le meilleur tireur de pistolet que je connaisse. Il ne vous tuera point par maladresse (Ponson du Terr., Rocambole,t. 3, 1859, p. 231).Il n'aimait pas beaucoup sa fille, qu'il avait eue par maladresse, en un temps où il s'était bien juré de n'avoir plus d'enfants (Montherl., Démon bien, 1937, p. 1244).Régnier (...) te soupçonne de porter, par maladresse ou par dessein, la responsabilité de cette opération de police (Nizan, Conspir., 1938, p. 178). B. − P. méton., au sing. ou au plur. Manifestation d'un manque de savoir-faire, de savoir-vivre, d'habileté; action maladroite. M. Suard, qui a fort bien apprécié Garnier, relève un peu sévèrement chez lui certains anachronismes et certaines inconvenances qui me semblent bien moins des méprises d'ignorant que des maladresses d'érudit (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr., 1828, p.216).J'aime les maladresses de ce livre, ce mélange de gaucherie et d'audace, l'intraitable sérieux de l'auteur (Green, Journal, 1932, p. 96).Il s'agit de rebuts anormaux ou accidentels provenant souvent de malfaçons ou de maladresses des agents d'exécution (Villemer, Organ. industr., 1947, p. 199): 6. L'insupportable professeur parla longtemps encore, ajoutant les inconvenances aux maladresses, les impertinences aux incivilités, accumulant les incongruités, méprisant ce qui est respectable, respectant ce qui est méprisable; mais personne ne l'écoutait.
A. France, Île ping., 1908, p. 331. 1. Verbe + maladresse.Réparer une maladresse; accumuler les maladresses, maladresse sur maladresse. Soyez toujours en éveil, sinon vous manquerez de bonnes occasions ou direz des maladresses (Maurois, Disraëli, 1927, p. 48).Il n'en reste pas moins, Monsieur Pasquier, que vous avez commis non seulement une maladresse, non seulement une imprudence, mais encore une incorrection (Duhamel, Combat ombres, 1939, p. 170).Salaud! Quand je pense qu'il a failli m'échapper! dit Vincent. C'est ma faute, j'ai fait une maladresse (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 564). 2. Locutions ♦ C'est une maladresse de + inf. C'est maladroit de. Beaucoup de choses peuvent souvent être tirées plus commodément de l'étranger, que de son propre pays; et alors c'est une grande maladresse de s'en priver (Destutt de Tr., Comment. sur Espr. des lois, 1807, p. 335). ♦ Avoir la maladresse de + inf. Commettre l'erreur de, l'action maladroite de. Oui vraiment, dit le lieutenant, malheur à moi si j'avais eu la maladresse d'épouvanter la tendre Mandane! (Hugo, Han d'Isl., 1823, p. 59).Il avait eu la maladresse de prendre une part, dans une fabrique de soie qui périclitait (Zola, Pot-Bouille, 1882, p. 248).On lui proposa une réforme temporaire de trois mois, qu'il eut la maladresse de refuser (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 182). Prononc. et Orth.: [maladʀ
εs]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1733 «manque d'habileté, de savoir faire dans la conduite, les rapports sociaux, etc.» (Marivaux, Heur. stratagème, II, 7, p. 82); 2. 1740 «manque d'habileté dans le comportement physique, le travail manuel» (Ac.); 3. 1755 «action maladroite» maladresses sur maladresses (Argenson, Journ. Mém., t. 9, [éd. 1756], p. 179). Dér. de maladroit* d'apr. adresse*. Fréq. abs. littér. 657. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 523, b) 777; xxes.: a) 1017, b) 1318. |