| MADRIGAL, -AUX, subst. masc. A. − MUS. ANC. Principalement en Italie, du xiveau xviiesiècle, composition vocale polyphonique sans accompagnement ou monodique avec accompagnement, en style fugué ou en canon, faite sur un texte poétique dont elle s'attache à rendre les nuances. Il y avait un madrigal à cinq voix (par Palestrina), délicieuse composition pleine d'amour et de suavité (Vigny, Journal poète, 1833, p. 983).La disposition harmonique de Machaut nous fait faire ainsi connaissance, en plein XIVesiècle, avec la forme du «madrigal accompagné» (Gastoué, Prim. mus., 1922, p. 62).Les neuf Livres de madrigaux de Monteverdi illustrent admirablement l'évolution du genre, de son épanouissement à son déclin, en passant par son apogée (5eLivre) (Candé1961). B. − LITT. En France, principalement du xvieau xviiiesiècle et particulièrement chez les poètes mondains du xviiesiècle, pièce de poésie consistant en une pensée exprimée avec finesse en quelques vers de forme libre et prenant souvent, à l'égard d'une femme, la tournure d'un compliment galant. Quand roucoulerez-vous, ô reines de salon! Ces madrigaux ouvrés et ces fadaises tendres Qu'improvisaient pour vous de précieux Clitandres? (Banville, Cariat., 1842, p. 28).Nous ne trouvions pas de mots pour exprimer sa beauté; ou plutôt, nous ne trouvions que des paroles banales qui n'exprimaient rien du tout; des vers de madrigaux: yeux de velours, rameau fleuri, etc., etc. (Larbaud, F. Marquez, 1911, p. 14): 1. Je connais tous les tons de la gamme du rose (...)
Mais le rose qui monte à votre front nacré
Au moindre madrigal qu'on vous force d'entendre
De la fraîche palette est le ton le plus tendre.
Gautier, Poés., 1872, p. 307. − P. ext. Compliment; en partic. propos galant adressé à une femme. «Une Espagne sans Biscaye et sans Catalogne serait un pays semblable à vous, mon général: borgne et manchot.» Ce qui (...) ne pouvait passer pour un madrigal (Malraux, Espoir, 1937, p. 751): 2.... si quelque génie (...), quelque démon (...) venait me dire: «(...) Que cherches-tu dans les yeux de cet être? Y vois-tu l'heure, mortel prodigue et fainéant?» Je répondrais sans hésiter: «Oui, je vois l'heure; il est l'éternité!» N'est-ce pas, madame, que voici un madrigal vraiment méritoire, et aussi emphatique que vous-même?
Baudel., Poèmes prose, 1867, p. 81. Prononc. et Orth.: [madʀigal], plur. masc. [-o]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1542 au plur. madrigales «petites poésies galantes» (B. Aneau, Lyon marchant ds Hug.); 1578 id. madrigals (Ronsard, Sonets et Madrigals pour Astree ds
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 17, p. 179); id. au sing. madrigal (Id., ibid., p. 339); 2. 1768 mus., à propos de la mus. ital. (Rousseau). Empr. à l'ital. du Nord madrigale (attesté au sens 1 dep. le xives., Antonio da Ferrara, sous la forme madrial; au sens 2 à la même époque, Poesie musicali del'300, sous la forme matrical; v. Batt.) d'orig. incertaine: − L.Biadene (ds Rassegna bibliografica della Letteratura italiana t. 6, 1898, pp. 329-336), s'appuyant sur la forme lat. médiév. matricale (attestée en 1318-25 chez Francesco da Berberino), et suivi par L. Spitzer (Essays in Historical Semantics, 1948, pp. 28-29) a proposé le lat. matricalis, proprement «qui se rapporte à la matrice», d'où (carmen) matricale «(chant, poème) en langue maternelle» p. oppos. aux compositions en lat.; B. Migliorini (Saggi linguistici, 1957, pp. 288-289) reprend aussi cette hyp. mais donne à matricalis le sens de «ingénu, naïf» comme celui qui vient de naître, de sortir de la matrice (v. naïf); _ L. Spitzer (ds Z.rom. Philol. t.55, pp. 168-170), puis G. Rohlfs (ds Arch. St. n. Spr. t.183, pp. 38-44), prenant en compte le fait que la forme la plus anc. en ital. est madriale, pensent que matricale est peut-être une réfection latinisante par étymol. pop. de madriale, et qu'il faut alors préférer l'étymon lat. materialis (hyp. déjà émise par Bembo, 1remoitié du xvies., v.Batt.) qui, pour L. Spitzer aurait signifié «bâtard» (cf. lat. médiév. filius materialis et materialis «bâtard», à Florence ds Du Cange; le madrigal aurait été considéré comme un genre bâtard, entre musique et poésie), ou «grossier», et qui, pour G. Rohlfs, aurait signifié plutôt «simple, familier, sans complication» (cf. ital. materiale «simple; rustique, peu raffiné», v.Rohlfs, loc. cit., p.43), sens qui correspond mieux à la spécificité du madrigal; la forme madrigale s'expliquerait alors par un phénomène phonét. particulièrement répandu en Italie du Nord (Rohlfs §339); −FEW t.6, 1, p.495b, note11, signale une 3ehyp. due à G. Alessio ds Lingua Nostra t.3, p.109: madrigale serait issu d'un lat. *metricalis avec infl. de madre «mère», mais G. Alessio n'a pas repris cette hyp. ds son Lexicon etymologicum. Fréq. abs. littér.: 114. DÉR. 1. Madrigalesque, adj.Relatif au madrigal musical ou poétique. Genre, écriture, chanson madrigalesque. Au XVIesiècle [le madrigal] était une composition savante, en Italie, dans laquelle les usages du contrepoint à 5 ou 6 voix, alors en plein épanouissement donnèrent naissance au style madrigalesque (Rougnon, 1935).− [madʀigalεsk]. − 1reattest. 1768 style madrigalesque, à propos de la mus. ital. du xvies. (Rousseau); de madrigal, suff. -esque*; prob. formé sur le modèle de l'ital. madrigalesco, attesté comme terme de mus. dep. 1636 (stile madrigalesco chez G. B. Doni ds Batt.). 2. Madrigalique, adj.Synon. de madrigalesque.Werner croit qu'il y a de la prédestination dans l'amour, et que les êtres créés l'un pour l'autre doivent se reconnoître à la première vue. C'est une très-agréable doctrine métaphysique et madrigalique, mais qui ne sauroit guère être comprise sur la scène (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 139).− [madʀigalik]. − 1reattest. 1800 (G. de Staël, De la Littérature, 1repartie, ch. XIX, p. 251, d'apr. A. Jourjon ds R. Philol. fr. t. 43, p. 30); de madrigal, suff. -ique*. 3. Madrigaliser, verbe.[Correspond à supra B] a) Emploi trans.
α) Qqn madrigalise qqc.Exprimer quelque chose sous forme de madrigal, sur le ton du madrigal. Madrigaliser tout ce que l'on dit (Nouv. Lar. ill.). S'il [J. B. Rousseau] mêlait sans scrupule Orphée et Protée avec le comte du Luc, Flore et Cérès avec le comte de Zinzindorf, il n'hésitait pas non plus à madrigaliser l'antiquité, et à marier Danchet et Homère (Sainte-Beuve, Portr. littér., t. 2, 1844-64, p. 141).Au part. passé. Clémence n'était pas une fille à ranger au nombre des conquêtes faciles, comme il s'en fait tant les soirs de bal, à l'aide de deux ou trois lieux communs madrigalisés et d'une bouteille d'aï frappée (Murger, Scènes vie jeun., 1851, p. 96).
β) Qqn madrigalise qqn.Complimenter quelqu'un par des madrigaux; En partic. courtiser une femme en lui adressant des paroles galantes. Madrigaliser une femme (Lar. 19e-20e). Au part. passé. Une femme ne doit pas renoncer ainsi au plaisir d'être courtisée, madrigalisée et adorée (Th. Gautier dsLar. 19e).Vous savez tous combien Philis était puissante en ce temps-là, comme elle était choyée, madrigalisée (Th. Gautier dsGuérin1892).b) Emploi intrans. Qqn madrigalise. Faire des madrigaux; s'exprimer sur le ton des madrigaux (notamment en courtisant une femme). Le comte, auprès de cette fille, papillonnait, madrigalisait (Richepin, Glu, 1881, p. 152).Il [Beethoven] se dit prêt à composer tout ce qu'on veut. Il se montre même d'humeur galante, il serre une belle actrice sur son coeur, − «Moi, le capitaine, le capitaine!...». Il madrigalise en musique (Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p. 90).Je crains encore une certaine entrevue fatale − la première qui aura lieu dans une fête de charité où, peut-être, faudra-t-il madrigaliser, une aumônière à la main (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1892, p. 160).P. ext. Qqn. madrigalise avec qqn. Avoir des jeux galants avec une personne. Synon. badiner.Isolé dans un coin avec une jeune femme venue là par hasard et dont il s'était emparé, le poëte madrigalisait avec elle de la parole et des mains (Murger, Scènes vie boh., 1851, p. 268).− [madʀigalize]. − 1reattest. 1797 au part. passé (Feuilleton des spectacles, Suppl. à la Quotidienne, 19 mars, 1-2 ds Quem. DDL t. 3: tirades madrigalisées); de madrigal, suff. -iser*. 4. Madrigaliste, subst. masc.a) Mus. anc. Compositeur de madrigaux. Les premiers grands madrigalistes italiens ou italianisants, A. Gabrieli (...), Philippe de Monte, Roland de Lassus, Palestrina, sont les disciples spirituels (et peut-être réels) de C. de Rore (Candé1961).b) Litt. Auteur de madrigaux. Vaudevillistes, madrigalistes (L.-B. Picard, La Grande ville, 1802, II, 1 ds Littré Add. 1872); ds Guérin 1892, Lar. 19e-Lar. encyclop., Quillet 1965; Lar. Lang. fr. et Lexis 1975 enregistrent le terme sans précision de domaine).− [madʀigalist]. − 1reattest. 1802 (L.-B. Picard, loc. cit.); de madrigal, suff. -iste*. BBG. − Hope 1971, p. 207. _ Kohlm. 1901, p. 49. _ Sar. 1920, p. 15. _ Wind 1928, p. 40, 118, 195. |