| MACABRE, adj. A. − Danse macabre. Danse théâtrale du Moyen Âge, problablement d'inspiration religieuse, représentant la Mort entraînant tour à tour dans une ronde funèbre des personnes de toutes conditions. Synon. danse des morts.C'est au cimetière des Innocents à Paris qu'une représentation des danses macabres aurait été faite un 2 novembre, jour de la Fête des Morts, au XVe(Baril1964): 1. Il était juste que la danse macabre naquît au moyen âge des représentations dramatiques, tant la satire sociale s'y mêle à l'avertissement tragique qu'elle nous donne sur notre destinée. La mort nous rend quelconques. Elle supprime la fierté et l'orgueil de la colère. Elle rend le squelette si pareil au squelette que l'évêque ne se distingue plus du roturier, ni la belle du laideron.
J. Vuillemin, Essais signif. mort, 1949, p. 166. ♦ P. méton. Composition artistique figurant ou évoquant cette danse. La Danse macabre de Saint-Saëns. De médiocres reproductions en cire de la Danse macabre de Jean Klauber, détruite en 1805 avec le cimetière des Dominicains (Hugo, Rhin, 1842, p. 375).[Dans le cloître des Innocents] Tandis qu'elle récitait ses heures au pied de l'estrade, sous la grande danse macabre (A. France, Contes Tournebroche, 1908, p. 61). − Au fig. La mort et la vie se poursuivent, se mêlent, s'entrelacent dans cette danse macabre où la destinée nous entraîne tous. Encore quelques pirouettes et il faudra aussi faire le saut, en personne (Amiel, Journal, 1866, p. 153).L'Angleterre officielle annonçait qu'elle aussi entrait généreusement dans la danse macabre (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 694). B. − Qui est relatif à la mort ou aux morts. Synon. funèbre.Découverte macabre; nouvelles macabres; scènes, histoires, plaisanteries macabres; goût, genre, humour macabre. Tahiti, disait Pomaré, était la seule île où, même dans les plus anciens temps, les victimes n'étaient pas mangées après le sacrifice; on faisait seulement le simulacre du repas macabre (Loti, Mariage, 1882, p. 88).Ces hôtelleries pour défunts existent un peu partout en Amérique (...). Quel parti un Edgar Poe eût tiré de cette institution macabre! (Green, Journal, 1937, p. 101): 2. Ce portrait de Valdès Léal est un bien autre chef-d'oeuvre que le tableau macabre qu'il a peint dans l'église et qui l'a rendu singulièrement célèbre. Je veux parler des cadavres rongés par les vers, sous la devise Finis gloriae mundi. Le goût romantique de la putréfaction, qui devait aboutir aux enfantillages funèbres de Baudelaire...
T'Serstevens, Itinér. esp., 1933, p. 157. ♦ Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Ce qui présente ce caractère. Synon. dans les arts, en littérature de genre macabre.Il [Rollinat] devrait lâcher le macabre et écrire un livre de prose sur ce dont il cause si bien et d'une manière si spéciale (Goncourt, Journal, 1886, p. 575).Dans les formes extrêmes ce goût de la dramatisation devient un goût de l'horrible, du macabre, de l'anormal, du défendu (Mounier, Traité caract., 1946, p. 252). − P. anal. Qui évoque la mort par son caractère sinistre, lugubre. Avant de commencer vous m'accorderez bien qu'il n'y a rien de plus impressionnant et je dirai même de plus macabre que l'éclairage des compartiments de première classe (Lorrain, Sens et souv., 1895, p. 174).Une figure blême, glabre, grêlée, un peu macabre, mais un air de grande bonté (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 516). REM. 1. Macabrement, adv.D'une manière macabre. Une des plus terribles impressions de sa vie, ça avait été de voir le farceur du Palais-Royal, avec sa tête de mort, prier, prier et ne pouvant s'empêcher de rendre sa prière macabrement comique par ses gnouf! gnouf! (Goncourt, Journal, 1893, p. 374).Il s'exhalait d'elle [la Lanterne de Rochefort], à peine entr'ouverte, une odeur de tombeau, où des os maxillaires riaient, macabrement (L. Daudet, Brév. journ., 1936, p. 45). 2. Macabrerie, subst. fém.,hapax. Poème, fantaisie du genre macabre. En effet, en ces temps de faciles, de fades, d'insipides, de banales et d'au fond odieusement et abusivement bourgeoises macabreries, il est digne et sain d'entendre une voix qui chante bien (Verlaine,
Œuvres posth., t. 3, Prose, 1896, p. 342). Prononc. et Orth.: [makɑ:bʀ
̥], [-ka-]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. 1. a) 1376 (J. Le Fèvre, Respit de la Mort, éd. G. Hasenohr-Esnos, 3078: Je fis de Macabré la dance = prob.: «j'ai composé la dance Macabré», cf. note pp. 195-197 et G. Paris ds Romania t. 24, pp. 129-132); b) apr. 1433 p. métaph. (J. Régnier, Fortunes et Adversitez éd. E. Droz, p. 216, 73-74: aller a la dance De Macabré = «mourir»); fin xves.-début xvies. (Anc. poésies fr., éd. A. de Montaiglon, t. 8, p. 349: Je danseray la macabrée danse); 1611 (Cotgr.: Macabré. Danse Macabré. Death); c) 1811 Danse Macabre (Champollion-Figeac, Notice d'une Edition de la Danse Macabre, antérieure à celle de 1486 [= Paris, Guyot Marchant, 1485] ds Magasin Encyclop. t. 6, p. 355); 2. 1843 p. ext. «relatif à la mort, lugubre» (Gautier, Tra los montes, p. 64); 1855 subst. (Goncourt, Journal, p. 199: d'un macabre poignant). Orig. controversée (voir FEW, t. 6, 1, pp. 2a-3a). Les étymol. orientales qui ont été proposées (ar. maqbara, maqbura, plur.; maqābir «cimetière», v. Van Praet cité par Champollion-Figeac, op. cit., pp. 367-368; syriaque meqabberêy, meqabr ey «fossoyeurs», v. Fr. mod. t. 15, pp. 96-98 et Romania t. 71, pp. 408-412) manquant de fondement, il semble préférable de voir en Macabré (lu à tort macabre au xixes., cf. 1811, supra et Romania t. 18, p. 513) une var. du nom propre d'orig. biblique Macchabée (cf. p. ex. ca 1190, Gui de Cambrai, Vengement Alixandre, éd. B. Edwards, p. 96, 1748 [var. 2emoitié xiiies.]: Judas Macabrés; ca 1200, 2eContinuation de Perceval, éd. W. Roach, t. 4, p. 500, 32278 [var. xiiies.]: judas macabre). Quatre cheminements ont été proposés: a) Macabré serait le nom d'un peintre ayant représenté une danse de la Mort dont Jean Le Fèvre se serait inspiré pour un poème, intitulé La dance (de) Macabré, qu'il aurait composé avant Le Respit de la Mort (G. Paris ds Romania t. 24, pp. 129-132; cf. les peintures murales du cimetière des Innocents à Paris, exécutées en 1425, auxquelles fait allusion le J. d'un bourgeois de Paris (1405-1449), éd. A. Tuetey, p. 234, qui mentionne un cordelier ayant prêché aux Innocents en avril 1429 «le dos tourné vers les Charniers encontre la Charonnerie, à l'androit de la Dance Macabre»). Contre cette hyp., l'objection de E. Mâle, L'art religieux à la fin du Moy. Âge en France, 1908, cité ds G. Huet, La Danse Macabré ds Le Moy. Âge, t. XXIX, p.152: «jamais, au moyen âge, on n'a désigné une oeuvre d'art par le nom de son auteur». b) Macabré serait le nom d'un poète ayant composé le texte accompagnant des oeuvres picturales représentant une danse de la Mort (G. Huet, op. cit., p. 158: «on a très bien pu désigner, aux xiveet xvesiècles, la Danse des morts par l'expression Danse Macabré ou Danse de Macabré, le mot Macabré indiquant l'homme qui était considéré, à tort ou à raison, comme l'inventeur du thème»). À l'appui des deux précédentes hyp., l'art. de Machabey ds Romania t.80, p. 124, qui mentionne Maquabré, Makabré, etc., attesté comme nom de famille à partir de 1333, à Porrentruy. c) Selon H. Sperber, The etymology of macabre ds Mél. Spitzer, pp. 391-401, l'auteur d'une danse de la Mort (peut-être Jean Le Fèvre) en aurait attribué le prologue à un «prédicateur», identifié avec Judas Macchabée (en raison du passage de II Macc. 12, 38-46, où est mentionnée la prière pour les morts). d) On a encore supposé (Littré; Gde Encyclop. t. 13, p.884) que la danse Macabré aurait été à l'orig. une danse liturgique, une procession dansée ou un mystère, représentant le martyre des sept frères Macchabées qui moururent l'un après l'autre pour leur foi (II Macc. 7), et où les danseurs disparaissaient tour à tour pour signifier que chaque être humain doit subir la mort (cf. ds Du Cange le lat. médiév. choraea Machabaeorum «danse des Macchabées», représentation scénique donnée dans l'église St Jean l'Évangéliste à Besançon en 1453; en m. néerl. Makkabeusdans, au xves. ds Romania t. 24, p. 588). Mais cette hyp. se heurte au fait que Macabré est toujours au sing. dans les textes français. Fréq. abs. littér.: 160. Bbg. D. (A.) Macabre. Fr. mod. 1947, t. 15, pp. 97-98. _ Du Bruck (E.). Another look at macabre. Romania 1958, t. 79, pp. 536-544. _ Eisler (R.) La Danse macabre. Fr. mod. 1947, t. 15, pp. 96-97; Traditio 1948, t. 6, pp. 187-225. _ Lecoy (F.). Romania 1950, t. 71, pp. 408-412. _ Machabey (A.). À propos de la discussion sur la Danse Macabre. Romania 1959, t. 80, pp. 118-129. _ Migl. 1968 [1927], p. 11, 158; 328. _ Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p.259, pp. 289-291; t. 3 1972 [1930], p. 367. _ Spitzer (L.). La Danse macabre. Mél. Dauzat (A.) 1951, pp. 307-321. |