| LÉCHER, verbe trans. I. − Qqn lèche qqc. A. [L'obj. désigne un animé ou un inanimé] 1. Passer la langue sur quelque chose pour nettoyer ou en signe d'attachement. a) [Le suj. est une pers.] :
1. ... élever laborieusement l'enfant, le coucher gorgé de lait tous les soirs, l'embrasser tous les matins avec le cœur inépuisé de la mère, le lécher sale, le vêtir cent fois des plus belles jaquettes qu'il déchire incessamment...
Balzac, Cous. Bette,1846, p. 196. − Emploi pronom. ♦ réfl. [Les femmes au théâtre] tirent d'une sorte de cabinet de toilette portatif appelé minaudière, des accessoires (...) et se lavent, se lèchent, se brossent, se poudrent, se peignent et grimacent dans un miroir (Cocteau, Foyer artistes,1947, p. 5). ♦ réciproque. Ces deux visages se léchaient avec fureur, comme s'ils étaient le sel l'un de l'autre (Giono, Eau vive,1943, p. 326). ♦ réciproque indir. Faut pas les déranger, paraît-il. C'est propre! (...) Ah! oui, ils sont bien trop occupés à se lécher la figure, là-haut! (Zola, Joie de vivre,1884, p. 944). − Au fig., emploi pronom. réfl. indir. Se lécher les babines, les badigoinces, les doigts, les lèvres. ♦ Savourer (un mets) avec un vif plaisir. J'étais bon cuisinier là-bas : te rappelles-tu comme on se léchait les doigts de ma cuisine? Et toi tout le premier, tu en as goûté de mes sauces, et tu ne les méprisais pas, que je crois (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 323).Tu en as mangé une cuisse ce soir... hein? Tu t'en es léché les doigts! (Zola, Germinal,1885, p. 1483). ♦ Se réjouir. Une vengeance d'écolier et sauvage dont il se léchait d'avance les lèvres (France, Chat maigre,1879, p. 224).Vous avez toléré que je me perde (...) − et sans doute vous léchiez-vous les lèvres, là-haut, en pensant que l'âme du pécheur est délectable (Sartre, Mouches,1943, III, 5, p. 75). b) P. anal. [Le suj. est un animal] Ulysse est de retour, ô spectacle touchant! Son chien le reconnoît, et meurt en le léchant (Delille, Homme des champs,1800, p. 136).Terré au secret de son repaire, le loup haletant lèche ses blessures (Mauriac, Journal 2,1937, p. 197): 2. ... un chien est un ami fidèle; on peut trouver en lui le meilleur des serviteurs, comme on peut voir aussi qu'il se roule sur les cadavres, et que la langue avec laquelle il lèche son maître sent la charogne d'une lieue.
Musset, Lorenzaccio,1834, III, 2, p. 190. − Emploi pronom. réfl. Les chats, qui, maigres et ardents, miaulent dans la saison d'amour, ou gras et indolents, se lèchent au soleil d'août (Toepffer, Nouv. genev.,1839, p. 138).Les plus fins et les plus propres des animaux [les renards], qui se peignent, qui se lèchent et s'arrangent jusqu'au bout des ongles (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 312). ♦ réfl. indir. Les daims et les cerfs ont recours, dit-on, au dictame, quand ils sont blessés. D'autres animaux se lèchent leurs plaies (Cl. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 50). 2. En partic. [Le suj. est une pers. ou un animal] Passer de petits coups de langue sur un aliment pour le manger. Des chiens, sous l'échafaud, léchaient le sang de la veille (France, Dieux ont soif,1912, p. 179).Pendant que la confiture faisait des bulles dans la grande cuvette en cuivre posée sur une manière de poêle... On me donnait à lécher l'écume des confitures, que je trouvais bien meilleure que la confiture elle-même (Triolet, Prem. accroc.,1945, p. 295).Les hommes en chemises fleuries qui croquaient des hot-dogs ou qui léchaient des glaces (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 522). 3. Loc. verb., fig., fam. Lécher les vitrines. Revoir des banques, St. Mary's Cathedral, retourner au Cannery, magasin en briques ultra-moderne, pour lécher boutiques (E. de Brissac, Ballade américaine, Paris, Stock, 1976, p. 133). B. − Au fig. 1. Qqn lèche (qqn).Flatter servilement. Elle fut adulée, courtisée, léchée à cause de son faste et du crédit dont elle jouissait auprès de sa fameuse amie (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 109). ♦ Emploi abs. Quand on n'est pas Tibère, on est Trimalcion. L'un rampe, lèche et rit pendant que l'autre opprime (Hugo, Légende, t. 6, 1883, p. 131). − [P. méton. de l'obj.] Lécher le cul du bon Marat (Chénier, Iambes,1794, p. 265).Tout pouvoir a des salaires À jeter aux flatteurs qui lèchent ses genoux (Lamart., Corresp.,1830, p. 86).Nous léchons les bottes des Fritz pour gagner notre bifteck (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 41). 2. Qqn lèche qqc.Achever et polir (un ouvrage) avec un soin excessif. Moi je l'ai vu [le portrait], les avis sont partagés, il y en a qui trouvent que c'est un peu léché, un peu crème fouettée, moi, je le trouve idéal (Proust, Swann,1913, p. 375). − [P. méton. du suj.] Ces infatigables polisseurs dont la lime lèche les porphyres les plus durs! (Balzac, Gaudissart,1834, p. 5). II. − Qqc. lèche qqc.P. anal., littér. Synon. de effleurer. A. − [Le suj. est une flamme] Des flammèches montèrent encore, léchèrent le plafond, s'éteignirent dans une lueur saignante de braise (Zola, Faute Abbé Mouret,1875, p. 1487).Un torchon brûle, et la flamme lèche déjà le bois blanc du buffet (Renard, Journal,1901, p. 647).Deux landiers supportent les bûches, dont la flamme lèche les flancs de la marmite (Faral, Vie temps St Louis,1942, p. 157). B. − P. anal. Des capillaires lèchent les flancs d'un marbre éboulé (Chateaubr., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 287).Sans un buisson pour s'abriter (...) du bruit éternel de la mer qui brise, de son écume qui lèche sans relâche le rocher poli (Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 109).Un village, parmi les arbres, se mire dans le fleuve. On voit les cyprès et les croix du cimetière par-dessus le mur blanc, que lèche le courant (Rolland, J.-Chr., Aube, 1904, p. 68). REM. 1. Le verbe a donné lieu à de nombreux dér. notamment au xixes., la plupart sans lendemain. Ainsi : a) [Correspond à lécher I A 1]
α) Léchades, subst. fém. plur.,hapax. Quand il a été trop loin, essayant de désarmer par (...) des léchades de porc à sa femme (Goncourt, Journal,1860, p. 755).
β) Léchante, adj. fém.,hapax. Des heures de repos, des rapatriements de bête châtiée et léchante (Goncourt, Journal,1858, p. 502).
γ) Léchotter, verbe trans.Lécher à petits coups répétés. Le chaton court après sa mère, (...) la léchotte, la mordille. (Léautaud, Journ. litt., 5, VIIIds Quem. DDL t. 2).
δ) Léchouillis, subst. masc.,hapax. Il est né 7 petits cochons, la nuit d'hier ou d'avant-hier. Ils étaient luisants de léchouillis. C'est un mot que je fabrique pour exprimer l'action, sur eux, du groin de la truie (Jammes, Corresp. [avec Gide],1896, p. 76). b) [Correspond à lécher I B 1] Léchables, subst. masc. plur.,hapax. L'époque des Lèchements de pieds approchait (...) on faisait des visites aux Léchables (L. Daudet, Morticoles,1894, p. 233). c) [Correspond à lécher I B 2]
α) Léchoter, verbe trans.,hapax. Un médiocre parmi les médiocres, un employé blond qui (...) léchotait de petits paysages en savon (Bloy, Hist. désobl.,1894, p. 109).
β) Léchotteries, subst. fém. plur.,hapax. De l'art qui palpite et qui vive, pour Dieu! Et au panier toutes les déesses en carton et toutes les bondieuseries du temps passé! Au panier toutes les léchotteries (...)! (Huysmans, Art mod.,1883, p. 14).
γ) Léchouiller, verbe trans.,,Lécher minutieusement et sans art`` (Rob. Suppl. 1970). d) [Correspond à lécher II B] Léchure, subst. fém.,hapax. Ne touche pas du doigt l'aile de ce papillon. − (...) Rien qu'à la place fauve-noir où glisse (...) ce feu violet, cette léchure de lune (Colette, Naiss. jour,1928, p. 14). 2. Lèche-, élém. de compos.V. lèche-bottes, lèche-cul, lèchefrite, lèche-vitrine(s) et aussi :a) Lèche-carreau(x),(Lèche-carreau, Lèche-carreaux) subst. masc.Synon. de lèche-vitrine(s).Voici quelques prix relevés au hasard d'un lèche-carreau (La Croix,25 juin 1969ds Gilb. 1971). b) Lèche-doigt(s) (À),(Lèche-doigt , Lèche-doigts ) loc. adv.,littér. et vx.
α) En trop petite quantité. Il nous a fait servir d'assez bonnes choses, mais il n'y en avait qu'à lèche-doigts (Ac.).
β) [Chez Sainte-Beuve] S'en donner à lèche-doigt (loc. verb.). Prendre un grand plaisir à. Synon. s'en donner à cœur joie.Les savants et les critiques érudits modernes qui ont à en parler [de l'amour] font d'ordinaire les dégoûtés en public, et ils s'en donnent à lèche-doigt dans le cabinet (Nouv. lundis,t. 2, 1862, p. 432). c) Lèchemiettes (À), loc. adv.,hapax. Le sentiment de notre fragilité empoisonne chaque désir, jamais un plaisir pur, plus de franche lippée. C'est à lèchemiettes qu'on prend part désormais au banquet de l'existence (Amiel, Journal,1866, p. 264). d) Lèche-pied, subst. masc.,littér. Synon. de lèche-bottes.Le lèche-pied se replie dans une rêverie trouble (Arnoux, Solde,1958, p. 37). Prononc. et Orth. : [leʃe], (il) lèche [lε
ʃ]. Conjug. cf. abréger. Ac. 1694 : lescher; 1718 : lecher; dep. 1740 : lécher. Étymol. et Hist. 1. a) 1remoitié du xiies. « passer la langue sur quelque chose » (Psautier Oxford, 71, 9 ds T.-L.); b) ca 1170 « enlever en léchant » (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 170); c) 1678 ours mal léché « ours qui n'est pas accompli » (La Fontaine, Fables, XI, 7; v. aussi Id., ibid., VIII, 10); 1694 « enfant difforme et mal fait » (Ac., s.v. ours); 1718 « homme mal fait et grossier » (Ac.); 2. a) début du xives. « flatter quelqu'un » (Ovide moralisé, éd. C. De Boer, XIII, 3289, 3293), attest. isolées; de nouv. 1879 (Cladel, loc. cit.); b) 1798 lécher le cul à qqn (Ac.); c) 1848 lécher les bottes de qqn (Balzac, Cous. Pons, p. 220); 3. a) 1680 léché « exécuté avec un soin minutieux » (Rich.); b) 1690 lécher « exécuter (une œuvre littéraire ou artistique) avec un soin minutieux » (Fur.); 4. 1826 « effleurer (en parlant de flammes) » (Chateaubr., Natchez, p. 135); 5. 1959 lécher les vitrines (Rob.). De l'a. b. frq. *lekkôn « lécher », cf. le m. néerl. licken, lecken, a. h. all. lecchōn, all. lecken « id. ». Cf. aussi lecator = gulosus (v. lécheur) dans les gloses attribuées à Isidore de Séville (CGL t. 5, p. 602, 51). La loc. ours mal léché fait allusion à la légende antique (déjà rappelée par Rabelais, Tiers Livre, XLII, éd. M. A. Screech, pp. 285-288 et La Fontaine,
Œuvres, éd. H. Régnier, t. 2, pp. 257-258, note 2) selon laquelle les ours naissent informes et que leurs mères les façonnent en les léchant. Fréq. abs. littér. : 491. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 553, b) 627; xxes. : a) 954, b) 706. DÉR. 1. Léchage, subst. masc.a) Action de lécher. La voûte [de ces fours] est (...) très peu incurvée dans le sens transversal afin d'augmenter le léchage du bain par la flamme et d'accroître le rayonnement (Barnérias, Aciéries,1934, p. 31).Ces effusions dévoyées, (...) ces léchages de museau (Morand, Extrav.,1936, p. 20).Loc. vulg. Léchage de cul. Action de flatter servilement; résultat de cette action. C'est depuis que la république existe que s'est développé cet asservissement, ce léchage-du-cul de l'étranger (Goncourt, Journal,1894, p. 514).Loc. fam. Faire du léchage de vitrine(s). Synon. de faire du lèche-vitrine(s). (Ds Rob. Suppl. 1970, Lexis 1975).b) Au fig. Action de mettre un soin extrême (pour finir une œuvre ou un ouvrage). Envoyez-moi encore d'autres photographies (...) je vous y examine, avec une loupe, pour retrouver, sur chacune, malgré le léchage des retouches, les lumières travaillées, un peu de votre être secret! (Colette, Vagab.,1910, p. 252).− [leʃa:ʒ]. − 1resattest. a) 1894 « action de flatter » (Goncourt, loc. cit.); b) 1907 « action d'effleurer (en parlant d'un courant d'air, etc.) » (Périsse, Automob., p. 156); c) 1910 « action d'exécuter avec un soin minutieux » (Colette, loc. cit.); d) 1925 « action de lécher (Serre ds Nouv. Traité Méd. fasc. 4, p. 17); de lécher, suff. -age*. 2. Lécherie, subst. fém.a) Action de lécher. Des tendresses, des câlineries, une voluptueuse lècherie de mère chatte (A. Daudet, Sapho,1884, p. 136).b) Fam. Gourmandise. (Ds Rob., Lar. Lang. fr., Lexis 1975). c) Démonstration exagérée de tendresse. Pour embrasser son fils (...) il lui fallait des circonstances extraordinaires. « Dans la famille, nous n'aimons pas les lécheries », disait-elle volontiers (A. Daudet, Pte paroisse,1895, p. 36).− [leʃ
ʀi]. [lε-] ds Lar. Lang. fr. (infl. de lèche). − 1resattest. a) 1155 « luxure » (Wace, Brut, 10745 ds T.-L.); b) 1178 « extrême gourmandise » (Renart, éd. M. Roques, XII, 13233); c) 1785 « action de lécher » (Sade, Les 120 journées de Sodome, part. 1, t. 1, p. 129 ds Quem. DDL t. 14); de lécher, suff. -erie*. BBG. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 299. - Sain. Sources t. 3 1972 [1930], p. 298, 433. - Walt. 1885, p. 73. |