| LYRISME, subst. masc. A.− CRIT. D'ART 1. LITT., rare a) Vieilli. Caractère d'une oeuvre poétique exprimant des thèmes religieux ou existentiels dans un style élevé et des formes savantes. Il fallait (...) détendre le vers alexandrin jusqu'à la négligence la plus familière (le récitatif), puis le remonter jusqu'au lyrisme le plus haut (le chant) (Vigny, Lettre Lord***, 1829, p. 276).Le lyrisme biblique ne lui est pas si étranger qu'il ne puisse faire naître du Cantique des cantiques, un Écoute, ma fille... d'une ampleur admirable et souveraine (Brasillach, Corneille, 1938, p. 426). b) Genre lyrique. Synon. (vieilli) le lyrique, la lyrique.L'expression d'un sentiment collectif et anonyme, où la personnalité d'un auteur disparaît, ainsi qu'on la voit être au début de toutes les civilisations (lyrisme choral des Grecs, hymnes religieux des premiers Romains, poèmes védiques, légendes finnoises, etc.) (Benda, Fr. byz., 1945, p. 152). 2. a) Tendance poétique, et plus généralement artistique, privilégiant l'expression plus ou moins vive de la subjectivité ou de thèmes existentiels dans des formes exploitant les ressources du moyen d'expression utilisé par l'artiste (langage, peinture, etc.). ♦ [En poésie] Faire vrai n'est [pas] donné (...) à Hugo, que son talent porte au lyrisme (Balzac, Corresp., 1838, p. 475).Ils [les symbolistes] poursuivront cette révolution, entreprise par le romantisme, qui refit du français un langage apte au lyrisme (Béguin, Âme romant., 1939, p. 388): 1. Le lyrisme est le genre de poésie qui suppose la voix en action, − la voix directement issue de, ou provoquée par, − les choses que l'on voit ou que l'on sent comme présentes.
Valéry, Litt., 1930, p. 25. ♦ [Dans d'autres formes artist.] Lyrisme musical, pictural. Rodin pratique une sorte de lyrisme sculptural, qui heurte quelquefois notre conception des formes objectives (Hourticq, Hist. art, Fr., 1914, p. 448).Le la b (...) chez Beethoven et dans la musique de son temps, exprime une effusion de la sensibilité, un degré de plus dans le lyrisme, après le sol majeur, où domine le sentiment contemplatif (Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p.176). ♦ P. anal. [Dans une démarche intellectuelle] Il n'y a probablement que deux méthodes de pensée, celle de La Palisse et celle de Don Quichotte. C'est l'équilibre de l'évidence et du lyrisme qui peut seul nous permettre d'accéder en même temps à l'émotion et à la clarté (Camus, Sisyphe, 1942, p. 16). − Cette tendance telle qu'elle est illustrée dans une oeuvre, un mouvement artistique; ensemble des oeuvres ou des artistes illustrant cette tendance. Lyrisme impressionniste; lyrisme arabe, japonais. Ce matin un tonifiant article de Tancrède de Visan sur A. Gide et le lyrisme contemporain (Gide, Journal, 1910, p. 322).Cette cruelle raillerie envers soi-même (...), de très bonne heure, jette sa note discordante dans le lyrisme de Heine (Béguin, Âme romant., 1939, p. 325).Rousseau se confond avec sa légende. Pendant plus d'un siècle, et bien que le lyrisme romantique se réclame de lui, ses successeurs négligeront l'homme (Cocteau, Poés. crit. I, 1959, p. 282). b) Contenu et forme d'une oeuvre (poétique ou artistique) caractéristique du lyrisme.
Œuvre pleine de lyrisme. Il y a des dialogues d'un lyrisme un peu ridicule, des phrases qui ne pouvaient venir que sous la plume d'un jeune écrivain ardent et naïf (Green, Journal, 1932, p. 97).[C'est] ce second Degas que les jeunes peintres aiment; ils y trouvent du lyrisme et comme l'expression rageuse du désespoir (Lhote, Peint. d'abord, 1942, p. 146).Le lyrisme quasi gionesque de ce passage (Schaeffer, Rech. mus. concr., 1952, p. 72): 2. ... on connaît le lyrisme facile qui procède de cette considération: le flux de l'espèce roule par dessus moi, et je ne suis qu'une apparition fugitive à sa surface.
Ricoeur, Philos. volonté, 1949, p. 410. − Au plur., péj. Ce sera moderne, élégant, moral, et tout! Littéraire aussi, mais sans lyrismes, cuistreries, etc. (Verlaine, Corresp., t. 1, 1873, p. 126). − Lyrisme de qqc.Traitement lyrique (d'un thème, d'un élément matériel d'une oeuvre). Ce qu'il [Bruant] a chanté devant les femmes de la société qui étaient là, non, c'est indicible! (...) ç'a été, en ce lyrisme de l'ignoble, des dénominations infâmes, des mots salissants, de l'argot purulent, des vocables de bas bordels et de maladreries vénériennes (Goncourt, Journal, 1892, p. 210).Ce lyrisme de la production et du rendement qui anime certaines oeuvres soviétiques (Mauriac, Baîllon dén., 1945, p. 446): 3. Père et maître de la peinture française, il [Fouquet] en avait au plus haut point les vertus structurales, un peu sèches dit-on, parce que le lyrisme de la couleur y manque ou ne s'y révèle que peu à peu, pudiquement, à la manière d'une source qui se cache entre les herbes, et non à celle d'un torrent.
Faure, Hist. art, 1914, p. 483. c) Disposition de caractère ou état passager provoquant chez l'artiste l'exaltation, l'effusion de sentiments. Il n'osait pas s'abandonner librement au flot de son lyrisme intérieur. Il avait besoin de le canaliser en des sujets précis (Rolland, J.-Chr., Foire 1908, p. 774).Pour la première fois, j'ai réussi à tenir en bride le lyrisme qui est mon grand ennemi; pour la première fois, j'ai réussi à créer des personnages objectifs et extérieurs (Claudel, Corresp.[avec Gide], 1910, p. 157). − [Personnifié] Le lyrisme est notre diable. Il se dresse, enroule et déroule ses volutes à face humaine (...), il dérange avec art les calculs du géomètre, les chiffres du mage, l'humble besogne de l'horloger (Cocteau, Foyer artistes, 1947, p. 87). B. − P. anal. (avec, selon le cont., une nuance péj. ou iron.) 1. État d'exaltation qui porte à un comportement (généralement langagier) exubérant et/ou à l'effusion de sentiments. Parler avec lyrisme; accès de lyrisme. Un lyrisme intime bouillonna dans cette âme pleine des belles illusions de la jeunesse (Balzac, Modeste Mignon, 1844, p. 47).Je m'emportais à mon propre lyrisme, je marchais à grands pas, poussé par la violence de mes idées (Du Camp,Mém. suic., 1853, p. 115): 4. ... cette espèce de crétin-là, s'écrie-t-il avec l'accent vulgaire qu'il retrouve souvent dans ses instants de lyrisme, et qui est comme une résurgence de sa jeunesse enthousiaste, mais débridée, ce crétin-là (il parle de Vincent) se figure qu'il est aussi capable de concilier tout ça avec les intérêts russes.
Abellio, Pacifiques, 1946, p. 231. − Au plur., rare, péj. Mouvements affectifs. Il savoure la joie de pouvoir laisser crever et couler sa pauvre âme boursouflée de lyrismes (Martin du G., Devenir, 1909, p. 22). 2. Caractère exalté, exubérant (d'un comportement). Il lui parlait avec un langage dont le lyrisme, souvent incompréhensible pour elle, faisait craindre à Rosette que son amant ne fût devenu fou (Murger, Scène vie jeun., 1851, p. 60).La gaucherie, la vivacité, le lyrisme des sourires (...) proclamaient la joie d'éclore, d'espérer tout, d'exister (Martin du G., Thib., Sorell., 1928, p. 1172). Prononc. et Orth.: [liʀis ]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. 1829 «mouvement lyrique du style, de l'expression» (Vigny, loc. cit.); p. ext. 1833 «exaltation d'esprit analogue à l'enthousiasme des poètes lyriques» (Musset ds R. des Deux-Mondes, p. 207). Dér. de lyrique*; suff. -isme*. Fréq. abs. littér.: 421. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 69, b) 404; xxes.: a) 678, b) 1106. Bbg. V. lyrique bbg. |