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LUIRE, verbe intrans.
A.− Émettre de la lumière. Le feu, le jour, la lune luit; les astres luisent. La bouche sèche d'anxiété et de désir, il entra dans la chambre où une veilleuse luisait (Péladan, Vice supr.,1884, p. 164).Dehors, les becs de gaz luisaient dans la nuit douce, il héla un cab qui passait (Tharaud, Dingley,1906, p. 23).Le bout d'une cigarette luisait dans l'ombre (Davau-Cohen1972) :
1. Qu'a-t-on changé dehors? Voilà que les arbres sont devenus bleus et que l'herbe étincelle comme une nappe d'eau. Le funèbre soleil! Il luit blanc sur les ardoises, et les petites maisons de la côte ressemblent à des tombes neuves. Colette, Dialog. bêtes,1905, p. 122.
Vx. [Avec un compl. indir.] Le même ciel nous aime et nous conduit; L'étoile qui m'éclaire est celle qui te luit (Desb.-Valm., Élégies,1833, p. 183).
P. anal. [Le suj. désigne les yeux, le regard] Penser que jamais, sans doute, je ne verrai la Chine! (...) Que jamais peut-être je ne verrai dans les forêts luire les yeux d'un tigre accroupi dans les bambous! (Flaub., Corresp.,1847, p. 76).Le sang montait aux joues des filles jeunes dont les yeux noirs luisaient sous l'auvent de la coiffe (Hamp, Champagne,1909, p. 137).
[Avec un compl. prép. spécifiant un sentiment, une émotion] Lui, penché vers elle, de l'autre côté de la table, avait un mauvais sourire, et ses yeux luisaient de colère (Rolland, J.-Chr.,Révolte, 1907, p. 617).Ses yeux luisaient de reconnaissance; son nez de travers semblait tout attendri; et sa bouche, remuant d'émotion, cherchait un mot drôle à servir (Benjamin, Gaspard,1915, p. 86).
Au fig. Ma sœur chérie Haydée, qui depuis notre départ de France m'a fait attendre patiemment, en me parlant de vous, l'heureux jour qui luit aujourd'hui (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 765).
Expr. Un nouveau jour luit pour nous. ,,Notre destin change`` (Littré).
Proverbe. Le soleil luit pour tout le monde. ,,Il est des avantages dont chacun a le droit de jouir`` (Ac.).
B.− P. ext. [Le suj. désigne qqc. de lisse, de poli, de gras] Réfléchir la lumière. Crâne chauve, front, nez qui luit; dents qui luisent; couteau, sabre, vaisselle qui luit; lunettes qui luisent. Des matelots maltais ramenant de grands filets où des milliers de sardines luisaient entre les mailles comme de petites pièces d'argent (A. Daudet, Tartarin de T.,1872, p. 63).La mer, toujours aussi immobile et lourde, luisait au loin, reflétait de dernières lueurs du côté de l'ouest (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 354).Le café Jean-Bart, où luisaient à l'intérieur le plomb du comptoir et les verres auprès d'un petit escalier tournant qui plongeait de l'étage dans la boutique (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 320):
2. ... on vit des laboureurs, et le fer de la charrue luisait par à-coups dans cette étendue avec un éclat insoutenable, comme si l'homme, creusant la matière mystérieuse, en avait fait jaillir des étoiles. Montherl., Songe,1922, p. 103.
[Avec un compl. prép. spécifiant la cause] Les pierres des murs luisent d'humidité (Renard, Poil Carotte,1894, p. 173).Son cou, sa douce gorge luisaient de moiteur (Mauriac, Baiser Lépreux,1922, p. 157).Henriette faisait le ménage, et l'appartement continuait à luire de propreté (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 166).
C.− Au fig. Se manifester avec éclat à la conscience, à l'esprit. J'essayai d'être persuasif, je parlai de l'avenir où luit toujours un rayon d'espérance, du temps qui cicatrise les plus profondes blessures (Ponson du Terr., Rocambole,t. 2, 1859, p. 416).Ces derniers jours de juin 40, où nous remontions à pied vers l'Allemagne, luisent encore dans ma mémoire comme des cailloux blancs au fond d'un ruisseau (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 31).La partie non révélée et pourtant révélable de notre être, où toute beauté, tout amour, toute vertu que nous connaissons à peine, luit d'une manière intense (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 372):
3. Quelqu'un se trouvera en qui une conception élémentaire de justice sera manifestée, un éclair de bon sens luira quelque part, un vieux reste de cœur mal étouffé sursautera, une parole jaillira et chacun sera surpris de la joie d'une action saine et désintéressée. Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 453.
Expr. Faire luire qqc. à qqn, aux yeux de qqn. Lui présenter quelque chose comme avantageux. Elle commençait à faire luire à mes yeux d'autres tentations encore, mais elle s'arrêta net (Proust, Sodome,1922, p. 822):
4. Il se vantait (...) de faire du Prussien un adepte de la fraternité des peuples, en lui faisant luire, en récompense de sa modération, la popularité qu'il s'acquerrait près des générations futures, réunies dans un embrassement universel. Goncourt, Journal,1872, p. 912.
REM. 1.
Luisard, subst. masc.,arg., vx. Soleil. (Ds Riv.-Car. 1969).
2.
Luisarde, subst. fém.,arg. et pop. a) Vx. Lune. (Ds Michel 1856). b) Étoile, vedette de théâtre. Si elle a un tantinet de voix, je l'engage séance tenante; une luisarde ramassée chez un mannezingue! Je lui apprends le chant et l'art dramatique en quinze jours. À défaut de talent, elle est jolie, c'est le principal au théâtre (Huysmans, Marthe,1876, p. 42).
Prononc. et Orth. : [lɥi:ʀ], (il) luit [lɥi]. Att. dep. 1694. Etymol. et Hist. 1. Ca 1100 « briller de sa lumière propre » (Roland, éd. J. Bédier, 980 : soleill n'i luist); luisanz part. prés. adj. (ibid., 3345); av. 1577 ver luisant (Belleau, Œuvres, éd. Marty-Laveaux, t. 1, p. 70); 2. a) ca 1100 « refléter, renvoyer la lumière » (Roland, 1031 : luisent cil elme); ca 1100 luisant part. prés. adj. (ibid., 2272); b) 1676 luisant part. prés. subst. « qualité de ce qui est luisant » (Félibien, p. 433); 3. ca 1200 fig. (Moralités sur Job, éd. W. Foerster, p. 299, 20 : vos luisez si com lumieres el munde [ép. aux Phil. 2, 15]); 4. 1830 fig. « exprimer un sentiment (en parlant des yeux, du regard) » (Hugo, Hernani, I, 4, p. 30). Du lat. lūcēre « luire, briller; fig. être évident, apparent ». L'a. fr. luisir, résultat normal de lūcēre, a été remplacé par luire (ca 1155. Wace, Brut, éd. I. Arnold, 3006) sous l'infl. des formes du futur (cf. nuire, plaire, taire, v. Fouché, p. 625; Bourc.-Bourc. § 116 Rem. II). Fréq. abs. littér. : 1 869. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 933, b) 3 547; xxes. : a) 3 505, b) 2 287. Bbg. Roques (M.). Romania. 1939, t. 65, p. 419.