| LUGUBRE, adj. A.− Relatif à la mort, aux funérailles; qui évoque la mort. Synon. funèbre, macabre.J'ai craint quelque temps de ne pouvoir supporter cette lugubre cérémonie, doublement lugubre quand je me retrace la gaîté, la grâce de celle que je voyais là renfermée dans un étroit cercueil (Constant, Journaux,1805, p. 246).Nous avons été retardés par un lugubre spectacle. Un Arabe (...) s'est noyé presque sous nos yeux (Gide, Retour Tchad,1928, p. 894): 1. En entrant dans la salle (...) quelque chose lui dit intérieurement que c'était entre ces murs lépreux et désolés que s'achèverait sa vie. Elle employa tout ce qu'elle avait de volonté pour dissimuler l'impression lugubre qui l'avait glacée.
Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 298. − [En parlant d'un bâtiment, d'un paysage, d'un élément du paysage] L'if lugubre et le cyprès funèbre, compagnons de la mort (Crèvecœur, Voyage,t. 1, 1801, p. 221).Un de ces édifices lugubres que la pitié publique et la prévoyance sociale consacrent aux cadavres inconnus (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 21). − [En parlant d'un son, d'un cri] Plainte, son lugubre d'une cloche; glas lugubre. On entendit un chien pousser un de ces plaintifs et lugubres hurlements que la superstition regarde comme un présage certain de mort (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 37).Un coup de vent, plus fort que les autres, rendant ses accents lugubres (...) disloquait le navire (...) et augmentait les plaintes de ceux qui allaient être offerts en holocauste à la mort (Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 206). − [En parlant d'une ou plusieurs pers.] Mon palais même, et les jeunes esclaves qui en faisaient l'ornement, fortune passagère des songes, avaient fait place à la tente d'un guerrier blessé sous les murailles de Corinthe, et au cortège lugubre des officiers de la mort (Nodier, Smarra,1821, p. 100).Un homme vêtu de noir (...) parut sur le seuil [de la prison], environné de hallebardiers également vêtus de noir (...). Alors (...) il fit signe à Éthel (...) de suivre avec lui cette lugubre escorte (Hugo, Han d'Isl.,1823p. 447). − [En parlant de paroles, de propos] Complainte lugubre. Il s'était arrêté à ce passage lugubre de Thormodus Torfœus : « Quand un homme allume sa lampe, la mort est chez lui avant qu'elle soit éteinte... » (Hugo, Han d'Isl.,1823p. 67).J'ai dit plus d'une fois le non-sens que représente à mes yeux un enterrement chrétien avec ces draperies noires et ces chants lugubres (Green, Journal,1954, p. 305). − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Certain paquet cacheté l'enragea, qui portait la mention « à brûler sans lire après ma mort ». Il eût pu lire et jeter ensuite, mais il n'osa pas. Tout cela rangé, il dîna comme quatre chez Chandelier, car le lugubre et le sublime affament (Montherl., Célibataires,1934, p. 910). B.− P. ext. 1. [En parlant d'un lieu, d'un paysage, du temps considéré quant à la succession des événements, des phénomènes ou du temps comme état de l'atmosphère; en parlant d'un événement] Qui est ressenti comme inspirant une grande tristesse ou comme étant le signe d'une grande tristesse, d'un profond accablement. Synon. funeste, mortel (fam.), sinistre, triste.Il fait une pluie atroce, incessante, lugubre. Le soleil devient un mythe (Flaub., Corresp.,1858, p. 245).Hier, à minuit, sur le minuit lugubre accablé en un fauteuil, et d'un voile alangui de fumée environné, (...) j'étais triste à cause de vous (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1891, p. 62).Les hommes de Paris (...) ont des maisons pleines d'ombre. Il y a des coins lugubres où s'accumule une odeur à pleurer (...). Un ennui profond rêve et grelotte dans le fond des corridors (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 126): 2. Les fenêtres de l'autre côté laissaient voir un coin de campagne crépusculaire, une campagne souillée par la proximité des villes − sans air, sans espace, semée de baraques, coupée de fils télégraphiques et électriques (...). Une espèce de vague banlieue, industrielle, chaotique et lugubre.
Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 102. − [P. méton. du déterminé] Certains aspects de Bordeaux, les plus banals, les plus inoffensifs, ont à mes yeux un caractère lugubre, tragique (Mauriac, Écrits intimes,Commenc. d'une vie, 1932, p. 51).Je me suis promené souvent dans ce passage dont le délabrement et l'atmosphère lugubre m'exaltaient (Carco, Nost. Paris,1941, p. 54). − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Oh! étrangeté des rêves éveillés où l'esprit s'envole dans un monde irréel et possible! (...) la fantaisie débridée ne distingue plus le comique et le lugubre (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Endorm., 1889, p. 1171). SYNT. Bâtisse, chambre, lieu, maison, paysage, ville lugubre; heures, jours, mois lugubres; dîner, tête à tête lugubre. Rem. Le fait de percevoir, de sentir qqc. comme étant lugubre dépend surtout de l'état psychosomatique de la pers. portant ce jugement, ce qui est clairement explicité par Delacroix : C'est quand il fait nuit dans notre âme que tout nous paraît ou lugubre ou insupportable, et il ne suffit pas d'être libre de vrais sujets de tristesse; il suffit de l'état de santé pour tout changer (Journal, 1853, p. 66). 2. [En parlant d'une pers., de sa manière d'être, de sa physionomie en tant que reflet de son état moral, de ses propos] Qui inspire, qui exprime une grande tristesse. Air, face, mine, tête lugubre; histoire, propos, ton, voix lugubre. Comment se fait-il que la barbe, ce bouquet de poils, cette broussaille qui ne devrait rien avoir de physionomique, rende une figure triste (...) il y a les barbes lugubres et les barbes guillerettes (Goncourt, Journal,1893, p. 373).Il est rare qu'une voix sèche appartienne à un individu gras et qu'un timbre cristallin soit l'apanage d'un visage lugubre (Arts et litt.,1935, p. 36-08): 3. ... je ne suis pas gai. Je deviens même atrocement lugubre (...). Je passe de l'exaspération à la prostration, puis je remonte de l'anéantissement à la rage, si bien que la moyenne de ma température est l'embêtement.
Flaub., Corresp.,1873, p. 110. ♦ Avoir le vin lugubre. Synon. de avoir le vin triste.(Il serrait son verre dans sa main, le verre se casse (...). Héro (...) dit doucement) : Excuse-moi, mon vieux. J'aime casser. Le Comte : Tu es fou. Tu saignes (...). Tu as le vin lugubre, aujourd'hui. Héro (...) : Le vin est toujours lugubre, apprends-le (Anouilh, Répét.,1950, iii, p. 76). ♦ Humour lugubre. Synon. de humour noir.Il se manifestait en lui par périodes une humeur triste et sauvage, une sorte d'humour lugubre qu'il réussissait à mener dans l'exécution jusqu'à une perfection inquiétante (Gracq, Beau tén.,1945, p. 53). − [P. méton. du déterminé; en parlant d'un affect] Ce n'était pas une de ces douleurs aiguës qui semblent tordre l'âme, mais une morne et lugubre tristesse (Maupass., Une vie,1883, p. 240). Prononc. et Orth. : [lygybʀ
̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1300 « qui a le caractère du deuil » (Sermon lat.-fr., ms. de Salis, fo57 vods Gdf. Compl.); 2. 1666 « qui marque ou inspire une profonde tristesse » (Boileau, Satires VI, 1, éd. A. Cahen : lugubres cris). Empr. au lat. lugubris « de deuil, sinistre, triste, plaintif », dér. de lugere « se lamenter, être dans le deuil ». Fréq. abs. littér. : 1 307. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 694, b) 3 492; xxes. : a) 2 247, b) 889. |