| LUCIDE, adj. A.− [En parlant d'un inanimé concr.] Vx ou littér. 1. Qui émet ou réfléchit la lumière. Synon. brillant, étincelant, luisant, lumineux.J'aperçus (...), brillante, lucide comme une étoile à son lever, une belle et noble pièce de cent sous (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 142).Nous partirons cette nuit sous ce clair de lune si lucide! (Laforgue, Moral. légend.,1887, p. 58). − Lucide de + subst.La table était odorante de fleurs, lucide de cristaux, brillamment servie (L. Daudet, Morticoles,1894, p. 300). 2. Qui laisse passer la lumière; qui est d'une parfaite transparence. Synon. clair, limpide, pur, transparent.Les joyaux limpides, (...) l'aigue-marine si lucide, si pure (Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 255).Ce bleu regard d'eau lucide (Duhamel, Combat ombres,1939, p. 94): 1. Sous la poussière d'or qui tombe des tilleuls
L'air lucide flamboie ainsi qu'une verrière
Transparente où la souple et féline lumière
Rôde autour des rosiers, des lys et des glaïeuls.
Muselli, Travaux et jeux,1914, p. 36. B.− [En parlant d'une pers.] 1. Qui a une vue claire et exacte des choses; qui fait preuve de perspicacité, de pénétration d'esprit. Synon. clairvoyant, pénétrant, perspicace, sagace.Moi, songeait Thérèse, la passion me rendrait plus lucide; rien ne m'échapperait de l'être dont j'aurais envie (Mauriac, Th. Desqueyroux,1927, p. 210): 2. ...un homme lucide lit dans n'importe quelle femme à livre ouvert : il voit tous ses sentiments se mouvoir en elle (...). Mais la plus lucide des femmes a beau tourner autour du sexe mâle, regarder furtivement, écouter à ses portes, l'homme reste pour elle impénétrable.
Montherl., Démon bien,1937, p. 1275. ♦ [P. méton.] Cerveau, intelligence, raison lucide. Je lui fais l'effet d'un esprit lucide (...) qui possède à fond son sujet (Amiel, Journal,1866, p. 531). − P. méton. [En parlant d'un inanimé] Qui résulte de cette clairvoyance, qui en témoigne. Critique, désespoir, jugement, lettre lucide; idées, pensées, raisonnements lucides. Amiel, avec sa trop lucide analyse, fut la victime d'une trop complète vision des jugements portés sur son œuvre écrite (Bourget, Nouv. Essais psychol.,1885, p. 288).Il n'était plus dupe du décor, d'aucun décor. Il contemplait celui-ci avec un dégoût lucide (Bernanos, Imposture,1927, p. 481).Lu un article terriblement lucide du Quaker Kirschner sur la disette en France (Green, Journal,1943, p. 64). 2. En partic. a) Vieilli. Somnambule, voyant lucide. Personne qui est supposée avoir un don de double vue, lorsqu'elle est sous hypnose. Synon. usuel extra-lucide.L'impuissance du somnambulisme m'attere [sic]. Comment n'avez-vous pas encore cherché quelque somnambule bien lucide pour la mettre aux prises avec les causes du fléau (Balzac, Corresp.,1832, p. 694). b) Domaine de la santé − [En parlant d'un malade mental] Fou lucide. Fou qui paraît avoir toute sa raison. Elle était très fine, d'ailleurs, de cette finesse des fous lucides qui se font raisonnables en présence des étrangers (Zola, E. Rougon,1876, p. 147).Je relis Aurélia. Jamais un fou lucide n'aura permis aux hommes ordinaires d'avancer si loin dans les profondes grottes de la déraison (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 37). ♦ [En parlant d'une pers. gravement malade ou très âgée] Qui a conservé toute sa raison. Synon. conscient.Chuchotement distinct et persistant d'un grand malade lucide qui règle tout avant sa mort (Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 121). ♦ Instant, intervalle, moment lucide (le plus souvent au plur.). Période durant laquelle un malade mental et aussi une personne intellectuellement diminuée par la maladie ou l'âge retrouve toute sa raison. Un ecclésiastique (...) épioit auprès de son lit de douleur les instants lucides que son mal lui laissoit, pour lui porter les consolations du ciel (Nodier, J. Sbogar,1818, p. 208).Le malheureux colon, privé de la parole, perdit bientôt l'usage de ses facultés, sa raison s'égara; et, sauf quelques moments lucides, il vécut encore un an dans un état de démence complet (Sue, Atar-Gull,1831, p. 38). − [En parlant d'une maladie mentale] Folie lucide. ,,Troubles mentaux qui se caractérisent par des idées délirantes plus ou moins systématisées, souvent cachées par le malade, et laissant apparemment intactes les facultés intellectuelles ainsi que le comportement social ordinaire`` (d'apr. Piéron 1973). Enfin mon acharnement à ce travail rentre tout à fait dans ce que le docteur Trélat appelle « la folie lucide » (Flaub., Corresp.,1878, p. 126).La conscience psychasthénique présente un mode très particulier que désignent les noms de folie lucide, de délire avec conscience : le malade est plus que conscient de son désordre (...), à vrai dire, sa lucidité ne peut être complète, sans quoi il n'y aurait ni maladie ni déchirement (Mounier, Traité caract.,1946, p. 272): 3. ... dès que cette dame était rentrée dans sa chambre, elle s'enfermait et passait une partie de la nuit à marcher à quatre pattes autour de la pièce, en aboyant comme une chienne (...). Cette dame offrait un cas de ce que nous autres médecins nous nommons la folie lucide. (...) − Je pourrais citer vingt histoires semblables, ajouta-t-il; des gens qui paraissent avoir toute leur raison et qui se livrent aux extravagances les plus surprenantes, dès qu'ils se trouvent seuls.
Zola, Conquête Plassans,1874, p. 1125. Prononc. et Orth. : [lysid]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1478 « lumineux » (Gui de Chauliac, Guidon, fo17 ds Sigurs, p. 343 : humeur etheree lucide). B. 1. a) 1690 intervalles lucides (Fur.); b) 1848 « qui a des intervalles lucides » (Dumas fils, Dame cam., p. 291 : délirante ou lucide, c'est toujours votre nom qu'elle prononce); 2. 1785 « clair; qui manifeste la clarté de l'esprit » (P. A. de Piis, Harmonie imitative de la lang. fr., p. 6 : ses termes lucides); 1787 (Fér. Crit., citant Marin : Raisonement lucide; terme, expression lucide; cela est lucide : clair et net); 3. 1825 « qui voit, comprend, exprime clairement les choses » (Stendhal, Racine et Shakspeare, p. 148); 4. 1832 somnambule lucide (Balzac, loc. cit.). Empr. au lat. lucidus « clair, brillant, lumineux; fig. : clair, lumineux, manifeste »; au sens B 1 a, cf. lat. médiév. lucida intervalla (xiiies. d'apr. NED, s.v. lucid). Fréq. abs. littér. : 757. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 279, b) 523; xxes. : 1 060, b) 2 063. DÉR. Lucidement, adv.D'une manière lucide (supra B 1). Critiquer, raisonner lucidement. Les vérités chrétiennes profondément saisies, lucidement développées (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 365).Elle fit logiquement, lucidement, le bilan de ce qui se passerait après sa mort (...). Elle envisageait tout avec froideur et lucidité (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 404).Il ne se mentait pas. Il se jugeait, lucidement, avec la plus douloureuse humilité (Rolland, Beethoven,t. 1, 1937, p. 57).− [lysidmɑ
̃]. − 1resattest. ca 1500 (Therence en fr., fo310a, Verard ds Gdf.), attest. isolée, à nouv. 1834 (Boiste); de lucide, suff. -ment2*. − Fréq. abs. littér. : 29. |