| LOURDEMENT, adv. I. − [Correspond à lourd I] A. − D'une manière lourde, pesante; avec un poids élevé. Synon. pesamment; anton. faiblement, légèrement.Être lourdement équipé ; charrettes lourdement chargées. Les cavaliers lourdement armés, les Gallo-Grecs, la phalange macédonienne elle-même, tout le système de guerre oriental et grec, échoua contre la légion (Michelet,Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 60).Elle le suivit et s'apprêtait à entrer dans la voiture, lorsqu'un cavalier, lourdement monté sur un cheval plus lourd encore, s'arrêta court, mit pied à terre et s'approcha d'elle (Sand,Consuelo,t. 3, 1842-43, p. 371): 1. C'est un roulement de tonnerre. Il se prolonge et gronde au-dessus des montagnes, du côté du nord ; ensuite elle l'entend qui vient, avec des cahots, comme un char lourdement chargé de billes de sapin qui s'entrechoquent...
Ramuz,Derborence, 1934, p. 65. B. − [Avec un verbe ou un prédicat exprimant (un état de fait résultant d') une prise de position ou (d') une appréciation] D'une manière qui a une grande extension ou dans une mesure qui dépasse de beaucoup la norme acceptable. Synon. gravement; anton. légèrement, peu.Toute sa critique [de l'abbé Morellet sur Atala] est ainsi un tissu d'observations sensées et justes, mêlées à d'autres qui sont lourdement fausses (Sainte-Beuve,Chateaubr.,t. 1, 1860, p. 261).Le traitement de ce dernier grevait lourdement le budget du souverain (Maupass.,Sur l'eau,1888, p. 352).Raboliot comprenait qu'il s'était lourdement trompé (Genevoix,Raboliot,1925, p. 219).V. cambrioleur ex. 1. ♦ Peser lourdement. Avoir une grande importance, un retentissement pour ou sur quelque chose. Cette erreur que nous avons commise a pesé lourdement sur la façon dont nous avons organisé notre concentration (Joffre,Mém,t. 1, 1931, p. 136). II. − [Correspond à lourd II] A. − [Avec un verbe ou un prédicat exprimant un mouvement] 1. a) [Avec l'apparence de qqc. qui pèse un grand poids] Une rivière coulait à droite et roulait lourdement des eaux bourbeuses entre des berges souillées de limon (Fromentin,Dominique,1863, p. 61).Je reprends conscience de la vie au milieu du tapage d'un hôtel quelconque, portes qui battent (...), malles que l'on traîne lourdement dans des corridors encombrés (Loti,Jérusalem,1895, p. 184).La voiture vira lourdement sur la piste de latérite, maintenant boueuse (Camus,Exil et Roy.,1957, p. 1655): 2. J'arrivai contre la maison (...). Dedans on entendait un bruit de pas, comme de quelqu'un qui marche lourdement de long en large...
Bosco, Mas Théot.,1945, p. 76. b) [Sous/avec l'effet apparent de qqc. qui pèse un grand poids] S'appuyer lourdement sur qqc. Elle est venue cahin-caha en écrasant lourdement l'herbe (Giono,Colline,1929, p. 185).Tous au bar! cria Luc; il posa lourdement sa main sur l'épaule d'Henri: «C'était bien?» (Beauvoir,Mandarins,1954, p. 99): 3. La salle était assez grande, sombre, lourdement abritée du jour par d'énormes tentures bleues étouffantes, qui masquaient la fenêtre.
Van der Meersch,Invas. 14,1935, p. 153. − P. ext. [Sous/avec l'effet apparent de qqc. dont le mouvement lent s'accompagne de sons graves] Nous nous mouvons, lourdement cahotés, sur d'énormes dalles dénivelées et brisées (Loti,Fleurs ennui,1882, p. 37).Une grande horloge, dans une gaine d'ébène incrustée de cuivre, battait lourdement l'heure (Zola,Rome,1896, p. 399).Un pas pesant gravissait mes sept étages. On frappa lourdement à ma porte (Cendrars,Bourlinguer,1948, p. 201). 2. [Avec peu d'aisance, avec gaucherie et/ou lenteur] Synon. gauchement; anton. agilement, prestement.S'esquiver, se lever lourdement. Il restait là une demi-heure, penché au-dessus de la fosse, suivant du regard les ours qui se dandinaient lourdement (Zola,Th. Raquin,1867, p. 19).Plus tard, le président du Conseil monta lourdement les degrés du Panthéon entre deux haies de mineurs (Nizan,Conspir.,1938, p. 43): 4. Il se lève, époussette la jument avec une branche (...) et s'aidant du talus, se hisse lourdement en selle.
Martin du G.,Devenir,1909, p. 178. 3. [Avec un verbe ou un prédicat exprimant un déplacement aérien plus ou moins horizontal] D'une manière qui est ou qui paraît retenue vers le bas. Des corneilles énormes (...) s'envolaient lourdement à leur approche (Rolland,J.-Chr.,Aube, 1904, p. 18).Des pigeons bleus volent lourdement d'un pignon à l'autre (Guéhenno,Journal ``Révol.``, 1938, p. 136): 5. ... lasse de suivre un demi-songe à travers une fumée qui se déplaçait lourdement, par bancs horizontaux, autour des abat-jour brûlés par le gaz...
Colette,Apprent.,1936, p. 76. 4. [Avec un verbe ou un prédicat exprimant un mouvement vers le bas non totalement contrôlé ou une chute involontaire] D'une manière non retenue et avec tout son poids. Synon. pesamment.S'asseoir lourdement. La vache s'était recouchée, lourdement (Maupass.,Contes et nouv.,t. 2, Vagabond, 1887, p. 671).D'autres, tombés lourdement en paquet, ne bougeaient plus (Dorgelès,Croix de bois,1919, p. 48): 6. En remontant sur un trottoir, les armatures ferrées de ses chaussures encore une fois glissèrent sur le granit, et lourdement, il s'abattit...
Maupass.,Contes et nouv.,t. 1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p. 290. − P. ext. [Avec un verbe ou un prédicat exprimant un état non contrôlé ou le passage à un tel état] Avec un total abandon, d'une manière à laquelle on ne peut s'opposer. Synon. profondément; anton. légèrement.Elle se recouchait presque pleurante et rageuse, s'endormait lourdement, dans son dépit saignant, étendue à plat ventre et la face vers le mur (Péladan,Vice supr.,1884, p. 20).Des ouvriers sans travail, dormaient lourdement au grand soleil (Zola,Rome,1896, p. 244). ♦ P. anal. L'auto filait, sans bruit. Mais, par ce torride après-midi de dimanche, ce quartier était si désert, si lourdement assoupi, que le crissement soyeux des roues sur l'asphalte sec (...) prenaient le caractère d'une indiscrétion, d'une inconvenance (Martin du G.,Thib.,Été 14, 1936, p. 106). − Au fig. Le vieux, les yeux au mur, ne tourna pas la tête. Et le silence retomba, lourdement (Zola,Germinal,1885, p. 1559).Alors, ce ne serait pas aimer... La phrase tomba lourdement: on en sentait chaque syllabe chargée de souffrances acceptées ou subies (Estaunié,Ascension M. Baslèvre,1919, p. 110). B. − [Avec un verbe ou un prédicat décrivant l'aspect de qqc.] 1. [Du point de vue visuel] De manière telle que l'aspect manque de grâce, d'élan ou de finesse dans ses proportions, sa forme, sa disposition ou sa décoration. Corps lourdement bâti; plafond lourdement décoré; être lourdement assis. La figure de Bajazet, quoiqu'un peu lourdement drapée, est bien sentie et largement peinte (Jouy,Hermite,t. 3, 1813, p. 337).Au-dessus du portail civique, le mur se dressait lourdement (Villiers de L'I.-A.,Contes cruels,1883, p. 165).Un vagabond assis entre ses deux chiens qu'il caresse de ses deux mains lourdement veinées (Green,Journal,1944, p. 144): 7. ... grand'mère (...) roule autour de moi un admirable châle de crêpe de Chine jaune serin, lourdement brodé de fleurs...
Gyp, Souv. pte fille,1928, p. 158. 2. [Le verbe ou le prédicat expriment un aspect auditif] Avec un son grave, pas distinct et parfois assez fort. Anton. faiblement.Résonner lourdement. Heureux celui qui peut dans l'enclos paysan, À l'heure où lourdement sonnent les vêpres chaudes Mettre dans d'autres mains les mains de ses enfants (Jammes,Clairières,1906, p. 137). 3. [Le verbe ou le prédicat expriment un aspect olfactif] Avec une odeur forte et pénible à supporter. Anton. légèrement, subtilement.Sabine rentra dans ce salon où Jérôme l'attendait (...). Les touffes de roses parfumaient lourdement (Noailles,Éblouiss.,1907, p. 97).Des filles lourdement parfumées se pâmaient en écoutant le chanteur gominé et de gros rires soulignaient les plaisanteries grivoises (Beauvoir,Mém. j. fille,1958, p. 307). C. − Au fig. D'une manière dépourvue de finesse, de subtilité ou de sensibilité intellectuelle. Synon. pesamment; anton. finement, subtilement.Dîné avec un Français-Espagnol et un Anglais. L'Anglais vantait lourdement le machiavélisme de son gouvernement (Michelet,Journal,1835, p. 187).Il plaisantait lourdement, mais il riait de bon coeur quand je le plaisantais (Sand,Hist. vie,t. 3, 1855, p. 338).Paul ne fut pas à l'abri du défaut qui nous choque dans les sectaires; il crut lourdement (Renan,Antéchrist,1873, p. 102): 8. D'où un esprit dépourvu de finesse conclurait lourdement que (...) les communautés religieuses (...) ne sont parfaites qu'avant de naître.
Bremond,Hist. sent. relig.,t. 3, 1921, p. 423. III. − [Correspond à lourd III] A. − [Correspond à lourd III B 2] D'une manière difficile à supporter en raison de sa quantité ou de sa qualité. Ram la regarda lourdement. − Non, fit-il, tu en parles [de la boxe] comme quelqu'un qui a envie de sucre candi! C'est grave de hasarder son titre (Morand,Champions du monde,1930, p. 115).L'explosion, parfois, paraît inconcevable: on en démontre l'impossibilité. La paix armée pèse d'ailleurs si lourdement sur les peuples, grève à ce point les budgets (Valéry,Variété IV,1938, p. 65). B. − D'une manière qui accable et qui parfois suscite un sentiment généralement pénible. Anton. légèrement.Remarque lourdement caustique. Il dit un mot terrible: «Prenez les enfants». Ce mot-là pèse lourdement sur l'Angleterre, comme une malédiction (Michelet,Peuple,1846, p. 91).Des eaux-fortes où il y a un petit coin de réussi, dans un coin, au milieu d'un tout d'un dessin lourdement bête et d'une morsure maladroite (Goncourt,Journal,1890, p. 1144).Quant à l'Allemagne, son gouvernement ne lui a pas demandé (...) s'il ne valait pas mieux préparer un avenir de détente et de conciliation entre les deux peuples que de refuser lourdement à la France toute espérance (Jaurès,Guêpier marocain,1914, p. 31): 9. ... j'étais isolé au milieu d'eux tous, autant que dans l'île du monde la plus déserte. Je sentais lourdement l'effroyable distance qui me séparait de ce petit coin de la terre qui est le mien...
Loti, Mariage,1882, p. 234. Prononc. et Orth.: [luʀdəmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1180-90 lurdement «avec force, violemment» (Hue de Rotelande, Ipomedon, éd. A. J. Holden, 4873); 1342 fig. lourdement (Jean Bruyant, Chemin de povreté ds Ménagier, éd. Sté Bibliophiles fr., t. 2, p. 5b); 2. 1280 lordement «maladroitement, pesamment» (Clef d'Amours, éd. A. Doutrepont, 2581); 2emoitié xves. lourdement «grossièrement» (Erreurs de jugement de la belle dame sans merci, éd. A. Piaget, 32 ds Romania t. 33, p. 183); 3. 1651 tomber lourdement «de tout son poids» (Scarron, Roman comique, 1repart., chap. XV). Dér. de lourd*; suff. -ment2*. Fréq. abs. littér.: 574. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 328, b) 698; xxes.: a) 1046, b) 1157. |