| LOURD, LOURDE, adj. I. − [La prédication s'effectue par rapport à une échelle de degré] A. − [L'échelle est celle du poids] Dont le poids est élevé. Synon. pesant; anton. léger. 1. [La prédication de haut degré s'opère par référence implicite à la même qualité pour d'autres objets comparables] Ouvrez (...) des canaux de navigation, seules communications qui puissent convenir aux denrées lourdes et encombrantes (Say,Écon. pol.,1832, p. 212).En apercevant des paquets de nard qu'on emballait pour les pays d'Outre-mer, il ordonna d'y mêler de l'antimoine, afin de le rendre plus lourd (Flaub.,Salammbô, t. 1, 1863, p. 148).Elle a les épaules étroites, les seins lourds, le ventre gros et jaune (A. France,Île ping.,1908, p. 68): 1. Son enthousiasme n'avait plus de borne et il était comme soulevé de terre. C'était pourtant un lourd Irlandais qui devait peser dans les 200 livres.
Cendrars,Bourlinguer,1948, p. 310. SYNT. Lourd bateau, chariot, brodequin, équipage, bahut, portail; lourde bedaine, ceinture, diligence, pierre; lourdes bottes. − [Avec un compl. introd. par de indiquant ce qui rend lourd] Lourd de graisse, de fruits. Derrière les brebis, toutes lourdes de laine, Telles s'amoncelaient les vaches dans la plaine (Leconte de Lisle,Poèmes ant.,1857, p. 182).Alors, il sortit son couteau, trancha un gourdin de bois vert, pas trop long, lourd de sève, dont il écarta les ronces, pas à pas (Genevoix,Raboliot,1925, p. 322). − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Et non seulement le lourd et le léger constituent pour notre conscience des genres différents, mais les degrés de légèreté et de lourdeur sont autant d'espèces de ces deux genres (Bergson,Essai donn. imm.,1889, p. 48). − Peser lourd. Avoir un poids élevé. Alors, ce fut une vraie poursuite: et, lorsque Françoise l'eut enfin saisi, il se ramassa, rentra le cou et les jambes dans son corps, pour peser plus lourd et avancer moins vite (Zola,Terre,1887, p. 126). − En partic. [En parlant d'un liquide] Qui n'est pas limpide ou parfois paraît trouble et visqueux (généralement à cause d'impuretés en suspension). Anton. limpide, clair.Eau morte et lourde. Nous avançons à tâtons sur un chemin fangeux; une eau lourde dégouttait des arbres qui nous cachaient le ciel (Beauvoir,Mandarins,1954, p. 426): 2. On n'avait même pas le droit de sortir du trou pour uriner. On pissait debout, un liquide acide et rouge sombre, l'urine lourde, trouble et cuisante d'un animal qui se dévore...
Van der Meersch,Invas. 14,1935, p. 362. 2. [La prédication de haut degré s'effectue suivant la possibilité ou la facilité qu'on a à soulever, à porter ou à manoeuvrer la chose dont il est question] Lourd sac, cercueil; lourde besace, malle; quelque chose de lourd à porter, à soulever, à remuer, à déplacer. Un lourd fardeau (Ac.). Je vous laisse les pieds, me dit-il; c'est moins lourd, et moins désagréable, pour qui n'a pas l'habitude. Je soulevai le corps par les souliers (Bosco,Mas Théot.,1945, p. 223).Alexis rentra essoufflé, la valise était assez lourde (Triolet,Prem. accroc,1945, p. 245): 3. − Vous viendrez un jour avec moi. Un jour que j'aurai quelque chose de lourd à porter: un poêle à pétrole, ou des lainages, ou une caisse de lait condensé.
Duhamel,Combat ombres,1939, p. 81. − Peser lourd. Être difficile à soulever, à porter. Il vous donnera la collection... Elle est dans le bas du placard... Un ensemble unique... Vous vous rendez compte... Ça pèse assez lourd par exemple... Dans les quatorze, quinze kilos... (Céline,Mort à crédit,1936, p. 191). ♦ Au fig. Ne pas peser lourd (pour qqn). Être de peu de poids, avoir peu d'importance, n'être pas un obstacle (pour quelqu'un). Elle était très gentille, maman, en ce temps-là (...) grosse comme deux liards de beurre, mais maîtresse femme (...) entre les mains de laquelle, tout grands gaillards que nous fussions, papa et moi ne pesions pas lourd (Courteline,Linottes, Pendule, 1890, iii, p. 186): 4. ... si tu étais convaincu que dans l'ensemble c'est le parti qui tient le bon bout, tu penserais que tes petites histoires personnelles ne pèsent pas lourd à côté des trucs qui sont en jeu.
Beauvoir,Mandarins,1954, p. 286. Peser lourd. Avoir une grande importance. Pour battre l'ennemi, il n'y avait pas de forces qui ne dussent être employées et j'estimais que les leurs pèseraient lourd dans la sorte de guerre qu'imposait l'occupation (De Gaulle,Mém. guerre,1954, p. 232).D'abord le passé pesait lourd; j'aimais Jacques en grande partie parce que je l'avais aimé (Beauvoir,Mém. j. fille,1958, p. 261).♦ Fam. Ne pas en fiche/ficher/foutre lourd. Ne pas travailler beaucoup. Tu ne vas pas encore en ficher lourd aujourd'hui (Bruant, 1901, p. 217). − En partic. Qui présente une grande inertie. ♦ [En parlant d'un état psychique ou physiologique] Difficile à interrompre. Synon. pesant, de plomb; anton. léger.Sommeil lourd; rêverie lourde. Les âmes sans vertu dorment d'un lourd sommeil (Leconte de Lisle,Poèmes ant.,1852, p. 371). ♦ Emploi subst. fém., p. méton. Envie de dormir. Ses paupières se fermaient, mais se rouvraient (...). J'ai la lourde! Pourtant pour ronfler, c'est pas vrai (Barbusse,Feu ds L'Œuvre, 14 oct. 1916, p. 284).Une seconde de défaillance [pendant ce voyage gratuit sous un wagon, sur les essieux] (...) et te v'là fricassé. Donc, pas à conseiller à ceusses qui sont sujets à l'lourde (M. Stéphane,Ceux du Trimard,1928, p. 158). ♦ Sol lourd, terre lourde. Terre qui se laisse difficilement travailler. Synon. gras; anton. léger.Les sables où les gelées sont à redouter, les sols trop lourds qui donnent trop de vigueur à la plante (Levadoux,Vigne,1961, p. 50). ♦ HIPPISME, SPORTS. Terrain lourd. Terrain mouillé sur lequel les chevaux ou les joueurs ont du mal à courir. (Dict. xixeet xxes.). B. − Spéc. [Toujours postposé] 1. ART MILIT. a) [En parlant d'une arme à feu] De gros calibre. Anton. léger.Armement lourd; calibre lourd; canons lourds; artillerie, pièce lourde; mitrailleuse lourde. Si nous manquions d'artillerie lourde, nous avions inventé le 75 (Barrès,Cahiers, t. 11, 1917, p. 222): 5. ... le corps d'armée allemand avait 108 canons de 77, 36 obusiers de 10, 5 tirant un projectile de 15 kilos, et 16 obusiers lourds de 15 tirant un projectile de 42 kilos.
Joffre,Mém., t. 1, 1931, p. 71. − En partic. Le lourd, la lourde. Le canon, l'artillerie lourde. Malgré la canonnade du «lourd» voisin qui fatigue nos tympans (Oudiette,B. des A.,21 nov. 1917ds Esn. Poilu 1919). b) [En parlant d'engins, de bâtiments, de matériel] D'un poids ou d'un tonnage supérieur aux autres unités de même type. Anton. léger.Bombardier, croiseur lourd. M. Glenn Martin (...) s'est déclaré hier partisan (...) de la création immédiate d'une véritable armada aérienne lourde (Morand,Excurs. immob.,1944, p. 105).Puis, au-dessus, venaient les chars lourds, de 20 à 30 tonnes, armés de canons allant jusqu'au calibre de 75 mm (Tinard,Automob.,1951, p. 358). − Monorotor à trois turbines, comme le «frelon» cet hélicoptère lourd dont le poids dépassera 11 tonnes emmènera vingt passagers (Industr. aéron. fr.,1962, p. 18).Puis vinrent les sputniks lourds, finissant par les deux véhicules habités par des hommes (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 2, 1964, p. 582). 2. MARINE a) Vx. Brise lourde. Brise forte. (Dict. xixeet xxes.). b) Loc. prép. En lourd. En tonne-poids (et non en tonneaux cubiques) (d'apr. Le Clère 1960). Au total, la flotte fluviale française représentait alors 4200000 tonnes de portée en lourd (Navig. intér. Fr.,1952, p. 5). 3. AUTOMOB., SPORTS. Poids* lourd. 4. ÉCON. Industrie* lourde. 5. AÉRON., loc. subst. Plus lourd que l'air. Aéronef n'utilisant pas un gaz plus léger que l'air pour assurer sa sustentation. Anton. plus léger que l'air.Ce fut également en France, grâce à Ader, que le premier plus lourd que l'air quitta la terre ferme (Industr. aéron. fr.,1962, p. 4). 6. CHIMIE a) [En parlant d'éléments chimiques] Dont le poids atomique est élevé. Anton. léger.Isotope lourd. Ce nombre correspond au rang de l'élément dans la classification qui va des éléments les plus légers, l'hydrogène et l'hélium, aux plus lourds trouvés sur terre, le thorium et l'uranium (Goldschmidt,Avent. atom.,1962, p. 15). b) Hydrogène* lourd; eau* lourde; huiles* lourdes; chaux* lourde; ion* lourd; verre* lourd. 7. FIN. Franc lourd. Nouvelle unité monétaire française créée en 1958 dont la valeur fut fixée à 100 des francs antérieurs. Le nouveau franc (NF) (ou franc lourd). - La double préoccupation de convaincre l'opinion que les manipulations monétaires étaient terminées et de replacer notre devise nationale à un meilleur rang dans la hiérarchie mondiale a conduit les pouvoirs publics à faire choix d'une autre unité monétaire: le nouveau franc. Sa valeur qui a été par l'ordonnance du 27 décembre 1958 fixée à 100 francs anciens correspond ainsi à 200 pg d'or (à 900/1000 de fin). Sur la base de sa teneur en or, le nouveau franc ne vaut que les 62/100 du franc de Germinal (Banque,Paris, Dunod,1960, p. 31). − Fam. Milliard, million lourd. Son chiffre d'affaires dépasse sûrement le million lourd (L'Œuvre,24 sept. 1973ds Gilb. Mots contemp. 1980).Le corps de bataille actuel coûte bon an, mal an 7 milliards lourds (Le Figaro, 28 févr. 1975ds Gilb. Mots contemp. 1980). C. − [L'échelle n'est pas spécifiée] Qui a une grande extension, qui dépasse de beaucoup les dimensions ordinaires. − [En parlant d'un événement ou de ses conséquences] Synon. important, grave, gros; anton. insignifiant, mince.Il m'échappa une des plus lourdes bévues (Michelet, Journal,1820, p. 127).3 victoires à 0, voilà le score qu'infligea Gérardin à Chaillot. Toutefois, ce résultat est un peu lourd, pour Chaillot, car celui-ci fut loin de démériter (L'Œuvre,27 janv. 1941): 6. ... je suis trop léger. Il faut que je me leste d'un forfait bien lourd qui me fasse couler à pic, jusqu'au fond d'Argos.
Sartre,Mouches,1943, II, 1ertabl., 4, p. 64. − [En parlant de qqc. d'abstr. ou d'un aspect abstr. de qqc.] Synon. important, gros; anton. mince.Avoir un lourd casier judiciaire. M. Garros se rabattit sur de plus lourds arguments: − Vous souffrirez, Claude, vous serez à chaque instant choqué, froissé (Mauriac,Chair et sang,1920, p. 10).La vieille Rambaud chauffa son lit. Une lourde dose de soporifique l'assomma et le fit dormir (Malègue,Augustin, t. 2, 1933, p. 372): 7. ... d'elle à moi, s'était établi peu à peu, depuis mon retour, un accord de raison et de sentiment, par quoi je lui donnais mes soins et le plus lourd de mes soucis...
Bosco,Mas Théot.,1945, p. 84. II. − [La prédication met en jeu l'appréciation d'un aspect perceptible de qqc. ou de qqn] A. − [L'appréciation est liée à la vision d'un mouvement] 1. a) [En parlant d'un animé] Qui se meut avec peu d'aisance, avec gaucherie et souvent avec lenteur. Synon. balourd, lourdaud, gauche, pataud, pesant; anton. agile, preste.Les chevaux de Flandres sont lourds (Ac. 1798-1878). Aussi Madame Rabourdin, Madame Jules et Mademoiselle De Fontaine (...) se dessinaient-elles sur toute la bourgeoisie par leurs grâces molles (...) comme trois premiers sujets de l'opéra se détachent sur la lourde cavalerie des comparses (Balzac,C. Birotteau,1837, p. 211): 8. ... ils restaient tout le long du jour assis dans le muséum, à rêver d'autres occupations. Ce changement d'habitudes influa sur la santé de Bouvard. Il devint très lourd, soufflait après ses repas comme un cachalot...
Flaub.,Bouvard, t. 2, 1880, p. 67. b) [P. méton.] Qui manifeste un manque d'aisance, une gaucherie. Allure lourde. Le pigeon (...) opéra, d'un sautillement lourd (...) une volte-face (Arnoux,Double chance,1958, p. 146). − Loc. Avoir la main lourde. Verser en trop grande quantité, mettre une dose trop forte; en partic. mettre trop de sel dans un plat. V. aussi infra A 3. 2. [En parlant d'un déplacement ou de qqc./qqn effectuant un déplacement aérien plus ou moins horizontal] Qui est ou qui semble retenu vers le bas, qui a du mal à s'élever. Synon. pesant; anton. aérien, léger.Avancer d'un pas lourd. Son tronc pleure une résine qui se traîne de bave, puis en flamme rampante et lourde (Colette,Dialog. bêtes,1905, p. 113).Il repartit. Des perdrix s'éveillèrent et filèrent dans ses jambes, d'un vol lourd (Dorgelès,Croix de bois,1919, p. 54): 9. Comme aux bords de la mer où le vent calme et sourd
Pousse à l'écueil grondant un flot égal et lourd
Une neuvième vague amoncelée en poudre
Éclate sur l'écueil avec un bruit de foudre...
Lamart.,Chute,1838, p. 975. − BOURSE. Marché lourd. Marché dont les cours stagnent ou sont en baisse. (Dict. xxes.). 3. [En parlant d'un choc ou d'une chute] Qui est produit par quelque chose qui s'abat de tout son poids. Coup lourd. Ce n'est pas un coeur de romaine Acceptant les coups les plus lourds, Certes, qu'Isabelle promène Sous un corsage de velours (Glatigny,Fer rouge,1870, p. 47).Le vent s'appuie sur lui de tout son poids, par larges coups, longs et lourds, puis s'envole, et c'est un ronron comme de chat (Giono,Regain,1930, p. 100): 10. ... elle [la tour de Londres] a étouffé à jamais les soupirs des prisonniers, la lourde chute du corps des rebelles écossais, les râles des enfants assassinés...
Morand,Londres,1933, p. 312. − Loc. Avoir la main lourde. Frapper avec force (quelqu'un) pour le punir. Je verrais avec plaisir que votre fils épousât Michellina Savelli, croyez-vous qu'il se ferait tirer les oreilles? − Je ne le lui conseillerais pas, dit l'autre bandit. Le camarade a la main un peu lourde, il sait se faire obéir (Mérimée,Colomba,1840, p. 87). B. − [L'appréciation est liée à la perception d'un aspect sensible de qqc. ou qqn] 1. [Du point de vue visuel] Dont les proportions, la forme, la disposition manquent de grâce, de finesse ou d'élan, qui présente un aspect (trop) épais ou (trop) large, dont la décoration est trop surchargée. Synon. empâté, massif, mastoc (fam.), lourdaud; anton. aérien, élancé, léger, svelte.Cette statue a des formes trop lourdes (Ac. 1835-1935). Les ornements de cet édifice sont bien lourds (Ac. 1835-1935). Une robe grise de grosse laine (...) tombe à plis lourds jusqu'à la cheville (Lamart.,Confid.,1849, p. 377).Le dessin [Hogarth - Portrait du peintre] est lourd, le coloris opaque, la touche appuyée, l'ensemble peu agréable (Gautier,Guide,1872, p. 318).Mon grand-père a coiffé le pavillon central d'un lourd chapeau d'ardoises (Mauriac,Journal 2,1937, p. 106).C'était un homme de lourde stature, dans la soixantaine (Druon,Gdes fam., t. 2, 1948, p. 167): 11. Le baron, suivi du comte, traversa une longue file d'appartements remarquables par leur lourde somptuosité et leur fastueux mauvais goût...
Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 689. SYNT. Architecture, décoration, ornementation, écriture, façade lourde; épaules, cuisses lourdes; pose lourde; lourdes moustaches; meuble lourd; lourd visage, escalier; nuages lourds. − [Lourd de + subst. indiquant par quoi qqc. est rendu lourd]C'était une bête à forte encolure, lourde du ventre et large des sabots (Ramuz,A. Pache,1911, p. 283).C'était alors que je découvrais (...) les plafonds légers mais lourds de volutes et de motifs sculptés (Jouve,Scène capit.,1935, p. 236). 2. [Du point de vue auditif] Dont le son est grave, peu distinct et parfois assez fort. Anton. clair.Accord, accent lourd; rires lourds; voix, vocalises lourdes; lourdes clameurs; cloche lourde; lourd clapotement. L'orgue canaille et lourd, Au fond du bourg, Moud la kermesse (Verhaeren,Camp. halluc.,1893, p. 66).Ils [les ouvriers d'une carrière souterraine, en pénétrant dans le chantier, après le tir] doivent sonder le toit et les parois avec un outil en fer et là où le son est lourd ils doivent (...) détacher le bloc dangereux (Cahen, Bruet,Carrières,1926, p. 131).Les saxophones, à moins d'arrangement spécial sont un peu lourds (Parès,Traité d'instrument. et d'orchestr., s.d., p. 22): 12. À un point de l'horizon, puis à un autre, tout autour de nous, le canon tonne, et son lourd fracas se mêle aux rafales d'une fusillade...
Barbusse, Feu,1916, p. 246. 3. [En parlant d'une odeur] Qui est fort et difficile à supporter. Synon. entêtant; anton. discret, léger, subtil.Un lourd parfum. Les rues obscures qui descendent vers la mer comme des égouts et dont sortent des odeurs lourdes, une sorte d'haleine de bouges (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Port, 1889, p. 1330): 13. ... la maladive exhalaison
De parfums lourds et chauds, dont le poison
- Dahlia, lys, tulipe et renoncule -
Noyant mes sens, mon âme et ma raison,
Mêle dans une immense pâmoison
Le souvenir avec le crépuscule.
Verlaine,Poèm. saturn.,1866, p. 70. 4. [Du point de vue du goût] Dont le goût est fort et corsé et dénué souvent de finesse; dont la consistance est épaisse; qui est gras et difficile à digérer. Anton. fin, léger.Talonnant dans l'estomac, comme des éperons à boire, les lourdes pâtisseries, les tartes à la fleur de sureau et aux raves (Huysmans,Là-bas, t. 1, 1891, p. 185).Céline dut faire emplette de la pâtisserie chez le boulanger du village. Le gourmand y trouva moins de plaisir qu'il n'en attendait; la pâte était lourde et les prunes sèches (Adam,Enf. Aust.,1902, p. 60): 14. ... elle n'était pas peu fière des domaines paternels: quarante hectares de vignes s'il vous plaît, qui donnaient bon an mal an huit mille hectolitres d'un vin lourd et râpeux...
Aragon, Beaux quart.,1936, p. 90. C. − Au fig. [L'appréciation porte sur des qualités intellectuelles ou esthétiques concernant une pers. ou une chose] 1. Qui manque de finesse, de subtilité intellectuelle. Synon. balourd, lourdaud, obtus; anton. spirituel, subtil, vif.M. Grandet était un demi-sot, lourd et assez instruit (Stendhal,L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 336).Il y a chez lui l'insouciance du gavroche; c'est près de lui que je me sens le plus maladroit, le plus lourd, le plus morose (Gide,Journal,1914, p. 473). 2. Qui témoigne d'un manque de finesse, de subtilité ou de sensibilité intellectuelle. Synon. grossier; anton. spirituel, subtil.Une lourde plaisanterie. Il a l'esprit lourd (Ac). Devant le lourd badinage de cette Américaine, il se jugeait bien novice (Radiguet,Bal,1923, p. 45): 15. Eh bien oui, moi aussi j'espérais qu'un jour j'aurais cette suprême distinction, cette finesse (...), la finesse d'un Boîte-à-fiches. À cette expression, à ce lourd surnom trivial, à cette grossièreté vous reconnaissez que je ne me défends plus.
Péguy, V.-M., comte Hugo,1910, p. 669. − En partic. [En parlant de style ou de productions artistiques] Qui comporte des répétitions ou des longueurs qui gênent la fluidité de l'oeuvre. Synon. pesant; anton. alerte.Style lourd. On a donné Marion; la première représentation a été lourde, trop longue, cela n'a fini qu'à une heure du matin (Sainte-Beuve,Corresp., t. 1, 1831, p. 257).J'aime les phrases un peu lourdes, qui adhèrent à la page, se prolongent et se ramifient avec de fortes jointures (Chardonne,Attach.,1943, p. 108): 16. Beaucoup lu Flaubert ces temps-ci (...) j'ai été extrêmement surpris de me trouver en présence d'un style quelquefois très lourd et, somme toute, assez gauche.
Green,Journal,1931, p. 46. III. − [La qualification met en jeu une expérience sensible généralement désagréable] A. − [Le référent du subst. déterminé subit la sensation] 1. [La sensation appartient au domaine physique] a) [En parlant (d'une partie) du corps] Qu'il est difficile de maintenir dans sa position naturelle de veille ou que l'on sent plus pesant qu'à l'ordinaire. Synon. pesant; anton. léger.Se sentir le corps lourd. Pons, dont la tête était un peu lourde (...) observa Fritz Brunner à travers ce nuage diaphane que cause le vin (Balzac,Cous. Pons,1847, p. 77).Il allait plus lentement, encore plein de sommeil et les jambes lourdes de ses six heures d'ascension (A. Daudet,Tartarin Alpes,1885, p. 55): 17. Ses yeux lourds de fatigue s'attachaient au mince rayon de soleil qui envahissait la pièce.
Roy,Bonheur occas.,1945, p. 332. b) [En parlant d'un organe interne au corps] Que l'on sent plus pesant qu'à l'ordinaire par suite d'un fonctionnement déréglé. Synon. pesant; anton. léger.− Comment vous trouvez-vous? lui dit-il précipitamment et à voix basse; bien? − Oui. - Léger d'estomac ou lourd? Léger? − Oui (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 306). 2. [La sensation appartient au domaine psychique] Rare. Qui est rendu anxieux et préoccupé (par quelque chose). Après la pâtée des cochons, Julia s'en est revenue, lourde de sa réflexion et de sa lutte contre le sort (Giono,Gd troupeau,1931, p. 230). − Loc. Avoir le coeur lourd. Éprouver un chagrin profond. − Minuit et demi. Mais vous n'allez pas m'abandonner comme cela, mon enfant, mon cher enfant. J'ai le coeur lourd, lourd. Il pleurait à chaudes larmes (Benoit,Atlant.,1919, p. 201). B. − [Le référent du subst. déterminé est à l'origine de la sensation] 1. [La sensation appartient au domaine physique] a) [En parlant d'une préparation culinaire, d'un repas] Difficile à digérer. Synon. pesant; anton. léger.Cuisine lourde. Fatigué de cette étude assidue, mal disposé par un dîner assez lourd que j'avais fait, je laissai tomber ma tête sur mes deux mains et m'endormis (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 228). − P. méton. Digestion lourde. Malaisée. Elle avait, en général, la digestion lourde et le réveil maussade (Feuillet,Honn. d'artiste,1890, p. 164). b) [Du point de vue de la température]
α) Qui est accablant et étouffant, généralement à cause d'une chaleur forte et très humide. L'atmosphère est lourde; le temps est lourd. L'air était doux, lourd, comme orageux (Michelet,Journal,1834, p. 154).Pénétrant comme le remords, Tombe un froid lourd qui vous écoeure (Verlaine,Poèm. saturn.,1866, p. 79).Les lourds effluves du poêle lui coupaient bras et jambes, il ne bougeait de son fauteuil (Huysmans,Soeurs Vatard,1879, p. 314): 18. Pas un souffle n'agitait les larges feuilles d'or et de pourpre; l'air humide et lourd semblait coller à la peau.
Green,Moïra, 1950, p. 7. − Loc. verb. Il fait lourd. Il fait une chaleur pénible et étouffante. «Comme il fait lourd», dit-elle: «il va faire de l'orage» (Martin du G.,Thib., Pénitenc., 1922, p. 809).Il faisait très chaud, très lourd, il y avait des gens qui sentaient la sueur et la nourriture (Prévert,Paroles,1946, p. 40).
β) Qui est accablant de chaleur. Par les beaux jours d'été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales (Zola,Th. Raquin,1867, p. 3).Ce lourd siroco, plus ravageant, plus desséchant que la flamme, ce perpétuel incendie d'un continent tout entier brûlé jusqu'aux pierres (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Marroca, 1882, p. 786). 2. Au fig. [La sensation relève du domaine moral ou psychique] a) Difficile à supporter ou à exécuter en raison de sa quantité, de sa qualité ou de sa force. Charges lourdes; impôts lourds; une lourde tâche. Je commence à être débordé par la quadruple dépense Paris-Bruxelles-Outremer-Hauteville-House. Quatre maisons, c'est un peu lourd (Hugo,Corresp.,1868, p. 109).Quelques légers deniers tiennent en équilibre Les lourds travaux des champs où la faucille vibre (Jammes,Géorgiques,1912, p. 85).Et puis, il est lourd d'avoir une fille, en un temps où tout ce qu'on peut pour elle est de la protéger (Montherl.,Maître Sant.,1947, ii, 1, p. 624): 19. Peut-être encore connut-il à aucun moment ce besoin (...) d'inspirer l'amitié (...) comme s'il comprenait que son mensonge serait alors trop lourd à porter?
Bernanos,Imposture,1927, p. 366. − Peser lourd (sur qqn). Être une grande charge (pour quelqu'un). Le roi pouvait bien jouir de droits et de privilèges qui pesaient lourd sur le peuple (Faral,Vie temps st Louis,1942, p. 29). b) Qui accable ou peut susciter un sentiment généralement pénible (de gêne, de désagrément, de honte, de chagrin). Synon. accablant, écrasant; anton. doux, léger.Un lourd destin, ennui, chagrin; réflexions, pensées lourdes; une lourde torpeur. La vie devient en ce moment bien lourde et bien pesante, pour votre humble serviteur (Balzac,Corresp.,1839, p. 567).Mais la chambre était vide, dans le lourd désordre où Hélène l'avait laissée (Zola,Page amour,1878, p. 1030).Un lourd silence retombe, creuse l'abîme entre les deux hommes (Psichari,Voy. centur.,1914, p. 69): 20. Une lourde menace pesait sur les derniers mots de Gravier que celui-ci appuya d'une révolution extraordinaire de ses prunelles dans la direction de son associé.
Drieu La Roch.,Rêv. bourg.,1937, p. 89. − [Avec un compl. introduit par de indiquant la cause ou les effets de ce qui est éprouvé] Qui pèse trop par ou à cause de. Synon. gros de, chargé de; anton. démuni de, dépourvu de.Air lourd de malheur; fait lourd de conséquences; phrase lourde de sous-entendus; regard lourd d'arrière-pensées. Un paysage très semblable, bien lointain, lourd de tristesse et d'avenir (Malègue,Augustin, t. 2, 1933, p. 422).Il est une phrase lourde de prolongements parmi les notes de Léonard: «L'ombre est de puissance supérieure à la lumière...» (Huyghe,Dialog. avec visible,1955, p. 330): 21. Du bureau étranger ressortissaient aussi les Juifs (...). Il y en eut un, notamment, dont tous les envois aux siens nous revenaient de son bourg natal avec la mention, en l'occurrence lourde d'équivoque: «partis sans laisser d'adresse».
Ambrière,Gdes vac., 1946, p. 100. Prononc. et Orth.: [lu:ʀ], fém. [luʀd]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. «Maladroit» 1. ca 1165 lorz «abasourdi, pataud, endormi» (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 29375); 1680 (Rich.: Lourd, Pesant, qui marche pesamment); 2. ca 1170 lort «sot, stupide, qui manque de subtilité» (Béroul, Tristan, éd. A. Ewert, 2366); ca 1330 lourt «grossier, rustre, rude (d'une personne)» (Guillaume de Digulleville, Pèlerinage vie hum., éd. J. J. Sturzinger, 5228); 1400-03 lourd «grossier, stupide (d'une chose)» (Christine de Pisan, Livre de mutacion de fortune, éd. S. Solente, 4386: fraudes lourdes); 1559 lourde faulte (Amyot, Péricl. 50 ds Littré). B. «pesant» 1. 1275-80 «pesant, dont le poids est élevé ou supérieur à la moyenne; massif, qui donne une impression de pesanteur sur les sens» (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 13299); 1863 artillerie lourde (Lar. 19e, s.v. artillerie); d'où 1916 subst. fém. lourde (Mang, Fantasio, 1-5 ds Esn. Poilu 1919); 2. a) 1388-89 lourt «difficile à supporter en raison de son importance» (Eustache Deschamps, Balade MCIV, éd. Queux de Saint-Hilaire, t. 6, p. 9, 18); 1735-36 fig. avoir la main lourde «frapper durement» (Marivaux, Paysan parvenu, éd. Fr. Deloffre, p. 211); b) 1690 lourd «pénible, difficile, long à exécuter» (Fur.); c) 1810 «qui accable, oppresse» (Staël, Allemagne, t. 2, p. 53); 3. 1538 lourde cheutte «action de tomber de tout son poids» (Est., s.v. attolere); 1554 lourd «qui a du poids, difficile à déplacer en raison de son poids» (A. Thevet, Cosmographie de Levant, p. 76); 1573 lourd (sommeil) «que rien ne peut déranger» (Lariv., Facet. nuits de Strap., XIII, VI ds Gdf.); 1690 (terre) lourde «grasse, forte» (De La Quintinye, Instruction pour les jardins fruictiers, t. 1, p. 129); 1873 turf piste lourde (Lar. 19e); 4. 1901 ne pas en ficher lourd «ne pas travailler beaucoup» (Bruant, p. 217). Prob. d'un lat. pop. *lurdus [attesté dans les gloses de Rhaban et trad. par fûl «pourri, gâté» d'apr. Diez3, p. 197] altération du lat. class. lūridus «jaune pâle, blême» et «qui rend livide»; cf. l'ital. lordo (mais aussi lurido) «sale», l'a. prov. lur «id.» (1478, Doc. Forcalquier ds Romania t. 27, p. 427). Cependant la forme et le sens font difficulté, le sens physique ne s'étant imposé que tardivement. Du sens de «blême» on peut passer à celui de «sale» de l'ital. (cf. le dér. b. lat. luridatus «souillé» ives. ds Blaise Lat. chrét.), mais aussi de «lourdaud, simple» d'où «pesant» (Diez3, p. 197 et FEW t. 5, p. 469b qui rejette en raison de la chronol. des attest. l'évolution proposée par REW35176: «livide», «qui a le vertige», «troublé, stupide» et enfin «pesant»). Fréq. abs. littér.: 7 466. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 450, b) 9 835; xxes.: a) 14 652, b) 13 873. DÉR. 1. Lourderie, subst. fém.,vx. Faute grossière contre la bienséance. Synon. lourdise. (Dict. xixeet xxes.).− [luʀdə
ʀi]. Att. ds Ac. 1718-1878. − 1reattest. 1512 lourderye «ce qui témoigne de la sottise» (Cretin, A maistre François Charbonnier, éd. K. Chesnay, p. 273); de lourd «sot», suff. -erie*. 2. Lourdingue, adj.,pop. et arg. Qui manque de finesse, de subtilité. Synon. lourdaud; anton. fin, rusé.Je l'ai vu gagner plusieurs fois (...) dans des cas où il n'avait aucune chance, avec des canassons impossibles. Seulement la veine ne se marie pas à l'amour. Pas vrai? − Lourdingue va, murmura Paradis (Queneau,Pierrot,1942, p. 127).− [luʀdε
̃:g]. − 1resattest. 1940 pop. «gros» d'apr. Esn., 1942 (Queneau, loc. cit.); de lourd, avec finale pop. -ingue, sur le modèle de mots tels que sourdingue. 3. Lourdise, subst. fém.,vieilli. Faute grossière contre la bienséance. Synon. lourderie, balourdise.Regretter une lourdise. Toutes ces troupes (...) ont tiré d'une manière détestable. Nos milices auraient été punies pour une pareille lourdise (J. de Maistre,Corresp., t. 11, 1808, p. 24).Son amant la trouva mal élevée, mais il attribua cette étrange sortie à deux verres de champagne qu'elle avait bus. Marthe se reprocha sa lourdise et désormais elle ne dit mot, étouffant ses rancunes et ses rages (Huysmans,Marthe,1876, p. 111).Le comte de Coigny (...) très poussé par sa valeur militaire se perdit par sa lourdise (La Varende,Saint-Simon,1955, p. 230).− [luʀdi:z]. Att. ds Ac. 1718-1878. − 1reattest. 1542 «sottise, maladresse» (Deroziers, trad. de Dion Cassius, Hist. Rom., L. LVIII, ch. 124 − 268 vo− ds Hug.); de lourd «sot», suff. -ise*. BBG. − Breslin (M. S.). The Old French Abstract Suffix -ise. Rom. Philol. 1969, t. 22, p. 419 (s.v. lourdise). _ Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 653. _ Gohin 1903, p. 308, 332 (s.v. lourdise). _ Grundt (L.-O.). Ét. sur l'adj. invarié en fr. Bergen-Oslo-Tromsø, 1972, p. 212, 220, 221, 232, 236. _ Sain. Arg. 1972 [1907] p. 69, 75; Sources t. 3 1972 [1930] p. 60. |