| LOUCHER, verbe intrans. A. − 1. Être atteint d'un défaut de parallélisme des yeux, permanent ou passager, dû à un strabisme convergent ou divergent. Synon. fam. être bigle, bigler.Loucher des deux yeux; loucher affreusement, terriblement, atrocement, horriblement. La reine releva la tête impétueusement, le fixa une seconde à le faire loucher (A. Daudet,Rois en exil,1879, p. 321).Assez belle fille à cela près qu'elle louchait d'un œil et clochait d'un pied (A. France,Barbe-Bleue,1909, p. 17).Elle ne louchait pas, elle avait ce que l'on appelle une coquetterie dans l'œil (Pagnol,Fanny,1932, ii, 7, p. 150). − Loucher de + subst. désignant la cause.Loucher de fureur. Elle a ce cauchemar: l'obscénité des choses. Des boucs, louchant de lubricité, brisent leurs cornes en des caresses furieuses (Péladan,Vice supr.,1884, p. 68).J'aime ça, (...) ce rappel discret du cri des tournois: «Honneur aux dames!» Il y a là de quoi faire loucher de rancune vos docteurs qui se méfient tant des personnes du sexe (Bernanos,Journal curé camp.,1936, p. 1219). − [P. méton., le suj. désigne les yeux, le regard] Être atteint de strabisme: Quand il buvait, (...) ses yeux louchaient pour ne point perdre de vue sa chope, et il avait l'air de remplir l'unique fonction pour laquelle il était né.
Maupass.,Contes et nouv.,t. 2, Boule de suif, 1880, p. 132. − P. anal. ou p. métaph. [Le suj. désigne un inanimé abstr. ou concr.] Les fenêtres closes dormaient. Quelques-unes, éparses, vivement allumées, ouvraient des yeux, semblaient faire loucher certains coins (Zola,Assommoir,1877, p. 431). 2. Tourner volontairement les yeux de manière à rompre le parallélisme de leurs axes optiques. Art de loucher. L'avoué ressemblait à ces personnes qui, voulant se rendre compte de la longueur de leur nez, louchent en forçant les yeux à s'arrêter sur un point trop rapproché (Champfl.,Bourgeois Molinch.,1855, p. 87). B. − P. anal. et au fig., pop. [En parlant de certaines difformités corporelles qui manifestent une absence de symétrie] Elle louchait si fort de la jambe, que, sur le sol, l'ombre faisait la culbute à chaque pas; un vrai guignol (Zola,Assommoir,1877p. 772).,,Loucher de l'épaule`` (France 1907): ,,Être bossu`` (France 1907). C. − P. ext. 1. Emploi trans. indir. Loucher vers/du côté de/dans la direction de/sur qqc., qqn.Jeter un coup d'œil rapide vers/du côté de/dans la direction de/sur quelque chose, quelqu'un. a) [Avec une idée de convoitise, de désir] Il y aura aussi les regards en coulisse des garçons qui loucheront sur la patronne en pensant à tant de belle chair perdue sous vos amples jupes (Toulet,Nane,1905, p. 110).Les filles superbes (...) qui font le guet rue Pavée rêvent peut-être (...) en louchant de leurs longs yeux verts sur les assiettes de volaille de quelque bistrot israélite (Fargue,Piéton Paris,1939, p. 106).Je ne suis plus tenté de loucher vers les premiers étalages opulents ou la mansarde à géraniums (Bernanos,Enf. humil.,1948, p. 190). b) [Avec une idée de dégoût, de déplaisir] Je me procurai des boules puantes (...) et je goûtai l'âpre jouissance de voir ma femme, suffoquée, loucher sur son carlin en faisant de sourdes allusions à l'odeur de ce petit animal (Courteline,Vie mén.,Am. de la paix, 1891, p. 251). 2. Emploi intrans. Faire loucher qqn.Le faire regarder de travers en excitant son désir, sa convoitise (à l'instar de celui qui louche à force de s'approcher de ce qu'il regarde). La bonne est une jeune veuve qui te ferait loucher (Verlaine,Corresp.,t. 3, 1889, p. 62).Le marchand de tableaux guignait les merveilles accumulées dans l'atelier (...) [Grantouvre:] − Ça vous fait loucher, hein, vieux grigou? (L. Daudet,Coeur et abs.,1917, p. 53). REM. Louchant, -ante, adj.a) Qui louche. La mère Doré demandait sa fille, une brunette louchante, d'une joliesse maladive (Frapié,Maternelle,1904, p. 110).b) Qui fait loucher. On pouvait deviner ce qu'elle serait, cette hystérique rien qu'à la voir s'agiter déjà dans la taverne de l'Olympia. En bas dans la longue cave-dancing louchante aux cent glaces (Céline,Voyage,1932, p. 90). Prononc. et Orth.: [luʃe]. Ac. 1694, 1718 louscher; dep. 1740 -ch-. Étymol. et Hist. 1. a) 1599 trans. «regarder du coin de l'œil, avec dégoût» (Perrot, Contr'empire des sciences, fo72 d'apr. Régnier ds
Œuvres, éd. Raibaud, p. 41, note 4); b) 1611 intrans. «être atteint de strabisme» (Cotgr.); 2. fig. a) 1859 faire loucher qqn «provoquer l'envie, le dépit de quelqu'un» (Monselet, Le Musée secret de Paris, 75 ds Quem. DDL t. 15); b) 1896 loucher sur (Delesalle, Dict. arg.-fr. et fr.-arg.); c) 1904 loucher vers «convoiter» (Rolland, J.-Chr., Aube, p. 107); 3. 1866 loucher de la jambe, de l'épaule (Delvau, p. 229). Dér. de louche1*; dés. -er*. Fréq. abs. littér.: 162. DÉR. 1. Louchement, adv.,hapax. [Correspond à louche1II B 2] De manière louche, faiblement éclairé. Un riche intérieur de miroirs, de boiseries, de faïences, qu'éclairait louchement un bout de lumignon (L. Daudet,Voy. Shakesp.,1896, p. 102).− [luʃmɑ
̃]. − 1resattest. a) 1660 «de travers (du regard)» (Oudin Fr.-Esp.), attest. isolée, b) 1896 «faiblement éclairé» (L. Daudet, loc. cit.); de louche1, suff. -(e)ment2*. 2. Louchement, subst. masc.État d'une personne qui louche; action, habitude de loucher. Un louchement désagréable (Lar. 19e-20e). Le louchement est parfois héréditaire (Lar. Lang. fr.). Synon. loucherie.− [luʃmɑ
̃]. − 1reattest. 1611 louschement «action de loucher» (Cotgr.); de loucher, suff. -(e)ment1*. 3. Loucherie, subst. fém.,fam. a) État d'une personne qui louche, p. méton. de son regard. Synon. louchement (subst. masc.).Son visage pâle, avec un nez menu, presque invisible, des yeux affectés d'une vague loucherie, avait une expression d'inquiétude (Fabre,Lucifer,1884, p. 4).Question de loucher, la Vitruve, j'ai jamais vu pire. Elle faisait mal à regarder. Aux cartes, aux tarots c'est-à-dire, ça lui donnait du prestige cette loucherie farouche (Céline,Mort à crédit,1936, p. 20).P. métaph. Le renanisme, comme le libéralisme, n'est qu'une forme de couardise profonde, n'est qu'une loucherie de l'âme effarée (L. Daudet,Stup. XIXes.,1922, p. 277).b) Action, habitude de loucher. Au fig. On nous laisse glisser un œil de côté dans les livres nouveaux (...). Encore (...) des heures de marche! Toujours la loucherie dans les livres coupés (Vallès,J. Vingtras,Bachel., 1881, p. 588).− [luʃ
ʀi]. − 1reattest. 1740-55 «fait de loucher, état d'une personne qui louche» (Saint-Simon, Mémoires, 384, 185 ds Littré); de loucher, suff. -erie*. 4. Loucheur, -euse, adj. et subst.(Personne) qui louche. Placez-moi donc à côté de ce loucheur, répondit-il en désignant Octave Loriot dans la profondeur d'un groupe (Bloy,Désesp.,1886, p. 266).− [luʃoe:ʀ], fém. [-ø:z]. − 1resattest. a) subst. 1823 «personne qui louche» (Boiste), b) adj. 1936 berlue loucheuse (Céline, Mort à crédit, p. 638); de loucher, suff. -eur2*. BBG. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 310. _ Pauli 1921, p. 52. _ Quem. DDL t. 1, t. 6 (s.v. loucheur). _ Sain. Arg. 1972 [1907] p. 75 (s.v. louchant). |