| LIMON 1, subst. masc. A. − 1. Ensemble de particules de terre mêlées de débris organiques déposées au fond des étangs, des fossés ou entraînées par les eaux courantes dans les parties déclives des terrains. Cette contrée doit au limon de tant de rivières une extraordinaire fertilité (Michelet, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 7).Ces hautes berges ou terrasses du lit quaternaire du Mississipi qui sont constituées par de très riches limons (Brunhes, Géogr. hum.,1942, p. 157): 1. Partout où l'inondation a déposé son limon fécondant l'herbe monte haute, touffue, verte, appétissante; là où elle s'est arrêtée, le sable commence et s'étend à perte de vue.
Du Camp, Nil,1854, p. 51. SYNT. Limon bourbeux, brun, durci, épais, fangeux, jaune, noir, roux; limon charrié par les eaux, desséché au soleil; limon du fleuve, des inondations, du Nil; maisons en limon; pétrir une boule de limon. − P. ext. Terre fine et fertile. Quand la neige est tombée et qu'il s'est formé un limon valant le meilleur des engrais (Pourrat, Gaspard,1925, p. 64). − Au fig. [P. allus. au limon qui se dépose, qui ressemble à la boue] Fange, tourbe. Une maladie financière assez semblable à une peste pour les Gouvernements, est née en Europe de la corruption de la Révolution, et des limons qu'elle a laissés en se retirant (Chateaubr., Disc. et opin.,1826, p. 537).Cherche! remue ton limon : le vice dont tu te fais honneur y a pourri depuis longtemps (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 203): 2. Je calculais avec tristesse quel amas d'impureté devait former dans la mémoire d'un prince de cinquante-huit ans le limon des hontes humaines déposé par l'océan des événements, vomi par ses courants invisibles.
Vigny, Mém. inéd.,1863, p. 110. ♦ Poét. Cœur sans limon. Cœur pur. On sent, rien qu'à la voir, sa dignité profonde. De ce cœur sans limon nul vent n'a troublé l'onde. (Hugo, Rayons et ombres,1840, p. 1038). 2. En partic. [P. réf. à la Bible, Gen. II, 7] a) [S'agissant du limon dont a été formé le corps de l'homme] Corps de limon; l'homme pétri du limon de la terre. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans ce même limon d'où Dieu les réveilla (Péguy, Ève,1913, p. 801): 3. Nous sommes littéralement faits du limon de la terre. C'est pourquoi notre corps et ses qualités physiologiques et mentales sont influencés par la constitution géologique du pays où nous vivons...
Carrel, L'Homme,1935, p. 100. b) [S'agissant du limon (matière) opposé au souffle (âme)] C'est aussi en soufflant, que le dieu des juifs anime l'homme ou le limon dont son corps est formé (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 489).À coup sûr tu n'es pas un être pétri du même limon et animé de la même vie que nous! (Sand, Lélia,1833, p. 7).Celui qui donna l'âme aux enfants du limon (Nerval, Chimères,1854, p. 708): 4. ... Hitler allait rencontrer l'obstacle humain, celui que l'on ne franchit pas. Il fondait son plan gigantesque sur le crédit qu'il faisait à la bassesse des hommes. Mais ceux-ci sont des âmes autant que du limon.
De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 174. B. − GÉOL. ,,Tout dépôt ayant la même granulométrie et les mêmes propriétés physiques que le limon`` (Plais.-Caill. 1958). PÉDOL. ,,Fraction granulométrique de la terre fine`` (Agric. 1977). REM. Limonage, subst. masc.,,Enrichissement naturel ou artificiel (par inondation ou épandage de crues) d'un sol en limon au moyen d'eaux chargées de cet élément`` (Agric. 1977). [Les digues submersibles laissent] au sol de la vallée le bénéfice du limonage pendant les crues extraordinaires (Degrand, Résal, Ponts en maçonn.,1887, p. 10). Prononc. et Orth. : [limɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. a) [Fin xies. « terre molle qui, charriée par les eaux, se dépose sur les bords d'un fleuve » (Raschi, Gl., éd. A. Darmesteter et D. S. Blondheim, t. 1, no646)]; 1remoitié xiies. « id. » (Psautier Oxford, 68, 2 ds T.-L.); b) 1664 allus. bibl. Dieu l'a pétri d'autre limon que moi (Boileau, Satire V, éd. A. Cahen, p. 74, 24). Du lat. pop. *limonem, acc. de *limo « limon », dér. du lat. class. limus « boue », lequel survit dans l'a. fr. lum, lun (fin xiies. − 1306, ds T.-L. et Gdf.) dans l'a. prov. lim (Lévy (E.) Prov.) et dans l'it. esp. limo, cf. FEW t. 5, p. 348-349. Fréq. abs. littér. : 326. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 563, b) 801; xxes. : a) 374, b) 255. DÉR. Limoner, verbe.a) Emploi trans., art culin. ,,Passer un poisson dans l'eau bouillante pour enlever le limon dont il est imprégné`` (Ac. Compl. 1842). Limoner une anguille (Lar. 19e). P. ext. ,,Enlever la peau, la pellicule d'une substance alimentaire. Limoner une cervelle dans l'eau fraîche`` (Lar. Lang. fr.). Vous ferez seulement blanchir les cardons, vous les limonerez (Viard, Cuisin. roy.,1831, p. 356).b) Emploi intrans., région. (Canada). Pleurnicher. Mais c'est pas en (...) limonant comme tu fais, que tu vas te remonter le moral (J. Barbeau, Une Brosse, Montréal, Leméac, 1975, p. 35).− [limɔne], (il) limone [limɔn]. − 1resattest. a) ca 1320 adj. limoné « qui contient du limon » (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, Dixième Livre, t. 4, p. 96, 3594), b) α) 1750 limoner « débarrasser un poisson du limon » (Briand, Dict. des aliments, t. 3, p. 81 et 418).
β) 1962 limoner une cervelle dans l'eau fraîche (Lar. encyclop.); de limon1, d'abord suff. -é* puis dés. -er. |