| LIBREMENT, adv. A. − Sans contrainte d'origine externe. 1. [Point de vue de la liberté physique] Sans entrave physique, sans entrave à la liberté de mouvement. Se développer, se mouvoir, respirer librement. L'animal qui vit librement dans les plaines où il s'exerce habituellement à des courses rapides (Lamarck, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 73).Une haie de buis qui croît librement en broussailles (M. de Guérin, Journal,1834, p. 197).L'un des magistrats dit aux gardes : − Ôtez-lui ses chaînes. Car tout accusé doit paraître librement devant nous (France, Puits ste Claire,1895, p. 226).Les deux pointes du châle descendent jusqu'aux genoux et flottent librement (T'Serstevens, Itinér. esp.,1963, p. 86). 2. [Point de vue de la liberté sociale et politique] a) Sans la contrainte, la pression d'une autorité politique arbitraire. Institutions librement établies; votes librement exprimés. Un journal qui parle librement est un fruit très-nécessaire et très-agréable à goûter en ce moment dans notre pays (Tocqueville, Corresp. [avec Henry Reeve], 1854, p. 149).Mourrez-vous pour empêcher les ouvriers et les paysans d'Espagne de vivre librement? (Malraux, Espoir,1937, p. 803): 1. Art. 77. − Dans la communauté instituée par la présente constitution, les états jouissent de l'autonomie; ils s'administrent eux-mêmes et gèrent démocratiquement et librement leurs propres affaires.
Doc. hist. contemp., Constitution, 1958, p. 215. b) Sans une limitation, une réglementation d'ordre social, juridique. Les emplois publics sont de plus en plus librement ouverts à tout le monde, sans condition de fortune (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 372).Des journaux de langue française sont vendus librement à Berlin et atteignent un large public (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 461). 3. [Point de vue de la liberté individuelle] a) En toute indépendance, selon sa fantaisie; selon une décision libre. Synon. en toute liberté, de son plein gré.Faire des natures mortes, librement, en paysagiste, en peintre de genre, en homme d'esprit, et non pas en ouvrier (Baudel., Salon,1845, p. 70).Il faisait ce voyage librement. Personne ne l'y forçait. Et, certainement, rien n'arriverait que ce qu'il voudrait bien (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 301).Il ne pouvait s'empêcher d'éprouver, à marcher librement, à se sentir maître de son temps, un plaisir assez vif (Arland, Ordre,1929, p. 333): 2. Les livres, c'est comme les amis, on ne les choisit pas librement. Ils s'imposent à vous. Par tout un ensemble de petits signes, que les autres ne remarquent pas et qui, pour celui à qui ils s'adressent, sont pleins de sens.
Daniel-Rops, Mort,1934, p. 386. b) Sans gêne, sans retenue. Synon. en toute franchise.Converser, s'entretenir très librement avec qqn. Il faut que personne ne nous dérange, dit-il; il faut que je puisse lui parler librement, m'accuser devant elle, lui tout dire (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 683).À table on parle librement. Le bon, le mauvais, tout sort dans le laisser-aller du repas (Pesquidoux, Livre raison,1932, p. 39).Je laissai retomber sur son épaule une joyeuse bourrade, en riant librement (Abellio, Pacifiques,1946, p. 87). − Sans souci des convenances. Vous savez qui je veux dire? (...) ma sœur la nomme, trop librement : « la Chassenet » (Colette, Cl. s'en va,1903, p. 246). − Domaine de l'expression littér. et artist.Sans respecter strictement les règles; sans s'embarrasser de contraintes. Commenter librement. [Baïf] a imité, ou, si l'on veut, traduit librement et décemment de Théocrite L'Amour vengeur (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr.,1828, p. 90).S'inspirant librement du vieux poème héroïque des Nibelungen, il [Wagner] l'interprète en le chargeant d'un sens philosophique qui vient en droite ligne du pessimisme de Schopenhauer (Dumesnil, Hist. théâtre lyr.,1953, p. 144). c) En refusant les idées établies, les croyances officielles. Quelques-uns même [des philosophes] (...) malgré leur prétendue résolution préalable de tout examiner librement, subissaient à leur insu, l'empire, si rarement évitable, des opinions vulgairement consacrées (Comte, Philos. posit., t. 5, 1894[1839-42], p. 25). B. − PHILOS., PSYCHOL. [Spécifiquement appliqué à l'homme volontaire] Sans contrainte d'origine interne : 3. « Avoir conscience du libre arbitre, dit Stuart Mill, signifie avoir conscience, avant d'avoir choisi, d'avoir pu choisir autrement ». C'est bien ainsi, en effet, que les défenseurs de la liberté l'entendent; et ils affirment que lorsque nous accomplissons une action librement, quelque autre action eût été également possible.
Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 137. Prononc. et Orth. : [libʀ
əmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1546 « sans contrainte » (Rabelais, Tiers Livre, éd. M.A. Screech, chap. 34, 25); 1609 « avec désinvolture » (Victor, Thresor des trois langues). Dér. de libre* « sans entrave »; suff. -ment2*. Liberement « sans contrainte » est attesté de 1339 à 1540 (cf. Gdf. Compl., s.v. libre). Fréq. abs. littér. : 1 412. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 893, b) 2 048; xxes. : a) 1 964, b) 2 110. |