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* Dans l'article "LARME,, subst. fém."
LARME, subst. fém.
I. − Fréq. au plur. Goutte de l'humeur liquide, transparente et salée qui s'écoule des yeux sous l'effet d'une atteinte physique douloureuse ou d'une émotion. Synon. vieilli pleurs.Tout à coup, et sans que nous eussions encore rien dit qui la pût affliger, un nuage de tristesse se répandit sur son aimable physionomie, ses yeux devinrent humides et les larmes coulèrent (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 39).Il avait un peu de fièvre; la pointe de ses pommettes était plus rouge. Me voyant assise à son chevet, les joues humides de larmes, il me dit sur un ton de doux reproche : − Ah! Voilà que tu pleures encore! (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 149).Sa bouche fuligineuse lui faisait mâcher les mots et il tournait vers le docteur des yeux globuleux où le mal de tête mettait des larmes (Camus, Peste,1947, p. 1231):
1. ... sa fureur tombant soudain, comme une corde trop tendue qui casse, elle se sentit prête à pleurer. Elle fit des efforts terribles, se raidit, avala ses sanglots comme les enfants; mais les pleurs montaient, luisaient au bord de ses paupières, et bientôt deux grosses larmes, se détachant des yeux, roulèrent lentement sur ses joues. Maupass., Contes et nouv., t. 2, Boule de suif, 1880, p. 152.
SYNT. Les larmes perlent, roulent dans les yeux, au bord des paupières; les yeux se remplissent de larmes; avoir des larmes plein les yeux, dans les yeux; les yeux, le visage baigné de larmes; donner libre cours à ses larmes; les larmes glissent sur les joues, sur le visage.
ANAT., BIOL. Liquide limpide, alcalin et salé, sécrété en permanence par les glandes lacrymales pour maintenir l'humidité du globe oculaire, cette sécrétion pouvant, sous l'effet d'une irritation provoquée par un élément étranger, devenir plus abondante pour protéger ou aider à évacuer l'élément irritant. Telles sont les larmes qu'excite une odeur forte; elles viennent de ce que le nerf ophthalmique donne en même temps des branches aux narines et à la glande lacrymale (Cuvier, Anat. comp., t. 2, 1805, p. 116).Les larmes, liquide limpide, alcalin et salé, nettoient la surface de la conjonctive et la protègent contre la dessiccation; elles en maintiennent aussi la transparence (Camefort, Gama, Sc. nat.,1960, p. 232).
En partic. Larmes de crocodile. Écoulement lacrymal lié à la mastication d'aliments dans certaines paralysies faciales. Synon. mod. réflexe, syndrôme gusto-lacrymal. (D'apr. Méd. Biol. t. 2 1971, Méd. Flamm. 1975).
A. − [Dans des expr. marquant les différentes manières dont s'écoulent les larmes]
1. Verser, répandre des larmes. Pleurer. Synon. chialer (pop.).Mais, plus les catastrophes s'accumulaient, plus le bonhomme versait de larmes, et moins on avait envie de le plaindre (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 144).
2. Éclater, fondre en larmes. Se mettre à pleurer abondamment. Synon. éclater en sanglots.L'empereur était enfermé depuis longtemps avec le grand-maréchal; nous étions dans la pièce qui précédait; la porte s'ouvre; le duc de Rovigo, fondant en larmes, sanglotant, se précipite aux pieds de l'empereur; il lui baisait les mains (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 51).Et ce sujet brûlant, la présence de Jenny, cette solitude soulevaient en lui une telle émotion, que sa voix s'étrangla et que ses yeux le piquèrent comme s'il allait éclater en larmes (Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 962).
(Être) en larmes, dans les larmes (rare). (Être) en pleurs, en train de pleurer. Mais quand le docteur revint une heure après, il trouva la duchesse dans les larmes et presque dans une attaque de nerfs; elle ne voulait pas entendre parler du retour de Fédor à Paris (Stendhal, Lamiel,1842, p. 122).Il n'avait de cesse que sa sœur ne fût en larmes, et, si les mots n'y suffisaient pas, il s'approchait pour la brutaliser, la pincer (Gide, Si le grain,1924, p. 475).
[P. méton.] Et elles s'engouffrèrent l'une après l'autre (...) tandis que lui, le cœur en larmes, sentant peser sur les êtres la rudesse du destin, attendait toujours (Zola, Fécondité,1899, p. 265).
3. Pleurer à chaudes larmes, toutes les larmes de son corps, de toutes ses larmes. Sangloter, pleurer abondamment et longtemps. Oh! répondit-il, ce n'est pas moi qui ai dit cela; c'est lui... (lui − c'est-à-dire Barrada, − l'entendit et tourna la tête vers nous. Il pleurait à chaudes larmes) (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 369).Et, honteuse de sentir les larmes la gagner de nouveau, elle cacha les images, avec le mortel regret de ne pouvoir aller s'agenouiller et se soulager dans une église, en pleurant pendant des heures toutes les larmes de son corps (Zola, Argent,1891, p. 222).
[Formulation hyperbolique, avec un verbe ou un subst. marquant une similitude avec une grande quantité d'eau, pour souligner l'abondance des larmes] Flots, torrents de larmes; larmes qui ruissellent, inondent. Mais peu après ses yeux se fermèrent, et il en coula des ruisseaux de larmes (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 161).Tu n'es pas digne de prononcer ce nom! s'écria Trenmor dont le visage fut à l'instant inondé de larmes (Sand, Lélia,1839, p. 432):
2. Elle sortit précipitamment, s'enferma dans sa loge; et là, pendant un quart d'heure, elle se soulagea le cœur du flot de rancune et de rage qui s'y était accumulé : crise de nerfs, déluge de larmes, invectives indignées, imprécations contre Christophe... Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 408.
4. (Être) au bord, à la limite des larmes, gagné par les larmes; avoir les larmes aux yeux. Être ému, sur le point de pleurer. Elle avait, quelques minutes plus tôt, joué des préludes avec une grâce si légère que j'en avais eu les larmes aux yeux (Maurois, Climats,1928, p. 83).À force d'énervement, je me sentais moi-même tout près des larmes (Duhamel, Jard. bêtes sauv.,1934, p. 126).Elle regretta si vivement de n'être pas partie avec eux que ses yeux s'embuèrent de larmes (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 242).
5. Retenir, réprimer, refouler, ravaler ses larmes. S'empêcher de pleurer, cacher ses larmes. De cette valse-là, je ne retire que du chagrin, une tristesse, niaise peut-être, mais si aiguë que je retiens mes larmes à grand'peine (Colette, Cl. école,1900, p. 309).Le coup porta, mais l'infirme se roidit et eut le courage de ravaler ses larmes (Guèvremont, Survenant,1945, p. 179).
[Injonction] Je peux même te jurer si tu veux, que je n'aurai jamais d'autres amoureux... garde tes larmes, garde tes larmes; tu en auras peut-être besoin encore, nounou (Anouilh, Antig.,1946, p. 142).
6. Essuyer, sécher, écraser une larme, ses larmes. (S')arrêter de pleurer. Il la prie de sécher ses larmes, qui pourraient être prises pour un augure sinistre par ses guerriers (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 241).Hyacinthe, de son côté, écrasait une larme dans les coins de ses yeux, et Germain alla gravement embrasser la tante (Theuriet, Mais. deux barbeaux,1879, p. 20).
7. Tirer, arracher une larme, des larmes. Attendrir, faire pleurer. Une chanson que chantait Sandrine, une chanson langoureuse qui vous tirait les larmes des yeux (Genevoix, Raboliot,1925, p. 135).Dans la grande mosquée de Damas le prédicateur Chems Ed-Dîn Yousouf arracha des larmes à la foule en décrivant les sanctuaires de la ville sainte (Grousset, Croisades,1939, p. 329).
8. Aux larmes, jusqu'aux larmes. Au point de se mettre à pleurer. Ce discours, que ce prince encore enfant leur adressa d'une voix douce et persuasive, toucha les bourgeois jusqu'aux larmes (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 142).La Mouquette, apitoyée aux larmes, rentra vivement chez elle, dans la masure branlante que son père s'était aménagée au milieu des décombres (Zola, Germinal,1885, p. 1352).
En partic. Rire aux larmes. Rire à en provoquer l'écoulement des larmes. Je me chargerais volontiers de faire rire le tribunal avec ça, de le faire rire aux larmes, mais je ne me charge pas du tout d'obtenir une séparation, il faudrait autre chose (Meilhac, Halévy, Boule,1875, I, 10, p 23).Le colosse, en riant aux larmes, m'emporta dans ses bras, me déposa au creux d'un immense lit de campagne tout mou, tout chaud, où je m'endormis aussitôt (H. Bazin, Vipère,1948, p. 150).
En partic. Passer du rire aux larmes. Manifester une instabilité morale, affective propre aux états d'anxiété, de nervosité. Depuis quelques semaines, il lui semblait qu'une transformation s'opérait en Renée; elle paraissait inquiète; elle passait brusquement du rire aux larmes; il la surprenait parfois qui attachait sur lui un regard anxieux (Arland, Ordre,1929, p. 408).
9. Crise, scène de larmes. Larmes abondantes, impossibles à réprimer, causées par un état paroxystique. Cette scène de larmes brûlantes semées sur la tête du baron, et de pieds à la glace réchauffés par lui, dura de minuit à deux heures du matin (Balzac, Splend. et mis.,1844, p. 203).Elle était au bord de la crise de larmes. Je devinai que, sous la nappe, sa main gauche était crispée sur sa serviette, sans qu'elle le sût (Abellio, Pacifiques,1946, p. 188).
10. Adj. ou part. passé + de larmes, par les larmes.Atteint, marqué physiquement par l'écoulement des larmes. Brûlé, gonflé de larmes; gonflé, marqué, rougi, tuméfié par les larmes. Des amies de ma mère me reçurent et me firent promettre de n'avoir pas trop de chagrin. Puis, après avoir lavé mes yeux rouges de larmes, j'entrai dans la chambre de la mourante (Du Camp, Mém. suic.,1853, p. 33).Je l'ai vite prise par le bras et conduite au lavabo, sa figure de pauvre mouton, barbouillée de larmes, était enflée, labourée d'ecchymoses (Frapié, Maternelle,1904, p. 140).
B. − P. méton. [Manifestation physique, tremblement causé par les larmes, l'émotion contenue] Une voix étouffée, entrecoupée, altérée par les larmes; la voix mouillée, noyée de larmes. Haydée pâlit, ouvrit ses mains diaphanes comme fait la Vierge qui se recommande à Dieu, et d'une voix rauque de larmes : − Ainsi, mon seigneur, tu me quittes? dit-elle (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 766).En parlant ainsi, Gérard avait des larmes dans la voix; quelque chose d'intérieur le poussait à se jeter aux genoux de Mariette (Champfl., Avent. MlleMariette,1853, p. 223).Mais elle ne l'écoutait même pas. Elle était appuyée au mur, bras ballants, lamentable, et des larmes plein la gorge, elle disait : − Nous l'avons pourtant bien élevé, monsieur (Benjamin, Gaspard,1915, p. 98):
3. Deux ou trois sanglots empêchèrent d'abord Renée de répondre; puis s'essuyant les yeux, comme font les enfants, du revers de ses deux mains, elle lui dit avec une voix étranglée de larmes : « C'est... c'est... trop bête (...) » Goncourt, R. Mauperin,1864, p. 197.
C. − Avoir le don des larmes. Manifester une grande piété mystique marquant le vrai repentir et la confiance en la grâce de Dieu par l'afflux de larmes involontaires et heureuses. Cette jeune et pieuse princesse avait donc reçu du ciel le don des larmes, de ces larmes douces et rafraîchissantes qui révèlent au fond de l'âme la présence d'un trésor inépuisable de grâces et de consolations d'en haut (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 71).
P. anal. Pleurer, s'émouvoir facilement et sincèrement, être sensible à la pitié. Ce don précieux des larmes m'était revenu. Je l'avais fort perdu, mon ami, durant cette précédente année de dissipation, de manège frivole, de poursuites obstinées et de tiraillements (Sainte-Beuve, Volupté, t. 2, 1834, p. 162).
D. − [Ds un cont. péj.]
1. Au sing.
(Avoir) la larme à l'œil; avoir la larme facile. S'émouvoir, pleurer facilement, pour peu de chose. Un rien me met la larme à l'œil. Il y a des choses insignifiantes qui me prennent aux entrailles (Flaub., Corresp.,1850, p. 237).Gavé d'attendrissements, j'avais la larme facile et le cœur dur (Sartre, Mots,1964, p. 91).
Verser, essuyer une larme. Manifester une douleur, un chagrin de convention. Ce fut lui qui, prenant le rôle de la mère, Étreignit au départ la belle sur son cœur, Et laissant échapper la larme de rigueur, La retint dans ses bras comme il convient de faire (Bouilhet, Melaenis,1857, p. 192).Felipone s'était approché d'elle lentement; il avait pris ses deux mains dans les siennes, et dit, en essuyant une larme hypocrite : − Dieu est sévère pour nous, madame (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 21).
2. Au plur. Larmes de crocodile. V. crocodile A 1 a et infra III.
SYNT. a) [Avec un subst.] Larmes de colère, de frayeur, d'indignation, de rage; larmes de bonheur, de joie, de plaisir, de tristesse; larmes de douleur, d'épuisement, de fatigue; larmes de tendresse, de reconnaissance; larmes de désespoir, de honte, d'orgueil, de pudeur, de sympathie; larmes de convention. b) [Avec un adj.] Larmes abondantes, brûlantes, furtives, intarissables; larmes enfantines, maternelles; larmes bienfaisantes, heureuses, généreuses; larmes amères, passionnées, désespérées, sincères; grosses larmes.
Rem. Il est rare de rencontrer l'un de ces syntagmes au sing., sauf lorsque l'aut. y met un ton d'emphase poétique ou une nuance péj. On rencontre cependant : Il y avait dans ses yeux tout à fait troublés comme une larme ou d'intérêt ou de compassion, ou seulement une larme involontaire de jeune femme timide (Fromentin, Dominique, 1863, p. 129).
II. − P. méton., gén. au plur. Douleur, souffrance morale. Synon. affliction, chagrin, peine.Simple et respectable vieillard! Il a, dans son cœur, une pitié pour tous les revers, et des larmes pour toutes les infortunes (Latouche, L'Héritier, Lettres amans,1821, p. 162).Je suis malheureux, Lélia! Car vous l'êtes, vous, et vous n'avez jamais versé une larme dans mon sein (Sand, Lélia,1833, p. 21).Méchant enfant! lui dit-elle devant Hortense et sa mère, si vous m'aviez, avant-hier soir, avoué que vous aimiez ma cousine Hortense et que vous en étiez aimé, vous m'auriez épargné bien des larmes (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 122):
4. Il n'est aucune de ses grandes œuvres qu'il [Verlaine] n'ait payée de son sang, de ses larmes, de son bonheur humain. Sa triste histoire n'a pas fini de scandaliser ses biographes; ils n'ont pas fini de remercier Dieu de ce qu'il ne les a pas rendus semblables à ce « pourceau »; car il faudra la raconter aussi longtemps que sa chère voix ne se sera pas tue. Mauriac, Journal 1,1934, p. 43.
SYNT. Larmes de l'amour, du désespoir, du doute, de la pénitence, du regret.
A. − [Dans des expr. marquant l'objet ou la nature de la souffrance]
1. Coûter des larmes, épargner une/des larme(s) (à qqn). Être dans la position de causer ou non une peine, un chagrin (à quelqu'un). Mon dernier vœu ne seroit pas de te sauver un chagrin, de t'épargner une larme (Cottin, Mathilde, t. 1, 1805, p. 279).Jamais un garçon n'avait coûté autant de larmes à sa mère. Jamais un garçon n'avait autant fait pleurer sa mère (Péguy, Myst. charité,1910, p. 89).
2. Prendre part aux larmes de qqn. Prendre part, partager le chagrin, la peine de quelqu'un. Qui sait ce que vous faites, ce que devient votre santé? Que je vous plains! Que je prends part à vos larmes! (E. de Guérin, Lettres,1837, p. 126).
3. Le cœur gros, gonflé de larmes. Étreint par la peine, le chagrin. Alors, je t'ai pris dans mes bras, je t'ai souri, j'ai chanté pour t'endormir, le cœur gros de larmes, et quoique veuve pour toujours, aussitôt que j'ai pu, j'ai quitté mes coiffes noires pour ne pas attrister tes yeux d'enfant (A. Daudet, Arlésienne,1872, III, tabl. 5, 3, p. 432).Un grand trouble, comme un coup de vent, emporta l'âme du jeune homme. Et son cœur se gonfla de larmes et de joie (Barrès, Barbares,1888, p. 118).
4. Larmes de sang. Larmes causées par une grande douleur, un chagrin cruel. François est au désespoir de mon départ à cause de Mmede La Châtre, mais, témoin des larmes de sang que je verse depuis neuf mois, il m'encourage à partir (Staël, Lettres L. de Narbonne,1794, p. 228).
B. − Douleur, chagrin considéré dans son déroulement temporel.
1. Verbe + dans les larmes.Vivre dans les larmes. Maintenant, je suis vieillie dans les larmes, je ne suis plus ni jeune ni belle (Balzac, Langeais,1834, p. 213).Elle vint à lui, avec son sourire embarrassé, son adorable sauvagerie d'enfant grandie dans les larmes (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 178).
2. Subst. + de larmes.Où sont donc vos promesses? Je les ai, écrites de votre main. Je les ai scellées par cinq ans de larmes et de dévouement (Staël, Lettres L. de Narbonne,1793, p. 165).Mais je me suis dit aussi qu'on n'arrive pas de sitôt à ce degré désespéré; qu'une ou deux ou trois années de larmes ne sont qu'une rosée dans la jeunesse (Sainte-Beuve, Volupté, t. 2, 1834, p. 63).Il n'y a que la vie de l'homme que le chagrin use qui ne repousse pas. Un jour de larmes consume plus de force qu'un an de travail (Lamart., Graziella,1849, p. 179).
C. − Littéraire
1. [P. allus. à l'antienne Salve Regina] La terre, vallée de larmes. Le lieu où l'on vit, où l'on souffre, la terre par opposition à l'au-delà :
5. Le curé multipliait les avertissements. Il mettait des pancartes sur le ventre des femmes : Ici, il y a des pièges, ou bien : Ne pas s'attarder. Pour donner plus de poids à ces avertissements, il y ajoutait la menace d'une punition et non pas dans une autre vie, mais bien dans cette vallée de larmes. Aymé, Jument,1933, p. 66.
[Var. anal.] Rien ne change vraiment, rien ne s'efface, rien ne se renouvelle dans notre monde de larmes (Jouve, Paulina,1925, p. 208).
2. Absol. Mais qu'importe pour le chrétien? À travers larmes ou fêtes, il marche toujours vers le ciel; son but est là, ce qu'il rencontre ne peut guère l'en détourner (E. de Guérin, Journal,1835, p. 100).Il est l'appui des faibles, il est l'aide des opprimés, l'espérance des lassés de la vie... Nulle plainte ne monte en vain vers lui. Aucune larme n'est pleurée en vain (Rolland, Beethoven, t. 2, 1937, p. 333).
3. [P. méton.] Cette gloire hautaine et scrupuleuse a lui Soixante ans, sans coûter une larme à l'Espagne (Hugo, Légende, t. 4, 1877, p. 680).
P. anal. [Chez le cerf] Écoulement noirâtre venant du larmier. V. larmier1A ex. de Cuvier.
III. − P. anal.
A. − Petite quantité, goutte de liquide. Une larme de sang, de salive; une larme de cire chaude; une larme de boue. Nous aidons pour la cuisine, nous faisons tourner le poulet devant le feu de braise (en arrêtant en route les larmes de jus) (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 186).Cette fois, l'entrée en avalanche du capitaine Hurluret surprit à tel point le jeune homme, que sa plume, dans ses doigts, en eut un saut de carpe, lâcha sur le papier une grosse larme d'encre (Courteline, Train 8 h 47,1888, 3epart., 1, p. 217).Papa me coula dans l'oreille malade une larme d'huile tiède, puis il se remit au travail. Il avait l'air inquiet (Duhamel, Notaire Havre,1933, p. 150).
1. Fam. Petite quantité d'une boisson (généralement alcoolisée). Synon. goutte, soupçon.Rien qu'une larme, juste une larme. Ensuite, elle demanda une larme d'eau-de-vie, la but, s'essuya longuement les lèvres (Zola, Assommoir,1877, p. 589).Reçu ce matin un billet où elle me dit : « Je viendrai sur le coup de midi vous demander une larme de votre vin de Tokai » (Goncourt, Journal,1887, p. 683).Il avait honte de manger devant la famille, attendait d'être seul pour voler une larme de café, un fond de soupe, tâtonnait précipitamment, se trompait de casseroles, faisait tout tomber et suscitait les clameurs (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 219).
2. Écoulement de sève de certains végétaux se produisant naturellement ou par scarification. Le soleil verse sa plus piquante chaleur (...) les pavots laissent aller leur morphine en larmes liquoreuses, tout se découpe nettement sur le bleu foncé de l'éther (Balzac, Paysans,1844-50, p. 8):
6. Ces pins altiers, si droits, qui finissent par être dépouillés de branches, et qui, ne gardant qu'une cime maigre et plate sans ombre presque, oscillent d'un bloc sous le vent comme des fûts d'airain... ce sont eux que l'on saigne, qui pleurent ces larmes de résine payées aujourd'hui leur poids d'or... Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 163.
3. P. métaph. Goutte de pluie ou de rosée. La rosée du matin sema ses fins cheveux de larmes embaumées (Sand, Lélia,1833, p. 74).Ne pas dîner tous les jours, coucher à la belle étoile sous les larmes des nuits pluvieuses et s'habiller de nankin dans le mois de décembre leur paraît le paradis de la félicité humaine (Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 10).
B. − Objet, substance solide ayant la forme, l'aspect d'une larme, d'une goutte. Larme d'ambre, larme batavique*. Les sels cristallisés sont, comme les minéraux cristallisés, formés de larmes triangulaires, rhomboïdes ou rectangulaires, appliquées les unes contre les autres (Metzger, Genèse sc. cristaux,1918, p. 188).Comme la sandaraque, le mastic se présente sous deux aspects : Mastic en sorte, ou mastic femelle : (...) Mastic en larmes, ou mastic officinal (Coffignier, Vernis,1921, p. 54).Dans le tiroir d'une toilette qui sentait le savon, traînaient deux longues larmes cristallisées, pendants qui ornaient les oreilles de ma tante maternelle lorsqu'elle avait conquis, par sa grande beauté, en se pavanant sur la place Royale, le cœur du Mexicain farouche qui devint mon oncle (Jammes, Mém., t. 1, 1921, p. 44).
C. − Dessin, représentation graphique ou plastique en forme de larme ou de goutte. Tout le monde était endimanché. En certains endroits, le soleil, par traînées, resplendissait sur des cachemires, des pelleteries fauves, des hermines tachetées de larmes noires (Reider, MlleVallantin,1862, p. 122).C'étaient des « tragopans » [= faisans], ornés d'un fanon charnu qui pendait sur leurs gorges (...) la femelle était uniformément brune, tandis que le mâle resplendissait sous son plumage rouge, semé de petites larmes blanches (Verne, Île myst.,1874, p. 86).Pour bien sentir une peinture, il faut sentir la beauté d'une larme d'émail dans un morceau de poterie, d'une coloration dans un pétale de fleur (Goncourt, Journal,1889, p. 1062).
Spécialement
1. HÉRALD. ,,Figure de blason dont la partie inférieure est arrondie et la partie supérieure flamboyante`` (Adeline, Lex. termes art, 1884). [La lettre] était de grand format, de papier épais et de plus : scellée aux armes poldèves « de sable à l'orle de huit larmes d'argent » (Queneau, Pierrot,1942, p. 71).
2. Ornement en forme de larmes des draperies funéraires. Et de temps en temps des flocons de neige secoués d'une branche tombaient pareils aux larmes d'argent des draps mortuaires, sur la noire tenture de l'ombre (Gautier, Fracasse,1863, p. 144).
3. TYPOGR. Larme de compositeur. Virgule dans le langage des typographes (cf. France 1907 et Esn. 1966).
D. − Mélodie, sonorité rappelant le bruit des sanglots. Laissez-moi vous regarder! vous écouter! Tenez, jouez-moi cette larme de Weber, qu'on appelle sa Dernière Pensée (Dumas père, Marbrier,1854, II, p. 251).Une dernière larme des harpes, un dernier froissement de timbale, et deux clarinettes, en tierce, font entendre (...) deux accords, perdendo (Prod'homme, Cycle Berlioz,1896, p. 104).
REM. 1.
Larmelette, larmette, subst. fém.,vx ou région. a) Petite larme. (Dict. xixeet xxes.). b) P. anal. Petite quantité de liquide (d'apr. Lanher 1977).
2.
Larmichette, subst. fém.,pop., mod. Petite quantité de liquide, en partic. d'une boisson (d'apr. Sandry-Carr. 1963, Riv.-Car. 1969 et Le Breton Argot 1975).
Prononc. et Orth. : [laʀm̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 lermes « humeur liquide qui s'écoule d'une glande de l'œil (Alexis, éd. Chr. Storey, 399); ca 1200 larmes (Aiol, 116 ds T.-L.); d'où expr. a) ca 1170 chaldes lermes (Rois, éd. Curtius, p. 4); 1180-1200 plort a chaudes lermes (Covenant Vivien, éd. A.L. Terracher, 639); b) début XIIIes. en larmes fondre (Chevalier Barisel, éd. F. Lecoy, 850); c) 1560 larmes de cocodrile (Bonivard ds Few t. 5, p. 119 a); 1607 larmes de crocodile (Hulsius); d) ca 1501 la lerme a l'œil (Jardin de plaisance, éd. A. Vérard, fol. LXXXIX); e) 1803 larmes du matin « rosée » (Chateaubr., Génie, t. 2, p. 227); 1810 larmes de l'aurore (Id., Martyrs, t. 1, p. 171); 2. 1remoitié XIIes. « chagrin » la valede de lermes (Psautier Oxford, éd. Fr. Michel, LXXXIII, 6); 1653 pleurer avec des larmes de sang (Vau [gelas], Quin [te Curce] 1. X, p. 708); 1794 verser des larmes de sang (Staël, Lettr. L. de Narbonne, p. 224); 3. début XIIIes. « goutte » d'où « petite quantité » (Sept sages, éd. J. Misrahi, 3320); 4. a) ca 1462 « motif ornemental en forme de larme » (Cent Nouv. Nouvelles, éd. Fr. P. Sweetser, XXVI, 150 : verge... esmaillée de larmes noires); b) 1483 « perle en forme de larme » (Inv. de Charlotte de Savoie, p. 447 ds Gay); 5. a) 1538 « sève » (Est.); b) 1538 larme de la vigne (ibid.); 6. 1575 pharm. « petite masse de suc ou de résine de forme analogue à celle d'une larme » (Paré, éd. J.F. Malgaigne, t. III, p. 630, titre : La maniere de tirer l'huile des gommes, larmes ou liqueurs espaisses et resines...). Du lat. lacrima « larme »; « goutte de gomme issue de certaines plantes ». Fréq. abs. littér. : 11 538. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 21 737, b) 17 369; xxes. : a) 17 521, b) 10 674.
DÉR.
Larmer, verbe intrans.,fam. et région. Pleurer. L'autre jour il nous faisait rigoler parce qu'il croyait qu'« une femme à poil », ça voulait dire « une femme à barbe ». Georges s'est fichu de lui. Et quand Boris a compris qu'il se trompait, j'ai cru qu'il allait se mettre à larmer (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1237).P. anal. Tomber, couler goutte à goutte. Les masques japonais surtout ravissaient le peintre (...) les uns effroyables (...) le bronze des joues creusé de mille rides avec du vermillon larmant au coin des yeux et de longues traînées vertes au coin des bouches (Lorrain, Phocas,1901, p. 88).P. anal. Ressembler, avoir l'éclat, l'aspect d'une larme. Le fond de l'auge avait fait miroir, et c'est une face de vieil homme qui lui souriait (...) une blême face de jadis ceinte d'un casque d'or où larmaient trois émeraudes (Lorrain, Contes chandelle,1897, p. 135).[laʀme], (il) larme [laʀm]. 1resattest. a) 1155 « pleurer » des oilz lerma (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 14070), ca 1200 larmer (Jourdain de Blaye, éd. P.F. Dembowski, 1528), bien attesté en a. fr., à nouv. ds Trév. 1752 qui le qualifie de ,,vieux mot``, b) 1remoitié xiies. « laisser échapper des gouttes en forme de larmes » (Lapidaires anglo-norm., éd. P. Studer et J. Evans, I, 821), en a. fr., à nouv. au xixes. 1887 (Huysmans, En rade, Paris, Crès, 1929, p. 37); de larme, dés. -er.
BBG. Quem. DDL t. 13, 19.