| JUSTESSE, subst. fém. Fait d'être juste; qualité de ce qui est juste. A. − [Correspond à juste I A 2 b] Rare. Qualité de ce qui est justement fondé. Elle était trop loyale pour ne pas reconnaître la justesse de ce reproche (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 321). B. − [Correspond à juste I B 1] Conformité d'une réalisation à son objet, sans excès ni défaut. 1. [En parlant des manifestations de l'activité intellectuelle] Ce raisonnement (...) ne manquait pas de justesse! (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 470).M. Benjamin Crémieux a publié (...) sur le roman psychologique français (...) quelques pages qui sont une merveille de clarté, de justesse (Léautaud, Théâtre M. Boissard,1943, p. 354): 1. L'étonnant est de ressentir parfois l'impression de justesse et de consistance dans les constructions humaines − faites de l'agglomération d'objets apparemment irréductibles − comme si celui qui les a disposés leur eût connu de secrètes affinités.
Valéry, Variété [I], 1924, p. 248. SYNT. Justesse d'un adage, d'un argument, d'un axiome, d'une comparaison, d'une critique, d'un diagnostic, d'une définition, d'une doctrine, d'une explication, d'une hypothèse, d'une idée, d'un jugement, d'une objection, d'une observation, d'un principe, d'un pronostic, d'une remarque; justesse d'une expression, d'un mot, d'un terme; justesse de notation, de style, de ton, de touche; absence, manque de justesse. a) Justesse + adj. − [L'adj. exprime une qualité] Grande, incontestable, profonde justesse; justesse absolue, aiguë, exquise, extrême, frappante, parfaite, relative, rigoureuse : 2. ... il y a chez Keats ce miracle que, surpassant toujours la justesse stricte − tel par exemple que le canon du grand art verbal français le pose, (...) toujours il rencontre ce que l'on pourrait appeler la justesse idéale. (...) chez lui le plus ne devient (...) jamais un trop...
Du Bos, Journal,1923, p. 236. − [L'adj. exprime une relation] Justesse intellectuelle, psychologique. [Carrière] fait sortir la poésie de la vérité, l'éloquence de la justesse expressive (Séailles, E. Carrière,1911, p. 77). b) Verbe + justesse.Contester, nier, prouver, reconnaître la justesse de qqc; convenir, être convaincu de la justesse de qqc. Cf. aussi infra D 1 : 3. ... si la philosophie hégélienne de l'histoire refuse de garantir la vérité (...) du dogme de la providence, elle s'engage à en démontrer la justesse...
Gilson, Espr. philos. médiév.,1932, p. 192. 2. [En parlant des manifestations de l'affectivité, du comportement dans la vie ou sur la scène] Justesse de déclamation, de diction; justesse d'une inflexion de la voix. La vivacité, la force et la justesse des élans vers le but indiqué, sont les éléments qui (...) forment (...) le taux intrinsèque de l'homme, et déterminent sa valeur (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 161).Elle ne leur concédait qu'une amabilité fournie par un sens mondain d'une justesse ancestrale et parfaitement fondue à sa substance (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 64): 4. On aurait cru vraiment que la justice couchait avec moi tous les soirs. Je suis sûr que vous auriez admiré l'exactitude de mon ton, la justesse de mon émotion, la persuasion et la chaleur, l'indignation maîtrisée de mes plaidoiries.
Camus, Chute,1956, p. 1482. 3. BEAUX-ARTS. Conformité à la nature, à une norme esthétique, à un modèle. Justesse du trait, de l'effet, de la perspective, des plans, des valeurs. Un coloriste proprement dit est un peintre qui sait conserver aux couleurs de sa gamme (...) leur principe, leur propriété, leur résonnance et leur justesse (Fromentin, Maîtres autrefois,1876, p. 310).Barye l'emporte sur Delacroix par la science anatomique et la justesse des attitudes (L. Réau, Art romant.,1930, p. 138): 5. ... une longue façade plate, sans autres ornements que l'ordonnance des lignes, la justesse des proportions, et le fronton central, dont le triangle clair se découpe sur le haut toit d'ardoises.
Martin du G., Notes Gide,1951, p. 1384. C. − [Correspond à juste I B 2; avec une idée de rigueur excluant l'approximation] Exactitude, précision. M. Bonneau recommença ses calculs (...), pour vérifier la justesse de ses mesures (Champfl., Bourgeois Molinch.,1855, p. 134).− Au seizième siècle, observa Bossuet, on rayait les canons. − Oui, répondit Combeferre, cela augmente la puissance balistique, mais diminue la justesse de tir (Hugo, Misér., t. 2, 1862, p. 439): 6. Il avait cinquante-deux ans (...). Sa force et la justesse de son coup de cognée étaient celles d'autrefois. Il bêchait comme un jeune.
R. Bazin, Blé,1907, p. 92. − MUS. Conformité aux règles de l'harmonie musicale. Justesse harmonique; justesse d'un accord, d'une cadence, d'une intonation, d'un son, d'une voix; justesse des consonances, des intervalles; justesse d'exécution. La justesse d'une note ne se critique pas, on ouvre l'oreille et l'on en a de suite conscience (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 252).Pour les tierces, nous débuterons (...) par le mouvement d'une voix sur deux; cela pour découvrir les « sensibles » ou « sons attractifs d'autres sons » et nous méfier plus que jamais de la justesse tempérée (Alexanian, Violoncelle,1914, p. 197): 7. De tout temps, Beethoven aurait eu des raisons d'envier cette justesse d'écriture, précise et ferme [de l'art ancien], lui dont le génie avait, nous le savons, tant de peine à forger son expression...
Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p. 286. D. − [Correspond à juste I B 3] 1. [En parlant d'une pers. ou des facultés humaines] Qualité qui permet d'appréhender la réalité, d'exécuter un geste, une tâche, selon la logique, selon la norme. Justesse du coup d'œil, de l'œil, de l'oreille; justesse d'esprit, d'intuition, d'observation; chanter, peindre avec justesse; déterminer, dire, discerner, observer, percevoir, raisonner, reconnaître, répondre avec justesse. Dans ses jugemens sur notre France du dix-neuvième siècle, M. Théry fait preuve d'une bienveillance tempérée de justesse (Mussetds Revue des Deux Mondes,1832, p. 609).Par sa dignité naturelle, sa justesse de sens et la pureté de son goût, il [Louis XIV] exerça, sans y prétendre, une véritable action sur elle [la littérature] (Thierry, Tiers État,1853, p. 274).On ne saura jamais jusqu'où allait la décence et la justesse d'âme de ce peuple; une telle finesse, une telle culture profonde ne se retrouvera plus (Péguy, Argent,1913, p. 1103).V. fausseté A 1 b mus., ex. de Arnoux : 8. Il pouvait bien, ce garçon, n'être qu'un mécanicien en ce moment, mais déjà elle ne doutait pas plus de sa réussite dans l'avenir (...) que de la justesse de l'instinct lui conseillant de s'en faire un allié.
Roy, Bonheur occas.,1945, p. 23. 2. [En parlant d'un mécanisme] Qualité qui lui permet de fonctionner avec précision, conformément à sa destination. Une balance d'une justesse mathématique (Verne, Île myst.,1874, p. 6).La justesse d'une arme (...) est d'autant plus grande que le point moyen est plus rapproché du point visé (Paloque, Artill.,1909, p. 225). − Loc. adv. De justesse, d'extrême justesse. De très peu. Éviter de justesse une catastrophe; réussir de justesse; être sauvé, repêché de justesse. Un camion au grand trot frôla de justesse sa pèlerine longue, la souilla de boue (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 275).C'est Frédéric, présente Rodrigue. Il est arrivé ce matin de Toulouse où il a échappé de justesse à la Gestapo (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 8).M. Paul Reynaud l'emporta, quoique d'extrême justesse. Le ministère obtint la confiance à une voix de majorité (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 25). ♦ [Dans une compétition sportive] Avec une courte avance, d'une courte longueur. Nous avons fait une course de bicyclettes où je me suis laissé battre de justesse (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 454). Prononc. et Orth. : [ʒystεs]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1611 « qualité avec laquelle une chose est exactement adaptée ou appropriée à ce à quoi elle est destinée » (Cotgr.); 2. 1650 « qualité de ce qui est exact dans ses rapports, ses proportions; qui est conforme à une norme idéale ou un modèle » la justesse de l'architecture (Corneille, Andromède, IV, Décoration du quatrième acte ds
Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. V, p. 365); 3. 1657-62 « qualité de l'esprit permettant de juger avec exactitude » (Pascal, Pensées, éd. L. Lafuma, Papiers non classés, 511, p. 576); 4. 1665 « qualité avec laquelle on exécute une action avec précision » (Retz, Mémoires, V, 573 ds IGLF : Il faut une grande justesse pour accorder l'heure des attaques et bien du bonheur pour qu'elles réussissent); 5. 1683, 5 mars « conformité au goût » (Sévigné, Corresp., éd. R. Duchène, t. 3, p. 104); 6. 1778 « qualité d'un organe sensoriel permettant d'apprécier très exactement les choses » justesse de l'oreille (Buffon, Oiseaux, V, p. 97). Dér. de juste* adj.; suff. -esse*. Fréq. abs. littér. : 738. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 579, b) 865; xxes. : a) 706, b) 901. |