| JUGE, subst. masc. A. − Celui qui a autorité reconnue pour trancher un différend, qui est désigné pour juger. Comparaître devant le juge; décision des juges; juge compétent. 1. Celui qui est investi officiellement de l'autorité de rendre la justice, un jugement, de dire le droit. Juge administratif; juge à/de la Cour; juge militaire. Un juge amovible ou révocable est plus dangereux qu'un juge qui a acheté son emploi. Avoir acheté sa place est une chose moins corruptrice qu'avoir toujours à redouter de la perdre (Constant, Princ. pol.,1815, p. 155): 1. don pelage : Ne savez-vous pas que je suis un juge, obligé de donner à tout litige qu'on lui adresse une solution?
Claudel, Soulier,1944, 1repart., 2ejournée, 2, p. 1002. − Expressions ♦ Nul ne peut être juge en sa propre cause P. métaph. Il fut un temps où la ligue civique faisait afficher sur tous les murs une sorte de maxime juridique. « On ne discute pas avec des bandits; on les juge. » J'ai pensé plus d'une fois à compléter cette affiche par une autre, qui aurait rappelé que « nul n'est juge en sa propre cause » (Alain, Propos,1921, p. 194). ♦ Être juge et partie Au fig. Être intéressé directement dans une affaire que l'on devrait considérer, apprécier avec impartialité et sérénité : 2. N'est-ce pas un crime que de donner le jour à de pauvres créatures condamnées par avance à de perpétuelles douleurs? Cependant ma conduite soulève de si graves questions que je ne puis les décider seule; je suis juge et partie.
Balzac, Lys,1836, p. 199. − Collectivement. Synon. de tribunal.Renvoyer devant le juge, par-devant le juge (Ac.1798-1935). − Vx. Juge botté. ,,Se disait anciennement d'Un juge qui n'était pas gradué. On ne le dit plus que figurément et par dénigrement d'Un juge sans lumières et sans capacité; encore cette acception est-elle peu usitée`` (Ac. 1835, 1878). − Juges naturels. ,,Ceux que la loi assigne aux accusés, aux parties, suivant leur qualité et l'espèce de la cause`` (Ac. 1835-1935). Nul ne peut être distrait à ses juges naturels (Ac.1935) : 3. Je crois que la liberté d'un seul citoyen intéresse assez le corps social, pour que la cause de toute rigueur exercée contre lui doive être connue par ses juges naturels.
Constant, Princ. pol.,1815, p. 72. − Juges ordinaires. ,,Juges de droit commun, à la différence des juges établis par des lois spéciales`` (Ac. 1935) : 4. ... il suffit d'un civil impliqué dans l'affaire pour entraîner tout soldat devant la justice civile, et la fille Pays livrée aux juges ordinaires implique la comparution d'Esterhazy et de du Paty au même tribunal.
Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 54. − Juges de rigueur ♦ ,,Les juges qui doivent prononcer selon la rigueur de la loi; à la différence des arbitres, qui peuvent se décider d'après l'équité naturelle`` (Ac. 1835, 1878). ♦ Vx. ,,Juges subalternes; à la différence des juges qui prononçaient en dernier ressort, et qui se permettaient quelquefois d'adoucir la rigueur de la loi`` (Ac. 1835, 1878). a) DROIT − Absol. Magistrat chargé par l'autorité publique de rendre la justice dans les tribunaux de première ou grande instance (p. oppos. aux Conseillers des Cours). Juge au/du tribunal; juge suppléant. Monsieur le président, j'ai été nommé (...) juge de première instance par Bonaparte auquel j'ai prêté serment (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 145). − Juge(-)commissaire. ,,Juge chargé de surveiller la gestion des syndics et, d'une façon générale, toutes les opérations de la liquidation des biens`` (Lemeunier 1969). À mesure que la série de ces accusations se déroulait, je voyais la figure du juge-commissaire se rembrunir (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 449): 5. Après que les meubles et immeubles ont été estimés et vendus, s'il y a lieu, le juge commissaire renvoie les parties devant un notaire dont elles conviennent, ou nommé d'office, si les parties ne s'accordent pas sur le choix.
Code civil,1804, art. 828, p. 151. − Juge consulaire. Magistrat des tribunaux de commerce, élu, et dont les fonctions sont gratuites. Synon. juges au tribunal de commerce.Un juge consulaire des plus estimés, un adjoint, un honorable commerçant ne descendrait pas à ces petitesses (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 116). − Juge d'instruction. Juge du tribunal de première ou grande instance, chargé de l'instruction préparatoire des affaires pénales. Il est probable qu'à ma sortie d'ici j'irai faire un tour en prison et dans le cabinet du juge d'instruction (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 307).Maigret, je vous présente mon vieil ami Alain de Folletier, juge d'instruction à la Roche-sur-Yon... (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 114). − Juge de paix. Magistrat dont la juridiction s'étendait, avant la création des tribunaux d'instance, sur un canton et qui avait des fonctions diverses, notamment de conciliateur, de juge unique dans les affaires peu importantes : 6. ... en province, pour violer le domicile du débiteur lui-même, l'huissier doit se faire assister du juge de paix. Or, le juge de paix, qui tient sous sa puissance les huissiers, est à peu près le maître d'accorder ou de refuser son concours.
Balzac, Illus. perdues,1843, p. 623. b) HISTOIRE − Franc*-Juge. − Grand-Juge. Synon. de Ministre de la Justice sous le premier Empire : 7. Signé Bonaparte, Premier Consul. Contre-signé, le Secrétaire d'État, Hugues B. Maret. Et scellé du sceau de l'État.
Vu, le Grand-Juge [it. ds le texte], Ministre de la Justice, signé Regnier.
Certifié : Le Grand-Juge [it. ds le texte], Ministre de la Justice, Regnier.
Code civil,1804, p. 416. − Juge mage/maje. ,,Magistrat chargé de la justice de la ville, au Moyen-Âge, dans certaines régions : en Provence par exemple et dans les villes de consulat`` (Lep. 1948; ds Ac. 1835, 1878). − Juges ordinaires ♦ ,,Juges à qui appartenait naturellement la connaissance des affaires civiles ou criminelles; à la différence Des juges de privilège et de ceux qui étaient établis par commission. Il demanda son renvoi par-devant les juges ordinaires`` (Ac. 1835, 1878). ♦ ,,Ceux qui servaient toute l'année, à la différence de Ceux qui ne servaient que par semestre`` (Ac. 1835, 1878). − Juges royaux. Ceux qui rendaient la justice au nom du roi par opposition aux juges des seigneurs. Voir Marat, Pamphlets, Appel à la Nation, 1790, p. 135. c) HIST. RELIG. − Les Juges. Chefs ayant reçu mission de gouverner Israël, de le conduire à la guerre, et de le sauver du péril, dans la période qui suivit la mort de Josué jusqu'à l'établissement de la royauté; p. méton. la période considérée. Les tribus d'Israël avaient pour chef un juge (Hugo, Légende, t. 1, 1859, p. 34).Le contraste entre les horreurs des Juges ou l'ancien Mosaïsme (...) et l'Évangile est prodigieux (Amiel, Journal,1866, p. 237): 8. ... le législateur envoyé de Dieu, n'avait et ne réclamait d'autorité que sur les enfants d'Israël (...) il en était ainsi des juges, des pontifes, des rois et des conseils qui lui succédèrent...
Lamennais, Indifférence, t. 2, 1817-23, p. 300. ♦ Le livre des Juges ou les Juges. Livre de la Bible, dit historique, relatant les rapports d'Israël et de Yahvé, de Josué à Samuel inclus, et plus particulièrement les récits épiques des actions héroïques accomplies par les Juges : 9. ... on relève des traces d'additions qui semblent témoigner que le livre des Juges n'atteignit pas du premier coup sa forme définitive...
Théol. cath.t. 8, 21925, p. 1833. 2. Personne à la décision de laquelle on s'en remet à l'avance pour trancher un différend, arbitrer un conflit, départager des concurrents, décider de quelque chose, émettre un jugement sur quelque chose ou quelqu'un. L'attitude énigmatique de son juge de thèse l'intriguait (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 443).Art. 8. − Chacune des deux chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection; elle peut seule recevoir leur démission (Doc. hist. contemp.,1946, p. 184). − Juge du concours. Personne chargée de prononcer dans un concours la valeur des concurrents (d'apr. Ac. 1878, 1935). − HIST. Juge de/du camp. Officier chargé de vérifier que les tournois, les combats judiciaires se déroulent selon les règles prévues et avec loyauté. Le sire de Harpedenne pour les Français, et le comte de Rutland pour les Anglais, étaient juges du camp (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 282): 10. ... le bruit des fanfares, qui annoncent que le temps désigné pour attendre Malek Adhel, vient d'expirer, et que les juges du camp ont levé les barrières : la gloire brille, les guerriers volent, et en ce jour de réunion, les Musulmans se mêlent aux Chrétiens, et le combat devient plus vif et plus acharné que la veille...
Cottin, Mathilde, t. 2, 1805, p. 172. ♦ P. métaph. L'archiviste, ce monsieur en lunettes, est, en définitive, le juge de camp, l'arbitre en dernier ressort (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 10, 1866, p. 355). − SPORTS ♦ Arbitre choisi dans certains sports, ou commissaire adjoint à l'arbitre, chargé de vérifier certains coups, de contrôler les obstacles, de constater les fautes, les irrégularités, de faire appliquer la règle du jeu, le règlement. L'arbitre de chaise s'enquiert auprès du juge-arbitre de la décision à prendre (L'Auto,3 juin 1934, p. 4 ds Grubb, Fr. sp. neol., 1937, p. 46).Il était resté inconscient devant le compte de l'arbitre espagnol, qui a prononcé le « out » sans avoir consulté les autres juges (Le Matin,30 nov. 1981, p. 23): 11. Le juge à l'arrivée est la personne chargée de déclarer l'ordre d'arrivée des coureurs [cyclistes] au poteau et leurs distances respectives (...). Les décisions du juge à l'arrivée sont souveraines et sans appel.
Baudry de Saunier, Cycl.,1892, pp. 399-400. ♦ Juge de touche. Celui qui est chargé de vérifier les hors-jeu, le franchissement de la ligne de touche, dans certains sports d'équipe : 12. Deux juges de touche seront désignés. Ils auront pour mission de signaler, sous réserve de décision par l'arbitre, que le ballon est sorti du jeu et d'indiquer l'équipe à laquelle revient le coup de pied de coin, le coup de pied de but ou la rentrée de touche. Ils aideront l'arbitre à contrôler le jeu en application des lois (...). Les juges de touche seront munis de drapeaux fournis par le club sur le terrain duquel a lieu le match.
J. Mercier, Football,1966, p. 21. ♦ Juge de ligne (tennis). Celui qui est chargé de dire si, par rapport à la ligne qu'il observe spécialement, la balle est bonne ou mauvaise. SYNT. Juge impartial, intègre; juges iniques; juges auditeurs; juges titulaires; élection des juges; conscience des juges; les juges décident, condamnent. B. − P. anal. 1. Être surnaturel qui, après la mort, pèse les actions du défunt évaluées selon des principes supérieurs, les préceptes de la religion, et lui accorde la récompense suprême ou la punition éternelle. Juge des Enfers. Comme si la terre se fût ouverte pour laisser passer le grand juge des enfers (About, Roi mont.,1857, p. 275).Socrate : Salut à toi, Minos. Ceux qui ont été injustement condamnés par les vivants se présentent avec confiance devant ton tribunal, juge des morts (Ménard, Rêv. païen,1876, p. 52): 13. Je parle pour ceux qui ne croient pas à l'existence d'un Juge unique, tout-puissant et infaillible qui (...) maintient la justice en ce monde et la complète ailleurs.
Maeterl., Temple ensev.,1902, p. 1. − RELIG. CHRÉT. Juge suprême, Souverain Juge. Synon. de Dieu.Au décès des prêtres; on les enterroit le visage découvert : le peuple croyoit lire sur les traits de son pasteur l'arrêt du Souverain Juge (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 323).Vous avez oublié que Dieu est votre père avant d'être votre juge; et vous faites à votre père cette injure de méconnaître sa miséricorde! (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1262): 14. Dieu qui habite au plus haut des cieux, et qui n'en est pas moins présent partout, même au plus intime de notre être (...). Souverainement sage, saint, véridique. Juge suprême, qui récompense les bons et punit les méchants, sans acception de personnes.
Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1027. 2. [En parlant d'un être humain] a) Personne qui détient une autorité sur une autre personne par supériorité hiérarchique, morale, par prestige ou qui possède ou s'attribue une compétence. Seule l'Église enseignante est le juge qualifié du rapport des choses temporelles avec la fin dernière surnaturelle à laquelle elle doit nous conduire (R.P. Humbert Clérissac, Le Mystère de l'Église, 3eéd., Saint-Maximin, 1925ds Maritain, Primauté spirit., 1927, p. 44): 15. ... chez les Gaulois, et dans quelques cantons de l'Orient, les Romains avaient trouvé des religions d'un autre genre. Là, les prêtres étaient les juges de la morale : la vertu consistait dans l'obéissance à la volonté d'un dieu, dont ils se disaient les seuls interprètes.
Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 81. b) [Sans article] Personne capable d'apprécier sainement et impartialement les personnes, les faits, ou que l'on considère comme telle et au sentiment de laquelle on s'en remet. Laisser (qqn) juge; faire (qqn) juge de; être bon, mauvais juge. Je lui répondis que je le laissais absolument juge du moment où il conviendrait de commencer son mouvement offensif (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 289).Janine à Hubert : Mon cher oncle, je viens vous demander d'être juge entre maman et moi. Elle refuse de me confier le « journal » de grand-père (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 307): 16. − Ces mélodies étrangères vous plaisent-elles? demanda obligeamment la baronne à Marie. − Je suis trop ignorante pour les apprécier, madame, je ne connais un peu que notre vieille musique française. − Oh! fit inconsidérément Jacques, ma cousine est très bon juge; musicienne elle-même, j'ose dire qu'elle a des doigts de fée sur le piano.
Vogüé, Morts,1899, p. 409. − Proverbe. De fou juge, briève sentence. ,,Les ignorants décident sans examiner`` (Ac. 1798-1878). 3. [Le mot juge désigne un inanimé, les sens, la conscience] Ce qui sert à apprécier, à juger. L'oreille est un juge difficile (Ac.1835-1935).Le zèle du croyant est seul juge de l'à-propos (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 358).Le beau est le juge du vrai (Alain, Beaux-arts,1920, p. 309): 17. La conscience des pairs est juge compétent, et cette conscience doit pouvoir prononcer en liberté sur le châtiment comme sur le crime.
Constant, Princ. pol.,1815, p. 79. REM. 1. Judicaillon, subst. masc.,rare, péj. Petit juge obscur et peu capable, jugeant des affaires mineures. Les juges, qui avaient condamné Colomban étaient des juges mais de petits juges, vêtus d'une souquenille noire comme des balayeurs de sacristie, des pauvres diables de juges, des judicaillons faméliques. Au-dessus d'eux siégeaient de grands juges qui portaient sur leur robe rouge la simarre d'hermine. Ceux-là, renommés pour leur science et leur doctrine, composaient une cour dont le nom terrible exprimait la puissance (France, Île ping.,1908, p. 316). 2. Judicateur, -trice, adj. et subst.a) Emploi adj., rare. Qui juge; qui porte des jugements sur les œuvres littéraires. J'avoue qu'il y a dans cette nécessité de critique à laquelle je me livre toujours à mon corps défendant et qui finit par devenir mon métier, une attitude sévère et judicatrice qui ne va pas de moi à vous (Sainte-Beuve, Corresp., t. 1, 1834, p. 424).b) Emploi subst., rare. Celui qui juge les œuvres littéraires. (Ds Littré Suppl. 1877). Prononc. et Orth. : [ʒy:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1170 « celui auquel on attribue le soin d'arbitrer un différend, de résoudre une question » (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 85, 4); ca 1510 « arbitre d'un combat » (J. d'Auton, Chroniques, éd. R. De Maulde La Clavière, t. 3, p. 39); b) ca 1170 « chef politique et religieux des Hébreux » (Rois, ibid., p. 15, 15); c) 1356 vray juge (en parlant de Dieu) (Miracles ND par personnages, éd. G. Paris et U. Robert, t. 3, 17, 1015); 2. 1174 « celui qui est chargé d'appliquer les lois civiles et pénales » (G. de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 2879); spéc. 1688 juge de paix (Miege, s.v. justice); 3. a) 1269-78 « celui qui est appelé à porter un jugement, à donner une opinion » (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 6170); b) 1564 juge de « capable d'apprécier, qualifié pour évaluer quelque chose » (Indice et recueil universel de tous les mots principaux de la Bible). Du lat. judicem, acc. de judex, -dicis « juge, arbitre ». Le développement phonét. de juge a suivi de celui de juger, cf. FEW t. 5, p. 55 et 56 a. Fréq. abs. littér. : 5 547. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 762, b) 6 573; xxes. : a) 9 414, b) 6 079. Bbg. Bos (A.). Juge. Romania. 1890, t. 19, p. 300. - Boulan 1934, p. 111. - Quem. DDL t. 5, 9. |