| JOUE, subst. fém. A. − [Chez l'homme] 1. Partie latérale de la face délimitée par le dessous de l'œil, la tempe et le menton. Joue droite, gauche; se farder, se poudrer les joues. Elle était blonde, avec sur ses joues ce duvet fin, velouté, savoureux, qu'ont les blondes très jeunes (Mille, Barnavaux,1908, p. 162).Elle s'agenouilla devant le feu; des larmes roulaient sur ses joues et de la morve coulait de son nez; elle jetait ses manuscrits dans les flammes, et des lettres (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 418): 1. ... les yeux pétillent, et le contraste est impayable de la bouche très fine qui, entr'ouverte, laisse voir des dents très petites, avec les joues et les bajoues opulentes, épiscopales, largement et même grossement taillées.
Lemaitre, Contemp.,1885, p. 202. − Pop. Se caler les joues, se faire des joues. Manger copieusement. Nous allons nous faire des joues aux dépens du paysan; tu vas voir, je suis sûr qu'il y aura un fameux gueuleton (Vidal, Delmart, Caserne,1833, p. 136).Il (...) s'en fut au café, où il se cala les joues avec des croissants (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 376). 2. En partic. a) Cette partie du visage considérée comme révélant l'état de santé ou de fatigue de quelqu'un. Son corps délicat était brisé, et bientôt ses longs cils s'abaissèrent, formant un demi-cercle noir sur ses joues que coloraient les rougeurs de la fièvre (Gautier, Rom. momie,1858, p. 289).Une couche de poudre de riz dissimulant sur ses joues les cernures et les plis de ses fatigues nocturnes (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 106): 2. ... je vois de grosses moustaches tombantes, des cheveux pommadés, rares mais longuets et ramenés en arrière, des joues couperosées, un ventre respectable, un petit bourrelet de chemise entre le gilet et le pantalon et je rectifie mon jugement : au type flic en civil, je substitue le type bistro.
Duhamel, Combat ombres,1939, p. 57. SYNT. Avoir les joues fraîches, marbrées, pleines, rondes, roses, rouges; avoir les joues blanches, brûlantes, caves, cireuses, creuses, décolorées, flétries, maigres, molles, pâles. − Expr. Avoir les joues cousues. ,,Avoir le visage extrêmement maigre`` (Littré). b) Cette partie du visage considérée comme révélatrice d'un trouble intérieur. Avoir le feu, le sang aux joues (littér.). Dès que je fus entré dans le salon, la jeune fille me reconnut, et ses joues se colorèrent d'une vive rougeur (Toepffer, Nouv. genev.,1839, p. 327).Le rouge monta aux joues du comte, et il toussa pour avoir un moyen de dissimuler son émotion en portant son mouchoir à sa bouche (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 728).Bien que, par fierté professionnelle, il montrât un visage impassible, il sentait un grand froid monter à ses joues, il craignait de pâlir (Zola, Argent,1891, p. 351). c) Cette partie du visage qui reçoit des manifestations bienveillantes ou hostiles d'autrui. Embrasser, donner un soufflet (vx), une gifle sur la joue; être joue à joue. Il prit Miette entre ses bras et lui mit plusieurs baisers sur les joues (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 22).Il s'était fait adorer de ces grandes filles en leur donnant de petites tapes sur les joues et en leur recommandant d'être bien sages (Zola, Conquête Plassans,1874, p. 1143).Il m'a prise dans ses bras; un instant nous sommes restés immobiles, joue contre joue, paralysés par le désir (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 308). − Expressions ♦ Vieilli. Donner sur la joue à qqn. ,,Lui donner un soufflet`` (Ac. 1835-1935). ♦ Tendre la joue. Présenter la joue (pour recevoir un baiser). Cet enfant vous tend la joue pour que vous l'embrassiez (Littré). Elle se nomma, me tendit la joue sans parvenir à s'incliner suffisamment (Duhamel, Notaire Havre,1933, p. 112). ♦ Au fig. [P. réf. à la Bible] Tendre l'autre joue, tendre la joue gauche. S'exposer à un redoublement d'outrage plutôt que de réagir à une insulte. On n'enseigne pas à tendre l'autre joue à des gens qui depuis deux mille ans n'ont jamais reçu que des gifles (Malraux, Espoir,1937, p. 460): 3. ... tu t'imagines peut-être que nous ne sommes pas capables de rendre le bien pour le mal, de dire : « Aimez-vous les uns les autres », et de tendre la joue gauche quand nous avons été frappés sur la joue droite, ce qui nous arrive plus souvent qu'à n'importe qui!
Duhamel, Terre promise,1934, p. 157. − [P. anal. de forme, de couleur, d'aspect] Joues d'un fruit, d'un oreiller. Fam. Les deux joues de sa croupe un peu forte se balançaient sur de hauts talons fins, en petits équilibres alternés (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 414). 3. Spéc. [Expr. se rapportant au maniement des armes à feu] Coucher, mettre en joue (un fusil). Ajuster un fusil à l'épaule et y appliquer sa joue pour viser. Combien j'aime à les voir [les soldats] (...) Amorcer et bourrer, faire craquer le chien, Mettre en joue et tirer (Pommier, Poés.,1832, p. 309). ♦ En partic., dans le vocab. du tir. En joue! Commandement enjoignant de mettre le fusil en joue, c'est-à-dire en position de tir. En joue! feu! pan! pan!... C'était fait (A. Daudet, Tartarin de T.,1872, p. 70). − [Le compl. d'obj. désigne la cible] a) Coucher, mettre en joue (+ subst. désignant une pers., un animal). Ajuster un fusil contre la joue pour viser une cible. Un jour, dans le bois, aveuglé par la colère, il avait mis en joue M. Fantin, l'adjoint du maire, qui l'avait plaisanté sur cette idée de se faire député avec sa tournure (Stendhal, Lamiel,1842, p. 205).Les deux gendarmes étaient là avec leurs carabines et le couchèrent en joue (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 538).Saisissant la carabine de Wilson, il essaya de coucher en joue le condor (Verne, Enf. cap. Grant, t. 1, 1868, p. 126). ♦ Emploi pronom. réciproque. [En parlant de pers.] :
4. ... Jean Prouvaire et Combeferre, s'étaient fièrement adossés aux maisons du fond, à découvert et faisant face aux rangées de soldats et de gardes qui couronnaient la barricade (...). Des deux parts on se couchait en joue, à bout portant, on était si près qu'on pouvait se parler à portée de voix.
Hugo, Misér., t. 2, 1862, p. 371. ♦ Au fig. [En parlant de pers. ou de choses] Surveiller avec une grande attention une personne ou une chose sur laquelle on a quelque dessein. Les deux dots qu'il avait couchées en joue (Balzac, Mais. Nucingen,1838, p. 650).Il est si fatigant d'avoir affaire aux gens crispés, vétilleux, soupçonneux, voyant des allusions malignes dans chaque phrase et se croyant toujours couchés en joue (Amiel, Journal,1866, p. 143). b) Tenir qqn en joue. Pointer une arme dans la direction de quelqu'un et la maintenir en signe de menace. Et ayant tourné les yeux, ils aperçurent, debout contre leurs épaules, quatre hommes (...) les tenant en joue au bout de leurs fusils (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Deux amis, 1883, p. 191). B. − P. anal. [Chez certains animaux] Partie latérale de la tête. Joues de lotte, de raie. Ce cheval a trop de joue (Littré).Les gastronomes estiment la joue comme étant le meilleur et le plus fin morceau du poisson (Pollet1970). − BOUCH. Joue de bœuf. Viande provenant de la demi-mâchoire inférieure de bovin, vendue comme abat. La joue de bœuf est un morceau à bouillir ou à braiser (Chaud. 1970). C. − TECHNOL. [P. anal. de disposition] Chacune des deux parties latérales d'une pièce, d'un objet. 1. CH. DE FER. Joues de coussinet. ,,Parois latérales des coussinets entre lesquelles le rail est maintenu au moyen de coins`` (Jossier 1881). 2. CONSTR. Joue de solive. Face latérale d'une solive considérée par l'entrevous. (Dict. xixeet xxes.). 3. MAR. Sur les navires, partie renflée de la coque, située sur chaque bord entre l'étrave et la coque lisse. Tombé sous la joue du navire, et embarrassé par ses vêtements, il est probable qu'il avait coulé sur le champ (Dumont d'Urville, Voy. Pôle Sud, t. 3, 1842, p. 126). − [Sur une petite embarcation] Barques et personnages étaient peints de couleurs vives, et sur les deux joues de la proue relevée en bec comme la poupe, s'ouvrait le grand œil osirien allongé d'antimoine (Gautier, Rom. momie,1858, p. 177). 4. MÉCANIQUE a) Joue de coussinet. Chacune des parties d'un coussinet que l'on réunit et que l'on serre, et dans lequel tourne un tourillon ou un arbre. L'arbre porte un épaulement prenant appui sur la joue du coussinet (Gorgeu, Machines-outils,1928, p. 5). b) Joue de poulie. Face latérale extérieure de la caisse d'une poulie. (Dict. xixeet xxes.). 5. MENUIS. ,,Épaisseur de bois qui reste de chaque côté d'une rainure ou d'une mortaise`` (Forest. 1946). 6. TAPISS. Joue d'un canapé, d'un fauteuil. Espace compris, au-dessous de chacun des accotoirs, entre le siège et le dossier, et qui peut être vide ou garni. Lorsque cet espace n'est pas garni, on dit que le fauteuil ou le canapé a la joue ouverte (Havard t. 3 1889). REM. Jouette, subst. fém.,rare, hypocoristique. Petite joue. Je ressemble à une mère, n'est-ce pas? Ou plutôt à une vraie nounou. Mon poupon m'assottit, et je le bécote sur ses deux bonnes jouettes (Flaub., Corresp.,1873, p. 43). Prononc. et Orth. : [ʒu]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « partie latérale du visage de l'homme » (Roland, éd. J. Bédier, 3921); a) 1168-91 (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 2895 : Que de la bufe se doloit Qui li fu an la joe asise); 1690 (Fur. : la pudeur lui a mis un beau vermillon sur ses joues); b) 1618 avoir le mousquet en joue (D'Aubigné, Hist., II, 431 ds Littré); 2. 1remoitié xiies. « mâchoire d'un animal » les jodes [molas] des lëuns (Ps. Oxford, 57, 6 ds T.-L.); ca 1170 par la joue les pris [le lion et l'ours] e retinc [apprehendebam mentum eorum] (Rois, I, XVI, 35, éd. E.R. Curtius, p. 34); cf. ca 1200 (Godefroy de Bouillon, 58 ds T.-L. : escu ot fort et dur des jöes d'un delfin); ca 1393 « partie latérale de la tête d'un animal » la jöe de beuf (Ménagier, II, 88, ibid.); 3. 1426 techn. « dispositif en métal servant à maintenir un élément de construction » (doc. Arch. de Tournai ds Gdf. Compl.); 1446 « mur latéral » [cf. jouée*] (id., ibid.). Issu d'une forme *gauta se rattachant prob. à la base prélat. *gaba « jabot, gosier » (v. gaver, gavot, jabot) à travers un dér. déjà prélat. *gabota, *gabuta; cf. les corresp. du domaine de l'Italie du Nord de type gaulta, le cat. galta (FEW t. 4, pp. 9 b-10 a), ainsi que l'a.prov. gauta (fin xiies. ds Rayn.) et le fr.-prov. dzóta, dzauta, dzúta (Dur. 2658). Fréq. abs. littér. : 5 238. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 245, b) 8 803; xxes. : a) 9 350, b) 8 312. |