| JONGLEUR, -EUSE, subst. A. − 1. HIST. DES ARTS. [Au Moyen Âge] Musicien, chanteur ambulant qui allait de château en château récitant des vers, chantant des chansons en s'accompagnant de divers instruments de musique : 1. D'autres grands personnages, plus indulgents que lui [saint Louis] pour le plaisir, ont souvent à leur service un jongleur de prédilection, homme d'esprit, de conversation agréable, qui sait vieller, chanter, composer, et qui divertit le maître pendant ses voyages et ses promenades, ou à ses heures de loisir.
Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 111. 2. [Dans certaines relig. primitives] Espèce de devin guérisseur. − « Ce n'est pas pour parler de René que je veux voir le jongleur, dit Outougamiz; je suis malade, il me guérira » (Chateaubr., Natchez,1826, p. 386): 2. ... les rêves, la conduite des castors, l'apparition de la pleine lune, l'arrivée des abeilles, l'effraction du seuil de leurs portes, font naître des pressentimens plus ou moins favorables ou sinistres, sur lesquels ils consultent leurs devins ou jongleurs.
Crèvecœur, Voyage, t. 1, 1801, p. 19. 3. Professionnel de spectacle de cirque qui se livre à des tours de jonglerie et d'acrobatie. D'autres considèrent de préférence les acrobates, équilibristes et jongleurs, en qui, tout au contraire, on saisit la force des muscles jointe à la grâce et au naturel (Alain, Beaux-Arts,1920, p. 55). ♦ En appos. avec valeur d'adj. L'otarie jongleuse (Queneau, Pierrot,1942, p. 105). B. − Au fig. Personne habile à manipuler êtres et choses. Jongleur de mots; jongleur politique. Qu'on épluche toutes les opérations de M. Necker, et on trouvera sans cesse le parfait jésuite, l'heureux jongleur, l'ami des grands, l'ennemi du peuple (Marat, Pamphlets, Dénonc. Necker, 1790, p. 91).Penseur à la façon pédante, faiseur d'abstractions et jongleur du Vague; cela, certes, il [A. Daudet] ne le fut jamais (L. Daudet, Alphonse Daudet,1898, p. 18): 3. Vous verrez, sous la lumière étincelante de l'homme qui en est responsable [Baudelaire dans la préface aux œuvres d'Edgard Poe], ce que vaut cette éternelle confusion entre le jongleur et le penseur, une pensée agile et le geste d'un illusionniste.
Cocteau, Lettre Amér.,1949, p. 69. Prononc. et Orth. : [ʒ
ɔ
̃lœ:ʀ], fém. [-ø:z]. Att. ds Ac. dep. 1694. Fém. jongleresse, supra ex. 1. Étymol. et Hist. 1. Ca 1135 juglere hist. des arts (aussi Ed. Faral, Les Jongleurs en France au Moyen Age, éd. 1964) (Couronnement de Louis, Rédaction AB, 5, éd. Y. G. Lepage); xiiies. [ms.] jongleur (St François, 3236 ds T.-L.); 2. 1549 « bateleur, saltimbanque » (Est. : jongleur dient les Picards, que nous appelons basteleur); 3. 1732 « sorcier, chez les sauvages d'Amérique » (Lesage, Les Aventures de M. Robert Chevalier, dit de Beauchêne, t. 1, p. 58); 4. av. 1811 « celui qui cherche à en imposer par de fausses apparences » (Chénier, Ninon, III, 3 ds
Œuvres posthumes, éd. P.-C. Daunou, t. 2, p. 97). Du lat. joculator « rieur, railleur, bon plaisant », sens attesté en a. fr. (ca 1265, Brunet Latin, Trésor, éd. F. J. Carmody, II, ch. 37, p. 204). La forme jongleur est due à un croisement avec l'a. subst. jangleor, janglëur, dér. de jangler (v. jongler), signifiant « bavard, hâbleur, médisant » (ganglëur, ca 1165, Benoit de Ste-Maure, Troie, 30305 ds T.-L.); cf. à ce sujet les var. jogleor, iugleor, iougleour ds Benoit de Ste-Maure, loc. cit., et Hulsius 1596 qui donne pour jongler un jangler « faire des tours d'adresse ». Fréq. abs. littér. : 278. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 602, b) 222; xxes. : a) 91, b) 493. Bbg. Breal (M.). Notes d'étymol. B. Soc. Ling. 1910/11, t. 16, p. 65. - Morgan (R.). Old Fr. jogleor and kindred terms. Rom. Philol. 1953/54, t. 7, pp. 279-325. - Neue Beiträge zur romanischen Etymologie. Heidelberg, 1975, pp. 296-302. |