| * Dans l'article "JARGON1,, subst. masc." JARGON1, subst. masc. A. − 1. a) LING. Langue artificielle secrète des malfaiteurs à la fin du Moyen Âge. L'œuvre de Villon comporte en appendice six ballades écrites dans un langage secret que les Archives du Procès des Coquillards tenu à Dijon en 1455 nous permettent d'identifier comme le jargon de la Coquille (P. Guiraud, Le Jargon de Villon, Paris, Gallimard, 1968, p. 7). − P. anal. Langage conventionnel du type javanais ou largonji. La seule différence existant entre le jargon lyonnais et le jargon boucher, se trouve dans le suffixe qui est ê pour le jargon lyonnais et em ou ème pour le jargon boucher (Nouguier, Notes manuscr. Dict. Delesalle,1900). b) Code linguistique particulier à un groupe socio-culturel ou professionnel, à une activité, se caractérisant par un lexique spécialisé, qui peut être incompréhensible ou difficilement compréhensible pour les non initiés. Synon. argot1(v. ce mot C).Tous les métiers ont leur jargon. Le boxeur avait le sien où les mots de « swing », « d'uppercut », revenaient sans cesse. Couleau, lui, parlait électricité (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 211): 1. Il y a à Londres un jargon mondain et diplomatique : thé dansante, landau sociable, style blasé, morning-soirée; solide s'exprime par solidaire, bon morceau par bonne-bouche et de pied en cap par cap à pie.
Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 87. − P. anal. Langage particulier à une personne, à quelques personnes. Ç'a été ce que j'appelais alors, dans mon jargon intérieur, ma « grande idée » (Martin du G., Souv. autobiogr.,1955, p. lx): 2. ... elle se rappelait avoir entendu dire à Swann, dans ce jargon ambigu qu'il avait en commun avec M. de Charlus : « La duchesse est un des êtres les plus nobles de Paris, de l'élite la plus raffinée, la plus choisie. »
Proust, Guermantes 1,1920, p. 57. SYNT. Jargon professionnel, judiciaire, médical, philosophique, sportif; jargon d'école, de métier, d'une secte. 2. Langage résultant de l'altération, de la modification des structures d'une langue. Les innovations apportées par la barbarie dans la langue latine dégénérée s'appliquèrent naturellement aux divers jargons qui en naquirent; la langue française s'y trouva sujette à mesure qu'elle se forma (Sainte-Beuve, Tabl. poésie fr.,1828, p. 80).La langue vulgaire reste toujours ce qu'elle fut à l'origine, un jargon populaire, né de l'incapacité de synthèse et inapplicable aux choses intellectuelles (Renan, Avenir sc.,1890, p. 209). − En partic. [Constr. avec un adj. ou un compl. prép. de désignant une lang.] Langage formé par interférence de plusieurs langues. Synon. sabir.C'est un jargon d'arabe, d'anglais, de français, d'italien (Barrès, Cahiers, t. 6, 1907, p. 194).Christophe loua son élégance, et lui dit naïvement, dans son jargon franco-allemand, qu'il n'avait jamais vu personne d'aussi « luxurieux » (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 473). − ,,Langage altéré par des troubles pathologiques de nature aphasique`` (Mounin 1974). Manifestation caractéristique de l'aphasie sensorielle, la jargonaphasie peut se présenter sous deux formes principales, qu'on a appelées jargon phonémique et jargon sémantique, selon qu'elle porte plus particulièrement sur l'organisation de la deuxième ou de la première articulation (Mounin 1974). B. − Péj. [S'emploie à propos d'une lang., d'un discours, d'un style que le locuteur ne comprend pas, qu'il juge obscur, hermétique, affecté] Synon. baragouin, charabia, galimatias.Quant à la manière d'écrire de M. Cherbuliez, elle est pleine de simagrées et mille fois par-delà tout le jargon des Précieuses [de Molière] (Veuillot, Odeurs de Paris,1866, p. 419).Le douanier français parle les deux langues [le français, l'italien], plus le jargon du pays, et c'est ce douanier (...) qui nous a servi de truchement général (G. Leroux, Parfum,1908, p. 53): 3. « Que me voulait-elle donc? » dit Thérèse distraitement (...). − « Je n'ai rien compris à son jargon », dit-il. « Elle a dû vous prendre pour une autre locataire. » − « La bleue a répété plusieurs fois qu'il fallait payer la note et aller ailleurs. »
Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 939. SYNT. Jargon affecté, convenu, pédantesque, métaphysique, sentimental; jargon à la mode; jargon de la linguistique, de la sociologie. REM. 1. Jargonaphasie, subst. fém.,,Forme d'aphasie motrice caractérisée par une déformation ou une transposition des syllabes et des mots, qui rend le langage incompréhensible`` (Méd. Biol. t. 2 1971). Dans les cas sévères [d'aphasie de Wernicke], le discours devient totalement incommunicable (jargonaphasie), sans que parfois le malade en prenne conscience (Encyclop. univ.t. 91971, p. 767). 2. Jargonnesque, adj.a) Synon. de argotique.Aruer est un dérivé jargonnesque de rue « voie » (P. Guiraud, Le Jargon de Villon, Paris, Gallimard, 1968, p. 9). b) Caractéristique d'un style obscur, affecté. La critique cinématographique... nous fournit une belle moisson d'exemples jargonnesques... Nous apprîmes successivement que le cinéma était épiphénoménal, paroxystique, onirique (Dupré1972). 3. Jargonnier, adj.Synon. de argotique.Passant de la langue dans le jargon ils [ces mots] vont signifier tout autre chose que ce qu'ils signifiaient pour les gens du vulgaire, les masses. Ils cesseront de dire ce qu'ils disaient en français, en anglais ou en russe, pour prendre le sens jargonnier (Aragon, La Culture et les hommes,p. 14 ds Rob. Suppl. 1970). 4. Jargonaute, subst. masc.,p. plaisant. Créateur et utilisateur de mots qui relèvent du jargon. Un petit livre qui vient de paraître, un pamphlet dont le titre dit tout dans un audacieux néologisme : « les Jargonautes » [Par J. Merlino, Paris, 1978, 210 p.] (Le Monde, 1er-2 oct. 1978, p. 9, col. 2). Prononc. et Orth. : [ʒaʀgɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1175-85 agn. « langue étrangère et inintelligible » (Th. de Kent, Alexandre, éd. B. Foster, 70); 2. ca 1180 gargun « gazouillement des oiseaux » (Marie de France, Fables, éd. K. Warnke, 46, 13); 3. début xiiies. « verbiage (allusion aux paroles vides de sens des philosophes) » (Clement Pape, 998 ds T.-L.); 4. ca 1270 gargon « langage spécial, langage des voleurs, argot » (Richard le Beau, 3334, ibid.). De la racine onomatopéique garg- désignant la gorge et les organes voisins et p. ext. leurs fonctions (v. FEW t. 4, p. 254 à 263), le j- initial s'expliquant par le fait que, dans les termes dont le champ sém. est moins proche de l'onomatopée, il y aurait eu une certaine évolution phonét. (alors que le g- a subsisté dans des termes comme gargate, garguette « gorge », v. gargouille); l'évolution sém. de jargon est parallèle à celle de latin* (v. DEAF, col. 255 et 259). Fréq. abs. littér. : 190. Bbg. Elwert (W. Th.). Qq. mots désignant le « lang. incompréhensible ». R. Ling. rom. 1959, t. 23, pp. 64-79. - Pignon (J.).Fr. mod. 1961, t. 29, pp. 235-236. - Quem. DDL t. 18 (s.v. jargonaphasie). - Sain. Arg. 1972 [1907], p. 30, 37, 45, 269, 278; Sources t. 1 1972 [1925], p. 232; t. 3 1972 [1930], p. 7, 49, 50, 51, 104. |