| JAILLIR, verbe intrans. A. − Sortir avec force et impétuosité (de). 1. [Le suj. désigne un liquide] Synon. de gicler (synon. partiel), de saillir (vx).Jaillir avec force, en jet(s); jaillir de la bouche, d'une fontaine, du sol, d'une source, de toute part. L'eau ne jaillit pas en gerbe mais s'écoule lentement d'une vasque dans l'autre avec un murmure de ruisseau (T'Serstevens, Itinér. esp.,1933, p. 54).La roche brute, frappée par leur thyrse, laissait jaillir en abondance le miel, le vin et le lait (Gide, Journal,1940, p. 49): 1. Je haïssais cet homme, opprobre de ma vie!
Trois fois je l'ai frappé comme un bœuf mugissant,
Et trois fois le flot tiède et rapide du sang
A jailli sur ma robe, ineffable rosée!
Leconte de Lisle, Poèmes trag.,1886, p. 197. 2. P. anal. a) [Le suj. désigne un fluide, de la lumière, un son] Synon. de éclater, fuser.L'éclair, le feu, une lueur jaillit; un chant, un hurlement, une phrase, un rire, un sanglot, une voix jaillit. Les chevaux faisaient jaillir du pavé une poussière d'étincelles (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 695).Un rire jaillit qui mourut lui-même. Un rire sans racine profonde, mais que ne réprimait pas une dignité théâtrale (Saint-Exup., Courr. Sud,1928, p. 66): 2. ... tout à coup un vilain mot jaillit de sa bouche comme en eût jailli un cri inarticulé, et ce mot, s'échappant comme malgré lui, prenait une intensité merveilleuse de passion.
Montherl., Songe,1922, p. 63. b) [Le suj. désigne un animé] Surgir d'un mouvement rapide et parfois désordonné. Synon. s'élancer.Ce baraquement, aux planches (...) disjointes, au plancher plein de trous, d'où jaillissent à tout moment des rats (Goncourt, Journal,1868, p. 428).Je tombe là sur une horde, des possédés tout hagards, des brutes mugissantes, écumeuses. (...) et il en jaillit toujours d'autres, des rues adjacentes (Céline, Mort à crédit,1936, p. 536): 3. ... toutes les portes de la ville s'ouvrent en même temps d'une poussée subite et insensée, et la foule noire [des abeilles] s'en évade ou plutôt en jaillit, selon le nombre des ouvertures, en un double, triple ou quadruple jet direct, tendu, vibrant et ininterrompu qui fuse et s'évase aussitôt dans l'espace...
Maeterl., Vie abeilles,1901, p. 87. B. − P. anal. [Le suj. désigne un inanimé concr. dont la forme ou la position suggère un élan] Se dresser, surgir. Synon. s'élancer, s'élever, sortir.Des gencives décolorées d'où jaillissaient des canines pointues (Pergaud, De Goupil,1910, p. 31): 4. ... au moment où du ligneux des arbustes jaillissent les pousses vertes, je ne sais quels bourgeons vénériens cherchent à percer les vieilles peaux...
Goncourt, Journal,1874, p. 973. C. − Au fig. [Le suj. désigne un inanimé abstr.] Se manifester soudainement. Synon. éclater.Chacun s'extasiait sur l'habileté du magistrat. En mettant la jalousie en jeu, il avait fait jaillir la vérité par la colère, il avait fait sortir la justice de la vengeance (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 22).Avec curiosité, avec malaise, je me demandais si mon propre corps recélait des sources cachées d'où jailliraient un jour d'imprévisibles émois (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 165): 5. Les idées jaillissaient, se disposaient toutes seules, grâce à une acuité intellectuelle née de l'affaiblissement de son corps et de cette exaltation des derniers jours. Elles semblaient voler sans poids charnel, en une fluidité de musique.
Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 496. Prononc. et Orth. : [ʒaji:ʀ], (il) jaillit [ʒaji]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Début xiies. trans. « jeter, lancer » galiz (St Brendan, 1365 ds T.-L.); 2. a) fin xiies. intrans. « sauter » (Raoul de Cambrai, 7015 ds T.-L. : Et le paien enni le pret jalit); b) 1552 « sortir impétueusement » l'eau qui jallit (Ronsard, Cinquiesme livre des Odes ds
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. III, 124, 110); 3. 1560 jaillir (Id., Poèmes, livre I, ibid., t. X, 293, 28). Orig. obsc., peut-être d'un lat. pop. *galire formé sur rad. gaul. *gali- « bouillir, jaillir, sourdre » (cf. EWFS2). Fréq. abs. littér. : 2 445. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 107, b) 3 023; xxes. : a) 4 819, b) 4 079. Bbg. Gir. Nouv. Rem. t. 2 1834, p. 58. - Sain. Sources t. 2 1972 [1925], p. 118. |