| IVRE, adj. A. − Qui est physiquement et mentalement troublé par l'absorption excessive de boissons alcoolisées. Synon. aviné, éméché, gris, noir, paf (pop.) pompette (fam.), soûl.Ivre et bégayant, balbutiant, débraillé; ivre d'alcool, d'eau de vie, de gin, de vin; soldat, matelot ivre. Isidore était ivre, ivre et abruti par huit jours de saoulerie, ivre et dégoûtant à n'être pas touché par un chiffonnier (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Rosier Mme Husson, 1887, p. 695).Il se relève et demeure vacillant comme un homme ivre (Claudel, Part. midi,1906, II, p. 1025): 1. Il était ivre, effroyablement. Sa face congestionnée se coupait d'un large rire. Une flambée d'alcool luisait dans ses yeux : trébuchant à chaque pas, il se rattrapait aux tables, aux chaises avec des gestes maladroits.
Moselly, Terres lorr.,1907, p. 49. ♦ Ivre mort. Ivre au point de paraître mort. Bien qu'il n'eût que quatre-vingt-quatre ans, trois ans de plus qu'elle, il lui semblait d'une vieillesse ridicule, dépassant les bornes permises. Et un homme qui vivait dans les excès, qui était ivre mort chaque soir, depuis soixante ans! (Zola, Dr Pascal,1893, p. 200). − P. anal. ♦ Qui est mentalement troublé par l'absorption d'une substance toxique. Il faut que je vous dise quelques mots du village de Broeck, qui est bien la fantaisie la plus cocasse que jamais Chinois ivre d'opium ait pu rêver (Du Camp, Hollande,1859, p. 152). ♦ Qui est troublé par l'absorption excessive de certaines substances. L'abeille est ivre de rosée; Mai rit, dans les fleurs attablé (Hugo, Chans. rues et bois,1865, p. 95).Par moment, une abeille, passant aux fentes des contrevents, s'en venait du jardin, et ivre de pollen et poussiéreuse allait et se cognait aux verres qui tintaient sous le choc (Ramuz, A. Pache,1911, p. 147): 2. Là, debout sur une de ces petites collines de débris qui avoisinent le Kaire, il est aisé de s'exercer au tir sur ces gros oiseaux rapaces ivres de sang et alourdis par l'abondance de leurs dégoûtantes ripailles.
Du Camp, Nil,1854, p. 46. B. − Au fig. [Sous l'effet d'une passion, d'un sentiment violent] Qui est troublé. Ivre d'amertume, d'amitié, d'amour, de colère, de désespoir, de douleur, d'espoir, d'horreur, de joie, d'orgueil, de plaisir, de rage, de vengeance, de volupté. La nuit Frissonnante descend sur le jardin qui rêve; Elle se pose, endort l'herbe; l'arbre s'apaise; Et désormais, parmi l'immobile feuillage, Le cœur ivre et gonflé reste seul inquiet (Ch. Guérin, Cœur solit.,1904, p. 60).Tu dors, Robespierre, tandis que des criminels ivres de fureur et d'effroi méditent ta mort et les funérailles de la liberté (France, Dieux ont soif,1912, p. 280): 3. ... je contemplai avec admiration le spectacle inconnu jusqu'ici d'un monarque étranger reçu comme un bienfaiteur dans la capitale d'un état conquis et délivré par ses armes, recueillant avec la plus touchante modestie les hommages dont on l'environne, et répondant aux acclamations d'un peuple ivre de reconnaissance par la délivrance de deux cent mille prisonniers français que le sort de la guerre a fait tomber entre ses mains.
Jouy, Hermite, t. 5, 1814, p. 191. − P. ext. Exalté, transporté. Merci de la coupe de vin que tu m'as donnée, le premier soir de ton chant. Depuis je n'ai plus cessé d'être ivre de bonheur et de malheur (Barrès, Jard. Oronte,1922, p. 230).Je me penchai vers Jeanne et je l'embrassai; elle était à moitié endormie, à moitié dans un rêve, elle ne résista guère que comme un oiseau qu'on étouffe. Je me rappellerai toute ma vie ces lèvres humides, tâtonnantes et froides. Je n'étais pas beaucoup plus adroit qu'elle, mais je me sentis ivre comme si j'avais remporté une grande victoire (Nizan, Conspiration,1938, p. 223): 4. Je suis ivre de la beauté des choses de la mer et je m'efforce d'en saisir l'âme aventureuse et triomphale... Relisez l'admirable Bateau ivre [it. ds le texte] pour comprendre. Cette poésie est étonnante, véridique et un peu folle − comme la boussole.
Valéry, Corresp. [avec Gide], 1891, p. 116. ♦ [En parlant d'idées] Passionné. Il aime les sectes, les pseudo-communautés, parce qu'elles sont faites à son image, rigides, exclusives, ivres d'abstractions (Mounier, Traité caract.,1946, p. 481). Prononc. et Orth. : [i:vʀ
̥]. Ac. 1694, 1718 yvre, puis i-. Étymol. et Hist. 1. Ca 1140 « dont l'esprit est troublé par le vin » (Pèlerinage de Charlemagne, 650 ds T.-L.); 2. 1180 « qui a perdu le sens comme une personne ivre » (Aimon de Varennes, Florimont, 7741, ibid. : Non, mai ge sui de parler ivre); id. « exalté par une passion violente » (id., 7956, ibid. : Tu ais le cuer d'amor tot ivre). Du lat. ēbrius; la voyelle initiale est due à l'infl. du yod de ebriu; cette explication convient également à l'a. prov. ibre, ivre, v. Fouché, pp. 411-412. Les parlers gallo-romans préfèrent, comme le fr. pop. des mots plus expressifs plein, soûl, rond, etc. Fréq. abs. littér. : 1 971. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 853, b) 3 310; xxes. : a) 3 965, b) 2 641. Bbg. Steinmetz (H.). Galloromanische Bezeichnungen für betrunken... Bonn, 1978, pp. 6-9. |