| ISOLEMENT, subst. masc. Action d'isoler, de s'isoler; fait d'être isolé; état de celui, de ce qui est isolé. A. − [Correspond à isoler I A, II A] 1. a) [En parlant d'un être vivant, gén. d'une pers. ou d'une collectivité] Jamais il ne s'était trouvé seul, et l'isolement lui semblait insupportable (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Hautot, 1889, p. 268).On n'échappe à son milieu que par l'isolement ou par la fuite (Carrel, L'Homme,1935, p. 182): 1. J'aime l'isolement, non la solitude. Il me plaît d'entendre aller et venir autour de moi alors que je suis seul dans la pièce où j'écris, mais une maison vide me cause toujours un certain malaise.
Green, Journal,1954, p. 260. − Isolement + adj. ♦ [L'adj. exprime une qualité] Isolement absolu, complet, cruel, majestueux, pathétique, relatif, volontaire; isolement millénaire (d'un pays). Non, jamais encore jusqu'à son arrivée à Bâle, lui, le solitaire, il ne s'est senti aussi définitivement seul. Et, cet isolement total, il en savoure avec ivresse la dignité, la puissance (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 706): 2. ... bien que chacun des ministres membres des Conseils ne soit responsable que devant le Parlement de son pays, il ne s'ensuit nullement que les Conseils, comme tels, aient l'intention de s'enfermer dans un splendide isolement qui ne conviendrait ni à leur véritable mission, ni à l'intérêt des communautés...
Ginestet, Ass. parlem. europ.,1959, p. 68. ♦ [L'adj. exprime une relation] Isolement géographique, matériel, spirituel. De même que l'autonomie d'un organisme équivaut pour celui-ci à un arrêt de mort, de même l'isolement moral d'une collectivité humaine est le départ d'une agonie certaine (Aymé, Puits,1932, p. 121).Il faut porter une attention spéciale à la maladie du scrupule, qui naît de l'isolement autiste, quand il n'arrive pas à vaincre entièrement le goût du réel (Mounier, Traité caract.,1946, p. 694): 3. Mary, compagne non mariée, souffrait d'un isolement mondain presque complet et pensait qu'à l'étranger, son aventure étant moins connue, elle aurait plus de chances de retrouver des amies.
Maurois, Ariel,1923, p. 207. − Isolement + compl. subst. ♦ [Le compl. désigne celui qui est isolé] Isolement du penseur, du proscrit. Dans ce respect de l'isolement d'autrui et cette rétraction devant l'amitié, il entrait moins de pudeur que d'orgueil trop jeune, impubère (Abellio, Pacifiques,1946, p. 15).J'admirais l'isolement superbe du chêne qui dominait le parc paysagé (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 126): 4. ... cela rompait l'isolement du camp. Savoir qu'au-delà de nos barbelés tout un peuple complice pensait comme nous, réagissait comme nous, se repaissait des mêmes colères et se consolait des mêmes espérances, nous aidait puissamment à vivre.
Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 323. ♦ [Le compl. désigne la cause, l'état qui provoque l'isolement] Mon Adèle, tu as eu un moment l'idée de laisser ton Victor seul sur la terre, et d'ajouter le veuvage à son isolement d'orphelin (Hugo, Lettres fiancée,1822, p. 189).Mon mari (...) le général fut tué à Waterloo (...). C'est ainsi que, pendant quinze ans, je restai dans mon isolement de veuve (Dumas père, Angèle,1834, II, 7, p. 151): 5. Ils sont dans leur île, ils sont sourds, aveugles : on n'a jamais plus merveilleusement peint l'illumination intérieure et l'isolement splendide de l'amour.
Brasillach, Corneille,1938, p. 461. ♦ [Le compl. désigne le lieu qui procure l'isolement] Isolement du cachot, des champs. Elle avait rapporté de Paris des livres dont elle continuait à nourrir son esprit dans l'isolement du hameau de son père (Lamart., Confid.,1849, p. 119).Cet isolement de la mer est pour ce pays [Saint-Louis] une grande cause de stagnation et de tristesse (Loti, Spahi,1881, p. 6).Avec le recul que favorisait le silence et l'isolement de l'hôpital, j'avais tout à coup l'impression d'avoir cédé à de la complaisance (Martin du G., Souv. autobiogr.,1955, p. xcvi). − Subst. + isolement.Besoin, sentiment, vie d'isolement; période d'isolement; effets, maladie de l'isolement. L'état d'isolement où la famille avait longtemps vécu (Fustel de Coul., Cité antique,1864, p. 335).Saccard se demandait (...) quel intérêt Gundermann pouvait avoir à recevoir tout ce monde. Évidemment, il avait une faculté d'isolement spéciale, il s'absorbait, il continuait de penser (Zola, Argent,1891, p. 97).V. autiste ex. 2 : 6. Ma douzième, ma treizième année ont été comme endeuillées par les récits que me faisait ma mère de l'écrasante défaite du Sud. Ma patrie n'existait plus comme nation, l'histoire l'avait supprimée. De là cette première et puissante impression d'isolement, de cercle tracé autour de moi.
Green, Journal,1951, p. 98. − Verbe (+ prép.) + isolement.Rompre, sentir son isolement; être condamné à l'isolement; s'enfermer, se replier dans l'isolement; périr d'isolement. Je pensais qu'il devait souffrir de son isolement (A. Daudet, Jack, t. 2, 1876, p. 189).L'isolement où il s'était enfermé avec son chagrin (Rolland, J.-Chr., Amies, 1910, p. 1248): 7. ... l'homme qui a une véritable foi éprouve invinciblement le besoin de la répandre; pour cela, il sort de son isolement, il se rapproche des autres, il cherche à les convaincre...
Durkheim, Formes élém. vie relig.,1912, p. 608. b) En partic. [En parlant d'un malade, d'un prisonnier] Camp, pavillon d'isolement. Autrefois, dans les hôpitaux où l'isolement était mal fait, la diphtérie se développait fréquemment au cours ou à la convalescence de la scarlatine ou de la rougeole (G.-H. Rogerds Nouv. Traité Méd., fasc. 1, 1926, p. 38).Pour un symptôme douteux, on expédie le contagieux au lazaret d'isolement (Saint-Exup., Lettr. otage,1943, p. 400): 8. Elles [les autorités allemandes] eurent d'abord recours aux menues sanctions ordinaires : isolement dans des baraques spéciales séparées du reste du camp, discipline renforcée, manœuvres expiatoires.
Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 262. 2. [En parlant d'une chose] Cet isolement des sons sur un fond mat de silence absolu (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 475).V. étude ex. 2 : 9. Le robinet d'isolement situé, sur chaque véhicule muni du frein continu, entre la conduite générale et la triple-valve, permet d'établir ou d'interrompre à volonté la communication entre ladite conduite et les appareils de freins.
Bailleul, Matér. roulant ch. de fer,1951, p. 140. − Spécialement a) ARCHIT. Fait de ne pas être attenant à un ensemble, à un édifice. [Aux] extrémités des narthex [byzantins], comme sur les façades principales, les cintres de couronnement offrent plusieurs degrés d'isolement de leurs courbes : au Théotocos [à Constantinople] le sommet seulement est dégagé; à l'église [du monastère de la Vierge] l'arc entier est libre (Lenoir, Archit. monast.,1852, p. 311): 10. Au sommet du plateau de la montagne de pierre, six colonnes d'une taille plus gigantesque s'élèvent isolées, non loin d'un temple inférieur (...). Nous verrons plus tard ce qu'elles témoignent, dans cet isolement des autres édifices.
Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 162. b) PHYS., TECHNOL. Synon de isolation. Isolement d'un fil, défaut d'isolement. L'isolement des caves influe beaucoup sur la dépense en froid (Boullanger, Malt., brass.,1934, p. 472).Ce produit [le liège] a été jusqu'à ce jour utilisé dans son état naturel pour la fabrication des bouchons ou pour l'isolement thermique (Industr. fr. bois,1955, p. 17): 11. Les conducteurs électriques employés dans les travaux souterrains nécessitent un isolement beaucoup plus parfait qu'à la surface. Il est nécessaire (...) qu'ils soient à l'abri de l'humidité et des eaux corrosives...
Haton de La Goupillière, Exploitation mines,1905, p. 628. c) LING. Fait d'être une langue isolante. L'important est de montrer qu'une langue ne présente que des dominances d'appartenance : polysynthèse et isolement pour le chinois, agglutination pour le turc, flexion et agglutination pour le latin ou le bantu, etc. (Pottierds Langage,1968, p. 317). B. − [Correspond à isoler I B] Isolement des hormones, procédés d'isolement. M. Blaringhon a (...) entrepris (...) l'isolement, par les méthodes de Svalof, de certaines espèces botaniques pures (Boullanger, Malt., brass.,1934, p. 40).Une grande usine d'isolement du plutonium à partir des barreaux irradiés entre en fonctionnement en 1958 (Goldschmidt, Avent. atom.,1962, p. 117). C. − [Correspond à isoler I C] :
12. ... l'image-représentation est d'abord une image idéalement isolée et réellement liée à toutes les autres, puis, en devenant une image-souvenir, on voit son isolement idéal se transformer en isolement réel, elle se détache du monde et se transporte dans l'esprit.
Sartre, Imagination,1936, p. 48. Prononc. et Orth. : [izɔlmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1. 1701 (Fur. : Isolement. Terme d'Architecture. C'est la distance d'une colonne à un pilastre; ou de quelque autre piece qui doit être detachée des autres); 2. a) 1778 « état d'une personne sans soutien, sans appui ou réduite à la solitude » (Mirabeau, Lettres, t. 2, p. 4 et 38); b) 1779 en parlant d'un pays (Beaumarchais, Lettre du 4 juin 1779, Molland, p. 666 ds Proschwitz Beaumarchais, p. 136 : que reste-t-il à l'Angleterre? Un isolement funeste, un épuisement total d'hommes et d'argent, des déchirements intestins, la perte de l'Amérique); 3. 1783 « séparation des corps par un espace ou une matière empêchant la propagation de l'électricité » (Bertholon, De l'Electricité des végétaux, 38-39 ds Quem. DDL t. 15); 4. 1824 « action d'isoler un malade » (Dict. abrégé des sc. méd. t. 10, p. 223). Dér. de isoler*; suff. -(e)ment1*. Fréq. abs. littér. : 1 173. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 569, b) 2 024; xxes. : a) 1 533, b) 1 642. Bbg. Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 521. - Gohin 1903, p. 337. |