| INVINCIBLE, adj. A. − 1. Qu'il est impossible de vaincre au combat ou dans les compétitions. Synon. imbattable.Armée, nation invincible; chef, guerrier, héros invincible; se croire, se sentir invincible. Après Tézin, Cannes, Trasimène, La Trébie, les Romains se croyaient toujours invincibles (Montherl., Bestiaires,1926, p. 459).Invincible Don Juan qui, malgré tant de rivaux acharnés, a conquis l'heureux empire du royaume de Castille (Camus, Chev. Olmedo,1957, 3ejournée, 25, p. 815): 1. Le monde entier (l'Allemagne comprise) en est dans la stupeur, tant on nous a répété (l'Allemagne surtout) que Hitler était invincible (...). Et voilà que de grands espoirs se lèvent. Depuis quelques jours, on ne dit plus : « Si l'Angleterre peut tenir encore... », mais bien : « Quand l'Allemagne sera battue. »
Green, Journal,1941, p. 122. ♦ [En parlant d'une position milit.] Synon. inexpugnable.Malgré ses faibles ressources militaires, Port-Étienne est presque invincible. Il faut franchir, pour l'attaquer, une telle ceinture de sable et de feu que les rezzous ne peuvent l'atteindre qu'à bout de forces (Saint-Exup., Terre hommes,1939, p. 190). ♦ Emploi subst. masc. (appliqué à une pers.). Moi, l'invincible, n'ai-je pas été vaincu? répondit Pharaon. À quoi sert que les bas-reliefs des temples et des palais me représentent armé du fouet et du sceptre (...) si je suis obligé de céder aux sorcelleries de deux magiciens étrangers (Gautier, Rom. momie,1858, p. 337).Si nous obtenons le dessus, les envieux crieront (...) : « Victoire en Égypte, victoire! Vive Bonaparte l'invincible! » (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 470).La population en masse pleurait son héros, son dieu, son invincible à doubles muscles (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 262). ♦ [P. méton. du subst.] Bras, épée, flèche invincible; armes invincibles. Mais, crédule en sa force, et raillant l'impossible, Comme une Jeanne d'Arc, à la lance invincible (Quinet, Napoléon,1836, p. 176).La France était partout chez elle, en conquérante qui promenait ses aigles invincibles d'un bout de l'Europe à l'autre (Zola, Débâcle,1892, p. 60).Le parapluie dressé vers le ciel au bout d'un poing formidable semblait le glaive invincible de l'ange exterminateur (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 207). − P. exagér., au fig., vieilli. Invincible à.Qui résiste à, qui est victorieux de. Synon. invulnérable. ♦ [En parlant de pers.] Cœur invincible à l'amour. Elle a l'esprit puissant aux grandes affaires, et le cœur invincible aux grandes adversités (Balzac, Martyr calv.,1841, p. 126).Mourir dans sa haute tour, invincible au monde, inexpugnable à sa malignité, c'est le vœu de l'être indépendant, qui ne sait obéir qu'à l'amour (Amiel, Journal,1866, p. 459). ♦ [En parlant de choses] Il y a une obscurité, un enveloppement d'idées invincible à toute l'activité de l'esprit, quand les conditions organiques manquent (Maine de Biran, Journal,1818, p. 121).L'homme est complexe, (...) la pensée et les actes ne vont pas toujours de compagnie, (...) l'instinct de durer persiste, invincible aux raisonnements (Bourget, Nouv. Essais psychol.,1885, p. v). 2. P. anal. Que rien ne peut abattre ou fléchir. Synon. impérissable, inaltérable, indestructible, indomptable, inébranlable.Courage, enthousiasme, optimisme invincible; ardeur, confiance, force, persévérance invincible. Son espoir demeurait invincible, elle était certaine que les choses se réaliseraient, malgré tout (Zola, Rêve,1888, p. 143).La libération, qui ne fut longtemps que le rêve d'une invincible espérance, apparaît aujourd'hui comme une échéance imminente (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 579): 2. ... les salutations joviales, les appels moqueurs lancés d'un groupe à l'autre, l'entre-croisement constant des propos sérieux ou gais témoignèrent de suite que ces hommes appartenaient à une race pétrie d'invincible allégresse et que rien ne peut empêcher de rire.
Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 6. B. − P. ext. Qui ne peut être surmonté, dont on ne peut venir à bout. Obstacle, résistance invincible. Cependant la religion pas plus que la chirurgie ne paraissait le secourir, et l'invincible pourriture allait montant toujours des extrémités vers le ventre (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 19).La maison prit feu. Les flammes invincibles barraient toutes les issues et défendaient les portes (Camus, Dév. croix,1953, 1rejournée, p. 532): 3. Et, quant aux articulations, chacun connaît des difficultés presque invincibles, qui viennent de ce que les lèvres, la langue et le palais doivent passer subitement d'une position à une autre très différente, ce qui ne peut aller sans grimaces, méprises, et mauvaise humeur.
Alain, Beaux-arts,1920, p. 83. − LOG. Qui ne peut être réfuté, qui est sans réplique. Synon. concluant, formel, implacable, inattaquable, incontestable, indiscutable, irrécusable, irréfragable, irréfutable; anton. réfutable.Argument, raisonnement invincible; preuve, raison invincible. Après l'avoir célébré [le fameux Cogito, ergo sum] comme une démonstration invincible de l'existence personnelle, on l'a couvert de ridicule, comme ne démontrant rien (Cousin, Hist. philos. mod., t. 1, 1846, p. 28).Aux classes de culte, chaque dimanche, armé d'une logique invincible, il argumentait (Mauriac, Préséances,1921, p. 10): 4. Notre esthétique rigoureusement pure m'apparaît donc comme une invention qui s'ignore en tant que telle, et s'est prise pour déduction invincible de quelques principes évidents.
Valéry, Variété IV,1938, p. 251. C. − Au fig. 1. À quoi l'on ne peut résister. Synon. irrésistible.Ascendant, attrait, penchant invincible. Ses yeux avaient la même flamme, les mêmes lointains de tendresse et de rêve − une invincible attirance (Mauriac, Enf. chargé de chaînes,1913, p. 130): 5. Mais toute sa résistance tombait, devant la douceur des choses qu'il lui disait, et elle s'abandonnait à la joie du moment, n'ayant plus la force de lutter, gagnée tout entière par le charme invincible de sa présence.
Moselly, Terres lorr.,1907, p. 161. 2. Que la volonté ne peut maîtriser, supprimer, qu'il est impossible de dominer. Dégoût, sommeil invincible; haine, peur, répugnance, timidité invincible. Avec un sourire noyé de sommeil, elle laissa retomber ses paupières, sous l'invincible fatigue (Zola, Joie de vivre,1884, p. 825).Les souffrances des autres lui causaient une répulsion invincible; ses nerfs n'en supportaient pas le spectacle ni la pensée (Rolland, J.-Chr., Amies, 1910, p. 1152): 6. Donc votre sentiment n'est pas de l'amour; c'est au contraire de l'égoïsme... − Appelez-le comme vous voulez... Qu'importe le mot?... C'est une passion terrible; j'aurais essayé de lui résister si je ne l'avais sentie invincible. − Aucune passion n'est invincible. La volonté vient à bout de tout...
Maurois, Ariel,1923, p. 96. 3. [En parlant d'une pers.] Qui reste maître de lui-même. Synon. impassible, insensible, invulnérable.Cette nuit, au chevet de leur père mourant, où il avait vu son aîné, qu'il jugeait invincible, éclater brusquement en sanglots (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 524). Prononc. et Orth. : [ε
̃vε
̃sibl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1370 ignorance invicible [sic] « ignorance des choses dont il est impossible qu'une personne ait eu connaissance » (Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, V, 10, fol. 98c, note 4, p. 292); dans la lexicogr. de Fur. 1690 à Lar. 19e; 2. 1538 « qu'on ne peut vaincre » (Est.); ca 1562 « dont on ne peut triompher » (Bonivard, Histoire des Papes, fol. 78 vo); en partic. 1595 [éd.] « qu'on ne peut maîtriser » un degoust invincible (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, III, XIII, 1220). Empr. au lat.invincibilis « qu'on ne peut vaincre », composé de in-1négatif et de vincibilis « qu'on peut vaincre », lui-même dér. de vincere « vaincre »; le sens 1 est le calque du lat. eccl. ignorantia invincibilis, dep. St Thomas (cf. Thomas-Lexikon et Blaise Latin. Med. Aev.). Fréq. abs. littér. : 1 492. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 666, b) 1 889; xxes. : a) 2 544, b) 1 527. DÉR. Invincibilité, subst. fém.Caractère invincible de quelqu'un ou de quelque chose. Nous avions mis notre confiance dans des valeurs fausses, la force militaire de la France, l'invincibilité de l'armée française (Green, Journal,1941, p. 104).La croix, emblème du christianisme, n'est-elle pas (...) le signe que l'échec temporel atteste seul, au sein de la souffrance et par delà la mort, l'invincibilité de l'esprit? (Philos., Relig., 1957, p. 38-9).L'invincibilité de la conscience individuelle (Traité sociol.,1967, p. 30).− [ε
̃vε
̃sibilite]. − 1reattest. début xvies. l'invincibilité d'icelle [cité] (Fossetier, Cron. Marg., ms. Brux. 10511, VII, V, 8 ds Gdf.); dér. sav. de invincible, suff. -(i)té*. BBG. − Gohin 1903, p. 272 (s.v. invincibilité). |