| INUTILE, adj. I. − [En parlant d'une chose] Qui ne présente pas d'utilité pratique, dont on n'a pas l'usage. Anton. indispensable, nécessaire. A. − [Sans compl.] 1. [Qualifie un objet, une réalité concr.] Bagages, meubles, richesses inutiles. Un arrêt du conseil (...) se fondant sur ce que ces bâtiments étaient devenus non-seulement inutiles, mais d'un entretien dispendieux, en ordonnait la démolition (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 589).Jehan de Villeparisis, avec la même belle H inutile, héraldique, telle qu'on l'admire, enluminée de vermillon ou d'outre-mer, dans un livre d'heures ou dans un vitrail (Proust, Prisonn.,1922, p. 37): 1. Le docteur (...) écarta d'une main dégoûtée les draps, les châles et fichus de laine, la bouillotte et les serviettes autour d'Alexis recroquevillé, toutes ces choses inutiles et maladroites avec lesquelles on essaye en vain de soulager une souffrance.
Triolet, Prem. accroc.,1945, p. 199. 2. [Qualifie une réalité abstr.] a) [considérée du point de vue de son adaptation à une fin] Qui n'apporte rien, ne sert à rien. Détail, existence, œuvre inutile; connaissances inutiles. Quand Félicité parla d'envoyer les petits au collège, il se fâcha. Le latin était un luxe inutile (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 60).Les jeunes gens qui ont quitté les universités munis d'inutiles diplômes se transforment en rôdeurs et vivent de rapines (Green, Journal,1935, p. 33): 2. Si le mot se refuse à la naturalisation, il faut l'abandonner résolument, le traduire ou lui chercher un équivalent. Très souvent, après une brève réflexion, on le jugera tout à fait inutile : steamer est un doublet infiniment puéril de vapeur; et quel besoin de smoking-room pour un parler qui possède fumoir...
Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 101. b) [considérée en elle-même] Qui n'a pas de justification extérieure, qui n'existe pas en fonction d'un but déterminé. Synon. gratuit.Crime, cruauté, souffrance inutile. Quelques-uns peuvent accepter de mourir pour tous, même si la mort est inutile. Et elle ne l'est jamais. Car les autres en sont embellis (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 787): 3. ... à l'intérieur du mal, la difficulté commençait. Il y avait par exemple le mal apparemment nécessaire et le mal apparemment inutile. Il y avait don Juan plongé aux enfers et la mort d'un enfant. Car s'il est juste que le libertin soit foudroyé, on ne comprend pas la souffrance de l'enfant.
Camus, Peste,1947, p. 1400. 3. [Qualifie une action, un comportement] Que l'on effectue en vain, qui n'obtient aucun résultat. N'entreprenons pas de convertir les philosophes; ce seroit probablement une entreprise inutile (Saint-Martin, Homme désir,1790, p. 335).Je me méprise assez pour avoir le droit de m'épargner certaines expériences inutiles et humiliantes (Bernanos, Joie,1929, p. 665): 4. Je suis las de mes enfantillages, de mes peines, de mes distractions, de mes étourdissements et de mes rechutes; las de me jouer à moi-même la comédie (...) las d'efforts inutiles, d'agitations impuissantes, de désirs inféconds.
Amiel, Journal,1866, p. 417. B. − [Avec compl. prép. à marquant le but, la destination] Les applaudissements lui causaient une espèce d'ivresse, inutile à son amour-propre, mais indispensable à son courage (Balzac, Illus. perdues,1839, p. 507).L'intelligence est presque inutile à celui qui ne possède qu'elle. L'intellectuel pur est un être incomplet, malheureux, car il est incapable d'atteindre ce qu'il comprend (Carrel, L'Homme,1935, p. 162). C. − Locutions 1. (C'est, il est) inutile de + inf., que + subj. Il ne sert à rien, ce n'est pas la peine de/que. Maintenant il est inutile que je vous dise où est ma préférence, vous ne l'ignorez pas (Hugo, Rhin,1842, p. 300).Je pense qu'il est inutile de relire le testament, vous l'avez certainement présent à l'esprit (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 231): 5. Il est donc bien inutile pour un peintre d'essayer des modes usités dans les écoles pour ennoblir la peinture; il est donc bien inutile de choisir des sujets dits plus élevés les uns que les autres, car les sujets ne sont rien par eux-mêmes.
Huysmans, Art mod.,1883, p. 196. − [Dans le discours parlé, avec ell. du compl.] (C'est) inutile. − Voulez-vous qu'on se plaigne? demanda l'inspecteur au gouverneur. − Inutile, monsieur, il est assez puni comme cela (Dumas père, Comte Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 151).− Voulez-vous mon aide? − Inutile. − Pourquoi pas? − Ah! vous êtes trop dangereux! (Flaub., Bouvard, t. 2, 1880, p. 11): 6. − Voudriez-vous me donner, Monsieur Krafft, la lettre que vous tenez à la main? Christophe s'aperçut que le regard de l'intendant était fixé sur le papier qu'il continuait, sans y penser, à froisser dans son poing. − C'est inutile, Votre Excellence, balbutia-t-il. Ce n'est plus la peine maintenant.
Rolland, J.-Chr., Matin, 1904, p. 138. 2. Inutile à + inf. Qu'il est inutile de. Une foule de circonstances inutiles à consigner ici, décuplèrent son désir de parvenir et lui donnèrent soif des distinctions (Balzac, Goriot,1835, p. 41).Vous savez que, pour certaines raisons inutiles à vous rappeler, il avait été exilé de Pétersbourg, il y a un an (Gobineau, Pléiades,1874, p. 99). D. − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Il faut de l'inutile dans le bonheur. Le bonheur, ce n'est que le nécessaire. Assaisonnez-le-moi énormément de superflu (Hugo, Misér., t. 2, 1862, p. 614).On commença timidement à démonter les rampes d'escalier, les trappes du grenier, l'inutile, l'accessoire (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 335): 7. Je goûte toujours grande joie à supprimer tout l'inutile. Mes corbeilles à papier s'emplissent de « repentirs » qui, maintenus, eussent paru du foisonnement; mais qu'ai-je à faire de cette fausse richesse?
Gide, Journal,1930, p. 963. II. − [En parlant d'un être vivant] Qui n'accomplit aucun travail utile, qui ne rend pas (ou plus) de services. A. − [Sans compl.] Bouche inutile; serviteur, vieillard inutile. Ne sens-tu pas le ravissement de ne servir à rien, d'être superbement inutile, de consumer en soi ce que les autres ont peiné à travers les siècles pour amasser au fond de ton âme? (Rivière, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1906, p. 230).Aux champs, les vieux animaux et les vieilles gens, lorsqu'ils se sentent inutiles, désirent eux-mêmes s'en aller (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 159): 8. Il faut que le résidu final qui restera dans le domaine de l'esprit humain soit extrait d'un vaste amas de choses. De même qu'aucun homme n'est inutile dans l'humanité, de même aucun travailleur n'est inutile dans le champ de la science. Ici, comme partout, il faut qu'il y ait une immense déperdition de force.
Renan, Avenir sc.,1890, p. 223. B. − [Avec compl. prép. à marquant le but, la destination] Le haschisch, comme toutes les joies solitaires, rend l'individu inutile aux hommes et la société superflue pour l'individu, le poussant à s'admirer sans cesse lui-même (Baudel., Paradis artif.,1860, p. 385).D'inutile à tous, je deviens utile à quelques-uns, et j'ai tiré de ma vie (...) un acte de modestie, de prudence et de raison (Fromentin, Dominique,1863, p. 1). C. − Emploi subst. Pendant deux ans, Octave mena cette vie d'inutile et de dissipé (Verne, 500 millions,1879, p. 170).À ta place, je gagnerais honorablement ma vie, j'aiderais mon père dans ses travaux... tu vis comme un inutile, comme un littérateur... et tu me coûtes les yeux de la tête... (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 42). Prononc. et Orth. : [inytil]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1remoitié xiies. adj. inuteles « qui n'est pas utile » (Psautier Oxford, éd. Fr. Michel, 52, 4); av. 1380 Inutiles (Bersuire, T. Liv., ms. Ste Gen., fo289c ds Gdf. Compl.); 2. 1700 subst. « personne inutile » (Regnard, Ret. impr., 6 ds Littré); 1743 les bouches inutiles (G. Le Blond, Traité de la deffence des places, 138). Empr. au lat.inūtĭlis « inutile, d'aucun secours, sans profit ». Fréq. abs. littér. : 6 259. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 8 815, b) 8 875; xxes. : a) 9 442, b) 8 661. |