| INTERROMPRE, verbe trans. A. − Qqn/qqc. interrompt qqc. 1. Briser la continuité de, rompre la continuation de. a) [Dans l'espace] Synon. briser, couper, rompre. − [Le suj. désigne une pers.] Interrompre un circuit électrique. La circulation des voitures et des tramways est interrompue comme si on attendait un Chef d'État (Proust, Guermantes 1,1920, p. 76). − [Le suj. désigne une chose] Sur son visage (...), une teinte bleuâtre interrompait seulement autour des yeux cette pâleur mate et immobile (Soulié, Mém. diable, t. 1, 1837, p. 220): 1. Si quelque petit champ de cinquante pas de large vient interrompre de temps à autre les bouquets de châtaigniers et de cerisiers sauvages, l'œil satisfait y voit croître des plantes plus vigoureuses et plus heureuses là qu'ailleurs.
Stendhal, Chartreuse,1839, p. 23. b) [Dans le temps] Synon. arrêter, suspendre. − [Le suj. désigne une pers.] Interrompre une émission, un entretien, ses études, un jeu, un match, une partie de cartes, un voyage; interrompre le sommeil de qqn. Je ne voudrais pas interrompre vos occupations, Mademoiselle (Martin du G., J. Barois,1913, p. 349).Afin d'augmenter nos revenus, j'interromps mes chers travaux scientifiques et je pose ma candidature à un poste de magistrat (H. Bazin, Vipère,1948, p. 270): 2. Oui, je me reproche de prier peu, et mal. Presque tous les jours, après la messe, je dois interrompre mon action de grâces pour recevoir tel ou tel, des malades, généralement.
Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1110. − [Le suj. désigne une chose] Silence que rien ne vient interrompre; interrompre le cours des événements. Le tremblement de Lisbonne a interrompu le commerce (Michelet, Journal,1842, p. 467).La lecture du rapport est interrompue par les bravos de la droite et les rires de la gauche (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 181): 3. Il faudrait créer des institutions telles que les observations et les expériences ne soient pas interrompues par la mort du savant qui les a commencées. De telles organisations sont encore inconnues dans le domaine scientifique.
Carrel, L'Homme,1935, p. 59. 2. DR. Interrompre la prescription. Arrêter le cours du délai. La citation en conciliation devant le bureau de paix, interrompt la prescription, du jour de sa date, lorsqu'elle est suivie d'une assignation en justice donnée dans les délais de droit (Code civil,1804, art. 2245, p. 410).Un patriote allait à Metz interrompre la prescription sinon dans les faits qui ne dépendent d'aucun individu, du moins dans les mœurs (Barrès, Cahiers, t. 9, 1911, p. 157).Interrompent les prescriptions : les commandements faits par huissier, les saisies, les citations en justice (cida1973). B. − Qqn/qqc. interrompt qqn 1. Arrêter (quelqu'un) dans son action, dans son activité. Synon. déranger.Interrompre qqn dans son travail, dans son sommeil, dans ses réflexions, au milieu de son repas; excusez-moi de vous interrompre. Josille voulut l'accompagner jusqu'à la route. − Non, restez. Je m'en voudrais de vous interrompre (Pesquidoux, Livre raison,1932, p. 18): 4. ... elle l'empêche de travailler, l'interrompt, ne comprend pas qu'il faut du recueillement, du silence, pour inventer ou rédiger. Il n'a plus que deux heures à lui, de cinq heures du matin à sept heures, pendant qu'elle dort.
Taine, Notes Paris,1867, p. 311. − [P. anal.] Le faon tacheté, sans l'interrompre [la biche] dans sa marche, lui tétait la mamelle (Flaub., St Julien l'Hospitalier,1877, p. 97). − Emploi pronom. ♦ réfl. [Le suj. est une pers.] S'arrêter momentanément de faire quelque chose. Anton. continuer, reprendre.S'interrompre au milieu de ses réflexions, dans sa lecture, dans sa tâche; s'interrompre brusquement, tout à coup, un instant, un moment, une seconde pour (+ inf.); marcher, travailler sans s'interrompre. Elle brode et s'interrompt par moments pour causer (Hugo, Ruy Blas,1838, II, 1, p. 365).Elle frappait sur les touches avec aplomb, et parcourait du haut en bas tout le clavier sans s'interrompre (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 46): 5. Christophe, énervé par le bruit de la salle, s'interrompit brusquement au milieu du morceau; et, regardant d'un air goguenard le public, qui s'était tu soudain, il joua Malbrough s'en va-t-en guerre...
Rolland, J.-Chr., Foire, 1908, p. 781. S'interrompre de + inf.Ces demoiselles sont si gaies, elles ne s'interrompent de rire que pour chanter des cantiques (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 922).Je me suis interrompu d'écrire parce que la lumière baissait et que j'entendais parler au-dessous de moi (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 39).♦ à sens passif. [Le suj. est une chose ou une action] Être brisé dans son développement. [Dans l'espace] Le chemin s'interrompait subitement, et la bouche d'un puits bâillait carrée et noire à la surface du sol (Gautier, Rom. momie,1858, p. 166).L'allée des tilleuls s'interrompait, au niveau du rond-point occupé par le grand bassin (France, Lys rouge,1894, p. 329).[Dans le temps] La pluie s'interrompt. En 1831, une fusillade s'interrompit pour laisser passer une noce (Hugo, Misér., t. 2, 1862, p. 292).Ce n'est pas moi qui laisserai s'interrompre la collaboration si précieuse que vous accordiez à mon prédécesseur (Romains, Knock,1923, II, 2, p. 9): 6. De temps à autre, le travail paisible et régulier de la boutique s'interrompait pour un instant. Le maréchal (...) regardait, en l'approchant de son tablier de cuir, le morceau de fer qu'il avait travaillé. Et, redressant la tête, il nous disait, histoire de souffler un peu : − Eh bien! ça va, la jeunesse?
Alain-Fournier, Meaulnes,1913, p. 21. 2. En partic. Arrêter quelqu'un dans son discours, lui couper la parole. Interrompre brutalement un orateur; écouter qqn sans l'interrompre; ne m'interrompez pas tout le temps; interrompre qqn du geste; être interrompu par des cris, par des applaudissements. Sentant que j'allais l'interrompre, il leva la main, comme pour me dire : non, vous pourrez parler ensuite, laissez-moi d'abord achever (Gide, Symph. pastor.,1919, p. 902).Nous n'en finirons jamais, Paule, si tout le monde m'interrompt. Je disais donc... (H. Bazin, Vipère,1948, p. 48): 7. André lui était un auditeur incomparable, qui ne l'interrompait jamais − pour cause − qui savait sourire, approuver, s'étonner aux bons endroits, demander un renseignement, soulever une apparente contradiction : c'était un plaisir divin de pérorer devant lui.
Martin du G., Devenir,1909, p. 58. ♦ Emploi abs. Le plaisir d'interrompre, qui rend la discussion si animée en France (Staël, Allemagne, t. 1, 1810, p. 183).Je t'écoute, je t'écoute, repartit le baron, qui cette fois se promit bien de ne pas interrompre (Soulié, Mém. diable, t. 2, 1837, p. 296). − [P. méton. de l'obj.] Arrêter le discours de quelqu'un. Interrompre une phrase, une tirade, le récit de qqn. Cette péronnelle avait osé interrompre d'un : « Vous l'avez déjà raconté », le récit de ses concours où se complaisait Fernand (Mauriac, Génitrix,1923, p. 328). ♦ Part. passé en emploi adj. [Dans une loc. nom.] Propos interrompus. Conversation sans suite, à bâtons rompus (à l'origine jeu de société, v. propos). N'attendez pas que je rapporte les propos interrompus d'une foule, les cris (Gide, Caves,1914, p. 723).Loc. verb. fig., vieilli. Jouer aux propos interrompus. Ne pas se comprendre les uns les autres. Comment lui dire que je ne me faisais pas la moindre idée des griefs de M. le comte, et que nous venions de jouer, sans qu'il s'en doutât, aux propos interrompus? (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1175). − Emploi pronom. ♦ réfl. S'arrêter brusquement de parler, au milieu d'un discours, d'une conversation. S'interrompre net, brusquement, tout à coup; parler sans s'interrompre. Tout à coup, au beau milieu d'une période, il s'interrompit (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 365).De temps en temps elle s'interrompait, essoufflée de parler (Fromentin, Dominique,1863, p. 96): 8. Les applaudissements devinrent si forts, qu'il s'interrompit. Pendant quelques minutes, il resta les paupières closes, la tête renversée et comme se berçant sur cette colère qu'il soulevait.
Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 134. ♦ réciproque. Se couper mutuellement la parole. Je demande s'ils s'interrompoient les uns les autres pour se dire : qu'est-ce que Jésus-Christ, qu'est-ce que Jupiter? (Chateaubr., Martyrs, t. 1, 1810, p. 55).En s'interrompant cent fois l'un l'autre, ils parvinrent à grand'peine à se raconter ce qu'ils ignoraient (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 491). REM. Interruptible, adj.,rare. Susceptible d'être interrompu. J'ai là dix lettres « en souffrance », et des choses Havas; je ne parle pas des travaux en cours essentiellement interruptibles (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1912, p. 425). Prononc. et Orth. : [ε
̃tε
ʀ
ɔ
̃:pʀ] ou [-te-], (il) interrompt [-ʀ
ɔ
̃]. [-ε
ʀ
ʀ-] ds Mart. Comment prononce 1913, p. 297. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1remoitié xiies. entrerumpre « rompre, fendre » (Ps. Oxford, éd. F. Michel, LXXVII, 18); ca 1160 antrerompre (Eneas, 1424 ds T.-L.); 2. a) ca 1195 entrerompre « empêcher le déroulement, la continuation de qqc. » (Ambroise, Guerre sainte, 2396, ibid.); 1391 part. passé adj. interrupt (Grands jours de Troyes, Arch. X 1a 9184, fol. 15 vods Gdf.); 1501 interrumpre (F. Le Roy, Livre de la Femme forte, d 5 b, d'apr. H. Vaganay ds Rom. Forsch. t. 32, p. 93); 1515-20 interrompre (Cl. Marot, Temple de Cupido, Epître au roi, 14, éd. Cl. A. Mayer,
Œuvres lyriques, p. 88 : ma loquence interrompit); b) spéc. 1456-67 interrompre la parolle a (qqn) « couper la parole à » (Cent nouv. nouv. XCVIII, éd. Fr.P. Sweetser, p. 550); 1559 interrompre (qqn) « id. » (Amyot, Hommes illustres, Coriolan, LVI, éd. G. Walter, t. 1, p. 512). Empr. au lat.interrumpere « mettre en morceaux, briser, détruire; interrompre »; d'abord entrerumpre, entrerompre d'apr. entre et rompre puis interrumpre par réfection d'après le lat., la forme définitive étant interrompre. Fréq. abs. littér. : 6 248. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 8 949, b) 9 914; xxes. : a) 9 879, b) 7 677. |