| INTELLECTUEL, -ELLE, adj. et subst. A. − [En parlant de qqc.] 1. [Détermine un subst. relatif à l'activité mentale; souvent p. oppos. à physique, corporel; sans idée de degré] Qui concerne l'intelligence au sens large (v. intelligence I A 1), l'esprit. Les êtres qui ne sont pas doués de connaissance intellectuelle et ne peuvent soit connaître leurs actes, soit réfléchir sur leurs actes pour en déterminer la fin (Gilson, Espr. philos. médiév.,1932, p. 70).Le rapport de ressemblance esquisse d'emblée la possibilité de généraliser, de produire des catégories; en bref, émerge l'acte intellectuel (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 107): 1. En continuant à nous élever dans l'échelle des activités cérébrales, nous atteindrions aux facultés intellectuelles [it. ds le texte] d'attention, de jugement, de raisonnement, d'imagination..., qui font l'intelligence de l'homme.
Camefort, Gama, Sc. nat.,1960, p. 276. SYNT. Opération, procédé, vie, activité, travail, développement, concentration, gymnastique, effort intellectuel(le); vigueur, curiosité, valeur, quotient intellectuel(le); fatigue, surmenage intellectuel(le); confort, paresse, fléchissement, misère intellectuel(le); sensibilité, intuition intellectuelle; aliment, bagage intellectuel; phénomènes, habitudes, jouissances, stimulants intellectuel(le)s; produits intellectuels. − [En oppos. à affectif, actif] Un phénomène sensitif, actif ou intellectuel a beau avoir lieu; sans un acte quelconque d'attention nous ne l'apercevons pas (Cousin, Hist. philos. xviiies., t. 2, 1829, p. 443).L'hypothyroïdien (...) offre un psychisme engourdi où la vie végétative (...) enfouit la vie intellectuelle et émotive et amortit l'activité (Mounier, Traité caract.,1946, p. 167). ♦ [Dans le cadre de l'oppos. à affectif] LING. [P. oppos. à accent affectif] ,,(...) accent qui sert à distinguer deux mots du point de vue du sens, comme « amoral » et « immoral », « induire » et « déduire », « officieux » et « officiel »`` (Morier 1975). Synon. plus rare intellectif. Rem. ,,(...) l'accent intellectuel ou antithétique attire l'attention sur un distinguo, en frappant, d'un triple accent de durée, de hauteur et d'intensité, la syllabe différentielle des mots opposés`` (Morier 1961). PSYCHOL. [P. oppos. à l'odorat et au goût, appelés sens affectifs parce qu'ils provoquent gén. une sensation de plaisir ou de douleur] Sens intellectuels. Vue, toucher et ouïe, qui sont le plus souvent à l'origine de nos représentations du monde extérieur. (Ds Littré, Guérin 1892, Nouv. Lar. ill.-Lar. Lang. fr.). − [Dans ce sens large, en parlant d'animaux] [Gall] pense pouvoir distinguer les capacités intellectuelles des animaux et celles de l'homme (Hist. sc.,1957, p. 1644). − [Dans un sens restreint; sans idée de degré] Qui concerne l'intelligence au sens strict (v. intelligence I A 1 d), l'intellect, l'entendement. Pensée, idée, abstraction, conception, spéculation intellectuelle. Les Cartésiens opposent les opérations intellectuelles, ou opérations logiques, qui comportent le vrai ou le faux, aux opérations sensitives, qui sont toutes mécaniques, sensation, mémoire, imagination (Goblot1920) : 2. ... l'idée de Dieu, notre connaissance intellectuelle (abstraite, spéculative, rationnelle, notionnelle) de Dieu est sans valeur objective, n'atteint ou ne représente pas le réel et n'a pas de portée ontologique.
Théol. cath.t. 4, 11920, p. 812. ♦ [En oppos. avec affectif, intuitif (ou avec un équivalent)] [L'« inémotif »] réussit mieux, contrairement à l'émotif, dans les activités intellectuelles abstraites ou techniques, tandis qu'il se voit défavorisé sous le rapport de l'intuition et du sens artistique (Mounier, Traité caract.,1946, p. 240). ♦ Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Kant ne s'éloignait pas au fond (...) des errements de l'ancienne méthode, cherchant la certitude dans l'intellectuel pur, et élaguant la personne réelle qui poursuit ou possède comme elle peut la vérité (Renouvier, Essais crit. gén., 3eessai, 1864, p. xlii). 2. [Détermine un subst. évoquant une activité hum.; peut comporter l'idée de degré; p. oppos. à manuel (ou à un équivalent)] Qui fait principalement appel à l'activité de l'esprit. Dans les métiers manuels, le travail se compte à l'heure et à la toise, mais dans les professions intellectuelles tout dépend de l'esprit et du nombre de ses vibrations (Amiel, Journal,1866, p. 138).Nous négligeons le port, dont les activités sont sales et peu intellectuelles (H. Bazin, Vipère,1948, p. 160): 3. L'appareillage électroménager économise d'abord la fatigue de la maîtresse de maison, bien entendu, mais il économise aussi son temps, qu'elle peut alors consacrer à des occupations plus intellectuelles ou plus intéressantes.
Decaux, Mesure temps,1959, p. 51. − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Ce qui est intellectuel. Tu es intelligent, mais volontairement fermé à tout le spirituel, l'intellectuel et le sentimental de la vie (Montherl., Olymp.,1924, p. 366).Toujours cette disjonction entre le moral et l'intellectuel (Du Bos, Journal,1927, p. 276). B. − [En parlant de qqn; p. oppos. à manuel (ou à un équivalent)] 1. [Peut comporter l'idée de degré] Qui a, pour les activités de l'esprit, en partic. pour la théorie et la spéculation, un goût affirmé ou même exclusif, au point de rester étranger aux problèmes pratiques. Je comprends que vous ayez de la répugnance à garder dans votre maison des gens intellectuels et bien élevés, mais encore faudrait-il un peu de droiture et de justice (Bloy, Journal,1904, p. 214).Les natures complètes étant rares, un être très intellectuel et sensible aura généralement peu de volonté (Proust, Fugit.,1922, p. 616). − [Détermine un collectif; p. oppos. à populaire (ou à un équivalent); sans idée de degré] Milieux intellectuels. Le peuple rhénan n'a pas de conceptions politiques fortement arrêtées (...). Les classes intellectuelles en ont profité pour le jeter, un temps, dans l'idéologie du pangermanisme (Barrès, Cahiers, t. 12, 1920, p. 288).L'importance de ces disciplines était encore méconnue par l'élite intellectuelle et, beaucoup plus, par l'opinion populaire (Marin, Ét. ethn.,1954, p. 18). ♦ Péj. [P. oppos. à intelligent] :
4. Après les intellectuels de l'avant-garde, les intellectuels de l'arrière : les uns valaient les autres. Chacun des deux partis traitait l'autre d'intellectuel, et se traitait lui-même d'intelligent.
Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1268. 2. [Sans idée de degré] Dont la profession consiste principalement à faire travailler l'intelligence. Vous ne soutenez tout de même pas que si la classe ouvrière, dans tous les pays, s'entendait, et les travailleurs intellectuels, ceux qui sont près du peuple, ça ne servirait à rien (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 112): 5. Il est impératif d'arrêter immédiatement la transformation du fermier, de l'artisan, de l'artiste, du professeur, et du savant, en prolétaires manuels ou intellectuels, ne possédant rien que leurs bras ou leur cerveau.
Carrel, L'Homme,1935, p. 366. − [Détermine un collectif; sans idée de degré] Devant la puissante oligarchie qui syndiquera les énergies de l'ordre matériel, un immense prolétariat intellectuel, une classe de mendiants lettrés (...) traînera sur les routes de malheureux lambeaux de ce qu'auront été notre pensée, nos littératures, nos arts (Maurras, Avenir intellig.,1905, p. 93). 3. Emploi subst. [P. oppos. à ouvrier, manœuvre, employé (ou à un équivalent)] Personne qui, par goût ou par profession, se consacre principalement aux activités de l'esprit. Il fallait donc se prêter à cette humiliation : d'offrir comme divertissement (...) à un public de snobs et d'intellectuels fatigués (...) la musique où l'on a mis le secret de sa vie intérieure (Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1275).Raoul (...) se met en rogne contre les intellectuels à binocle qui parlent de métaphysique ou d'esthétique à côté de nous (Abellio, Pacifiques,1946, p. 260). − Intellectuel pur, pur intellectuel. L'intellectuel pur, c'est-à-dire l'intellectuel rationaliste, c'est-à-dire encore un extraverti de l'intelligence, fermé à toutes les forces obscures de l'instinct et de l'affectivité comme à toutes les ressources de la vie intuitive (Mounier, Traité caract.,1946, p. 574). − [P. oppos. à d'autres catégories soc.] Au plur. Ensemble des intellectuels considéré comme constituant une catégorie socio-professionnelle : 6. Ce sont en réalité des ouvriers de deuxième zone (...), des ouvriers embourgeoisés, (les pires des bourgeois), des ouvriers si je puis dire endimanchés dans la bourgeoisie, des intellectuels aux entournures, les pires des intellectuels, des ouvriers avantageux, encore plus sots, s'il est possible, que les bourgeois leurs modèles et que les intellectuels leurs maîtres...
Péguy, Argent,1913, p. 1110. ♦ Les intellectuels de gauche. Ces intellectuels ,,de gauche`` qui vous déclarent gravement : « Je suis socialiste mais je nie le socialisme de l'U.R.S.S. » Or, le socialisme c'est le socialisme de l'U.R.S.S. Il n'y en a pas d'autre, sinon dans leur conscience enfumée (L'Humanité,27 janv. 1949ds Quem. DDL t. 18). C. − [Dans un cadre dualiste; p. oppos. à corporel, physique, matériel] Synon. spirituel. 1. [Correspond à intelligence I A 1 e] Qui est de l'ordre de l'esprit, de l'âme. Ainsi, intelligence, pensée, volonté, constituent l'être intellectuel. Organes, mouvemens, action, constituent l'être organisé (Bonald,Législ. primit., t. 1,1802,p. 255).Tout ce qu'on pense, il faut le penser avec son être tout entier, âme et corps. (...) voilà le grand moyen de perfectionner en soi l'homme sensible et l'homme intellectuel (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 271). 2. [Correspond à intelligence I A 4 c] Qui est pur esprit, pure intelligence. Dieu intellectuel. Pour les corps, saint Jean Damascène adopte la notion aristotélicienne du lieu. Il ajoute, pour les substances incorporelles et intellectuelles, la notion du lieu spirituel (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1128): 7. Il y eut aussi un soleil intellectuel, dont le soleil visible n'était que l'image; une lumiere incorporelle, dont la lumiere de ce monde était une émanation toute corporelle; enfin, un verbe incorporel, et un verbe revêtu d'un corps, et rendu sensible à l'homme. Ce corps était la substance corporelle du soleil, au dessus de laquelle on plaçait la lumiere incréée ou intellectuelle, ou le logos intellectuel.
Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 386. − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. L'être qui doit être moyen ou médiateur entre le fini et l'infini, l'intellectuel et le physique, Dieu et l'homme, doit être lui-même nécessairement infini sous un rapport, et fini sous un autre, intelligence et corps, Dieu et homme (Bonald,Législ. primit., t. 1,1802,p. 300). Prononc. et Orth. : [ε
̃tεl(l)εktɥ
εl], [-telεk-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Cf. intellect. Étymol. et Hist. 1. Ca 1265 « qui se rapporte à l'intellect, à l'activité de l'esprit » (Brunet Latin, Trésor, éd. Fr. J. Carmody, II, 30, 3); d'où 2. 1866 « qui se consacre aux activités intellectuelles » (Amiel, loc. cit.). Empr. au b. lat.intellectualis, de même sens, dér. de intellectus, v. intellect. Au xixes. le mot s'oppose à manuel1*. Fréq. abs. littér. : 4 788. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 192, b) 3 580; xxes. : a) 6 834, b) 9 904. Bbg. Bodin (L.). Les Intellectuels. Paris, 1962, pp. 5-22 - Field (T.). Vers une nouv. dat. du subst. intellectuel. Trav. Ling. Litt. Strasbourg 1976, t. 14, no2, pp. 159-167. - Idt (G.). L'Intellectuel avant l'affaire Dreyfus. Cah. Lexicol. 1969, no15, pp. 35-46. - Maulnier (Th.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp. 123-125. |