| INNOMMABLE, adj. Qui ne peut être nommé; qu'on ne veut ou qu'on ne peut nommer : 1. On sentait, là dedans, le lait, la pomme, la fumée, et cette odeur innommable des vieilles maisons paysannes, odeur du sol, des murs, des meubles, odeur des vieilles soupes répandues, des vieux lavages et des vieux habitants, odeur des bêtes et des gens mêlés, des choses et des êtres, odeur du temps, du temps passé.
Maupass., Contes et nouv., t. 2, Fermier, 1886, p. 654. A. − Qu'on ne peut définir, qualifier. Monstres innommables, ne dépendant d'aucune famille précise, tenant de la panthère et du porc, de la bayadère et du veau (Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 136).Mais Dieu, loin de déclarer ainsi qu'il est innommable, indique dans la phrase suivante qu'il a révélé son nom véritable (Théol. cath.,t. 4, 1, 1920, p. 957): 2. Un vent léger tomba du ciel noir qu'il agitait comme à plis funèbres dans toute l'épaisseur de ce qui sembla d'abord la matière même, inconnue et innommable, du chaos primitif, mais se révéla enfin être, et planant sur tout ce paysage de cauchemar, une lourde couverture de nuages gris.
Gracq, Argol,1938, p. 146. B. − Usuel, fam. 1. Avec une valeur péj. Auquel on ne veut pas donner de nom; auquel on pourrait difficilement donner un nom pour des considérations d'ordre esthétique ou logique. Sur la couverture s'étalait, en or, une chose innommable qui s'appelait pourtant le Trocadéro (Jammes, Mém., t. 1, 1921, p. 150): 3. De chaque côté de la barque, quatre planches clouées ensemble s'avancent au-dessus de l'eau comme un balcon toujours lavé par les vagues; un petit tasseau les soutient en dessous; un grand trou s'arrondit au milieu. Je te laisse, cher Théophile, à deviner l'usage de cette innommable construction. La vue seule en fait frémir; un coup de mer un peu violent doit vite emporter ce léger échafaudage et celui que l'impérieuse nature y conduit.
Du Camp, Nil,1854, p. 284. − [Avec valeur superlative] Votre chambre est un innommable fourre-tout, en ce moment (Alain-Fournier, Corresp. [avec Rivière], 1910, p. 202).V. digne ex. 2. − Emploi subst. Un homme qui se dissout devient légion, mais légion d'innommables. Un empire qui se détruit engendre un chaos fourmillant d'individualités ennemies. Le bien simplifie, le mal complique (Amiel, Journal,1866, p. 226). 2. Qui est trop bas, trop abject pour être nommé, qualifié, décrit. Le directeur du palace, un ignoble inverti (...) fut trouvé assassiné dans son bureau, vers les dix heures du soir. Ce drame s'était passé au cours d'une scène innommable, comme le démontra l'autopsie (L. Daudet, Brév. journ.,1936, p. 189): 4. ... tout ce qui nous gouverne et tout ce qui nous tient, par l'argent, le pouvoir, le sabre ou les croyances, demanda chaque jour sa pâture de logique pharisienne et l'obtint. Toute une classe innommée, innommable, de possédants, s'en reput, y trouva les satisfactions intellectuelles de sa vie.
Clemenceau, Iniquité,1899, p. 78. Prononc. et Orth. : [in(n)ɔmabl̥]. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1584 « qu'on ne peut appeler par son nom » (Bouchet, Sérées I, p. 363 ds La Curne), attest. isolée; 1796 « à qui on ne peut donner un nom » (Restif de La Bret., M. Nicolas, p. 238); p. ext. 1854 « trop détestable pour recevoir un nom » supra ex. 3. Dér. de nommer*; préf. in-1*; suff. -able*. Fréq. abs. littér. : 74. |