| INNOMBRABLE, adj. A. − [Le subst. déterminé désigne une grandeur nombrable, mesurable, évaluable; les éléments sont distincts] Qu'on ne peut compter ou qu'on renonce à compter; dont les éléments sont trop nombreux pour être comptés. Synon. très nombreux. 1. [Le subst. déterminé désigne un collectif] Innombrable essaim; peuple, foule innombrable. Les armées innombrables des anges viennent d'apparaître dans le ciel (Psichari, Voy. centur.,1914, p. 154): 1. Gundermann occupait là un immense hôtel, tout juste assez grand pour son innombrable famille. Il avait cinq filles et quatre garçons, dont trois filles et trois garçons mariés, qui lui avaient déjà donné quatorze petits-enfants. Lorsque, au repas du soir, cette descendance se trouvait réunie, ils étaient, en les comptant sa femme et lui, trente et un à table.
Zola, Argent,1891, p. 94. 2. [Le subst. déterminé est au plur.] La Grande-Bretagne (...) a à peu près toutes les îles qu'avait l'Espagne, et qui, presque littéralement, étaient innombrables (Hugo, Rhin,1842, p. 451).La puissante odeur de milliards de tiges d'herbes descendait par les innombrables interstices et les incomptables fentes qui fissuraient les entre-solives (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 198): 2. ... la création est si ancienne, que nous pouvons la considérer comme éternelle dans le passé. Depuis l'époque de leur formation, les innombrables soleils de l'espace ont eu largement le temps de s'éteindre.
Flammarion, Astron. pop.,1880, p. 387. B. − [Le subst. déterminé ne désigne pas une grandeur nombrable, mesurable, évaluable; les éléments ne sont pas distincts] Qu'on ne peut nombrer, évaluer, chiffrer. 1. Domaine concr.Innombrables détails, détours. Les chênes, les hêtres, les ormeaux, les marronniers, les acacias étalent devant nos yeux les nuances innombrables du vert, plus pur et plus riche que les couleurs vierges sur la palette (Alain, Propos,1909, p. 56).Elles [les tiges de bambous] servent à d'innombrables usages chez les peuples asiatiques (Plantefol, Bot. et biol. végét., t. 2, 1931, p. 215). 2. Domaine abstr.Innombrables souvenirs, rapports. De là toutes les incertitudes de la casuistique et les contradictions innombrables de la jurisprudence (Proudhon, Propriété,1840, p. 334): 3. Cette innombrable suite d'idées qu'un objet quelconque éveille en nous ressemble, par analogie, à l'innombrable suite de formes que la nature a dû produire pour amener cet objet au jour.
Bourget, Nouv. Essais psychol.,1885, p. 295. C. − Par hypallage. Qui a des formes, des aspects divers, variés et nombreux. Car, sous couleur d'élégance innombrable, elle copiait nos robes et accumulait les modèles (Fargue, Piéton Paris,1939, p. 186): 4. Et c'est enfin
Là-bas, au bord d'un lac, ici, près d'un ravin,
Un tel acharnement
À délier la terre ancienne
De l'étreinte innombrable et compacte du temps,
Que ce qui fut la vie et la mort millénaires
Et les faunes des eaux et les faunes des bois
Et les hommes hurlant sous les premiers tonnerres
Tout apparaît énorme et minime à la fois.
Verhaeren, Mult. splendeur,1906, p. 58. ♦ Le Cœur innombrable, recueil de vers de la comtesse Anna de Noailles. Toi, vis, sois innombrable à force de désirs, De frissons et d'extase (Noailles, Cœur innombr.,1901, p. 186). REM. 1. Innombrabilité, subst. fém.,vx. État des choses innombrables. L'embarras et la multiplicité de ses désirs devant l'innombrabilité des objets (Goncourt, Journal,1874, p. 1003). 2. Innumérable, adj.,synon. vx de innombrable.Mais qu'importe à l'inexorable passé, à l'innumérable avenir des êtres, qu'un moine de plus ou de moins ait vécu dans l'imposture et soit mort dans l'ignorance? (Sand, Spiridion,1839, p. 228).Pour épargner à ces pays si lourdement éprouvés les maux innumérables (...) le roi notre sire a décidé qu'il s'en irait faire un tour sur la rivière de Loire (Péguy, J. d'Arc,1897, p. 444).V. cascade ex. 3. Prononc. et Orth. : [in(n)ɔ
̃bʀabl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1341 « qui ne peut être compté » (Ord. XII, 64 ds Gdf. Compl.); av. 1615 nombre innombrable de (Pasquier, Les Recherches de la France, 836 ds IGLF); 2. ca 1485 « incommensurable, infini » (Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 12711 : Et me faict on deshonneur inumbrable). Dér. de nombrable*; préf. in-1* (cf. innumerable [14es. ds Gdf.] empr. du lat. innumerabilis « innombrable »). Fréq. abs. littér. : 2 113. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 960, b) 2 603; xxes. : a) 3 350, b) 3 050. DÉR. Innombrablement, adv.,peu usité. De manière innombrable. a) [Détermine un verbe]
α) [Pour marquer une grande quantité] Je tousse abominablement et je salis des mouchoirs de poche innombrablement (Flaub., Corresp.,1873, p. 7).Ils [les cierges] s'étagent, innombrablement, eux aussi, à l'arrière du tabernacle (Montesquiou, Mém., t. 1, 1921, p. 10).
β) [Domaine abstr., non évaluable en chiffres; pour marquer une valeur superl.] Les instants fourmillent innombrablement dans la masse fluide de la continuation (Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 106).b) [Détermine un adj.; pour marquer une intensité] Quant à ton candidat, il faut qu'il fasse établir un dossier en règle. D'ailleurs il n'a aucune chance. Ce prix est innombrablement assiégé (Valéry, Corresp. [avec Fourment], 1928, p. 194).L'homme est innombrablement malheureux sur cette terre (Gide, Journal,1934, p. 1197).− [in(n)ɔ
̃bʀabləmɑ
̃]. Cf. in-1. − 1reattest. ca 1485 (Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 82570 : Maulx par guerre inumbrablement); de innombrable, suff. -ment2*. BBG. − Quem. DDL t. 6 (s.v. innumérable). |