| INNOCENCE, subst. fém. Essentiellement au sing. A. − Vieilli et littér., rare. [Correspond à innocent A] État de ce qui, par nature, ne fait pas de mal à autrui; fait de ne pas être nuisible. 1. [À propos d'un être] Anton. malfaisance.V. arme ex. 5. 2. [À propos d'une chose, principalement d'une substance] Fait de ne causer aucun dommage matériel, surtout organique. Synon. mod. innocuité; anton. nocivité, nocuité.Ils virent que le porc est en soi-même « un bon aliment », le tabac d'une innocence parfaite (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 77).Les collègues de Fête le jalousaient atrocement pour son excessive clientèle de riches qu'il doit (...) à la simplicité et à l'innocence de son traitement (L. Daudet, Morticoles,1894, p. 151). B. − [Correspond à innocent B] 1. [Correspond à innocent B 1] a) [À propos d'un être hum.]
α) État de celui qui n'est pas souillé par le mal, le péché, qui ne pense pas à mal. Synon. pureté, candeur.Innocence d'un enfant; robe, voile d'innocence. Pour ainsi dire enveloppée d'un vêtement d'innocence et de loyauté qui la rendait invulnérable aux ardeurs qui lui venaient de moi, comme aux soupçons qui pouvaient lui venir du monde (Fromentin, Dominique,1863, p. 199).Pour que vous aperceviez mieux quelle étrange mixture d'innocence et de dépravation s'élaborait alors dans ma tête (Bourget, Disciple,1889, p. 138): 1. Mon meilleur élève est Sylvestre Galuchet, un petit garçon pas très propre (sa maman est morte, et il est élevé par une vieille grand-mère assez ivrogne) et pourtant d'une beauté très singulière, qui donne invinciblement l'impression, presque déchirante, de l'innocence − une innocence d'avant le péché, une innocente pureté d'animal pur.
Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1100. En toute/en parfaite innocence. Sans penser à mal. Faire pour ainsi dire en toute innocence et pour un salaire médiocre, des choses qui ne leur causaient aucun plaisir et avaient dû leur inspirer au début une vive répugnance (Proust, Temps retr.,1922, p. 837).[À propos d'une apparence, d'une manière d'être générale] Innocence des mœurs. L'innocence de cet âge et la malice naturelle de la langue font un contraste très-piquant (Staël, Corinne, t. 2, 1807, p. 87).P. méton., au plur. Manifestations d'innocence. En pensant à ces choses, je redeviens presque petite fille, avec des innocences, des candeurs qui m'inondent l'âme (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 345).♦ (État d')innocence. État de pureté dans lequel se trouvait l'homme avant le péché originel. Innocence biblique, originelle, première, primitive, perdue. Tous vous peindront les temps trop courts du bonheur de l'homme, et les longues calamités qui suivirent la perte de son innocence (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. 105).Adeptes du péché originel ou de l'innocence native, partisans du libre arbitre ou du déterminisme (Weill, Judaïsme,1931, p. 105).Innocence baptismale, du baptême. État de l'homme que le baptême purifie du péché originel. L'innocence du baptême, chez eux [les enfants], lui paraissait vite perdue et aussi difficile à recouvrer (une fois perdue) qu'à aucun âge (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 2, 1842, p. 41). − En partic. Ignorance, inexpérience des choses sexuelles. Synon. Chasteté.À lui aussi, sa virginité s'était perdue au lupanar, autel maudit où vient mourir l'innocence du jeune homme, comme le lit de noces voit tomber celle de la jeune fille (Flaub., 1reéduc. sent.,1845, p. 51).
β) État de celui qui ne se rend pas compte des choses, qui manifeste une trop grande ignorance des réalités. Synon. naïveté.Abassa, quoique née avec beaucoup d'esprit, a toute la crédulité qu'une grande innocence et l'éducation d'un sérail peuvent donner (Genlis, Chev. Cygne, t. 2, 1795, p. 209).Pour que l'évêché eût laissé le bonhomme vieillir dans cette cure misérable, il fallait vraiment qu'on le jugeât d'une grande innocence d'esprit (Zola, Joie de vivre,1884, p. 991): 2. « Les hommes politiques poursuivis devant la cour de Riom, dit-il page 102, pour crime de légèreté, sont innocents », et voilà qui serait clair et net, mais il a soin d'ajouter aussitôt « comme tous les criminels », avec une sorte d'inconscience ou d'innocence − qui devient criminelle dans les conjonctures actuelles.
Gide, Journal,1941, p. 73. Avoir l'innocence de + inf.L'autre eut l'innocence de nous le conter, pour se faire plaindre : ce fut un éclat de rire unanime (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 317).♦ P. méton., au plur. Manifestations d'ignorance, de naïveté. Ce que je veux dire? (...) que j'ai passé l'âge des innocences et que lorsque j'ignore, je devine (Estaunié, Choses voient,1913, p. 158).On ne laisse pas de s'y égayer quelque peu sur les incompétences, les concordances arbitraires et autres innocences des exégètes officiels (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 444). b) [À propos d'une action hum. ou de son résultat] Caractère de ce qui n'est pas dicté par l'intention de mal faire, de ce qui n'est pas condamnable. Il répond aux accusations diverses portées contre lui et prend Dieu à témoin de la parfaite innocence de ses propres voies (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 289).Il s'était prouvé l'innocence de ses rêveries (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 427). 2. [Correspond à innocent B 2 a] État de celui qui n'a pas commis d'acte répréhensible ou délictueux; fait de ne pas être coupable. Anton. culpabilité.J'accuse le général Billot d'avoir eu entre les mains les preuves certaines de l'innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées (Doc. hist. contemp.,1898, p. 60).J'éprouvais un état de bien-être, tel que d'un homme qui s'est disculpé, dont l'innocence est reconnue (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 245): 3. La justice est la sanction des injustices établies. La vit-on jamais opposée aux conquérants et contraire aux usurpateurs? Quand s'élève un pouvoir illégitime, elle n'a qu'à le reconnaître pour le rendre légitime. Tout est dans la forme, et il n'y a entre le crime et l'innocence que l'épaisseur d'une feuille de papier timbré.
France, Crainquebille,1904, p. 35. SYNT. Innocence d'un accusé, d'un condamné; présomption d'innocence; innocence ou culpabilité; affirmer, proclamer, démontrer, prouver, plaider l'innocence de qqn; persuader (qqn) de l'innocence de qqn; protester de son innocence; croire à l'innocence de qqn; convaincu, persuadé, sûr de l'innocence de qqn. − P. méton. Personne ou ensemble des personnes non-coupable(s). L'innocence opprimée, persécutée; condamner, frapper l'innocence. Rien ne rassure l'innocence comme l'aspect d'un juge équitable (Genlis, Chev. Cygne, t. 2, 1795, p. 187).Les moyens de mentir pour tromper la justice, charger l'innocence et disculper la trahison (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 357).Car il est dur de rester debout au pied de la croix, mais plus dur encore de la regarder fixement... quel spectacle, mon ami, que celui de l'innocence à l'agonie! (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 255). Prononc. et Orth. : [inɔsɑ
̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1remoitié xiies. « état de celui qui ne commet pas le mal sciemment » (Ps. Oxford, 7, 9 ds T.-L.); 2. 1309 ignoçance « état de celui qui n'est pas coupable d'un forfait déterminé » (A.N. JJ 41, fol. 112 vods Gdf. Compl.) 3. a) ca 1318 relig. « état de l'homme purifié par le baptême » robe d'ingnocence (Compos. de la s. escript., ms. Monmerqué, t. 1, fol. 6 ro, ibid.); rare jusqu'à 1656 (Pascal, 4eProvinciale, éd. J. Chevalier, p. 695 : l'innocence du baptême); b) av. 1662 relig. « état de l'homme avant la chute d'Adam » (Id., Pensées, éd. citée, p. 1207); 4. a) 1546 « état de celui qui ignore le mal » (Rabelais, Tiers Livre, VIII éd. M.A. Screech, p. 71 : Nature crea l'homme en estat d'innocence); b) 1612 « ignorance des choses de l'amour » (M. Régnier, Satires, XIII, éd. G. Raibaud, p. 184); 1721 (Montesquieu, 28eLettre persane, éd. R. Caillois p. 273 : il me ravit mon innocence); c) 1667 « caractère innocent d'un enfant » (Racine, Andromaque, I, 4); 1690 enfant en estat d'innocence (Fur.); 5. a) 1588 « qualité de celui qui ne commet pas le mal, vertu » (Montaigne, Essais, II, XXXVI, éd. A. Thibaudet et M. Rat, p. 735); b) 1597 « qualité de ce qui ne nuit pas » (C. Estienne et J. Liebault, Agric. et Maison rust. ds FEW t. 4, p. 700 a); 6. 1611 péj. « naïveté excessive » (Cotgr.). Empr. au lat.innocentia « mœurs irréprochables, intégrité, vertu; non-culpabilité, innocence ». Fréq. abs. littér. : 2 419. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 963, b) 2 413; xxes. : a) 3 215, b) 2 824. |