| INGURGITER, verbe trans. A. − 1. Vieilli. Ingurgiter qqc. à qqn.Introduire dans la gorge pour forcer à avaler. La vie du condamné à mort qui n'a pas avoué ses crimes ou ses complices est livrée à d'affreuses tortures. Il ne s'agit ici ni de brodequins qui brisent les pieds, ni d'eau ingurgitée dans l'estomac (Balzac, Splend. et mis.,1844, 4epartie, 1847, p. 552).Médecins qui profitez de ce que le malade est ligoté et matraqué pour lui ingurgiter vos remèdes! (Mauriac, Cah. noir,1943, p. 361). − S'ingurgiter qqc.Avaler en se forçant. Quand il [le condor] trouve un gros animal, il s'ingurgite tant de viande qu'il ne peut plus remuer (Michelet, Oiseau,1856, p. 112).Et que lisais-je, en m'ingurgitant la sale boisson nommée bière, − Le Figaro! (Flaub., Corresp.,1878, p. 105).Il serait facile de s'aiguiser la faim, en s'ingurgitant un sévère apéritif (Huysmans, À rebours,1884, p. 279). 2. Ingurgiter qqc.Avaler avec avidité, souvent en grande quantité. Synon. engloutir, engouffrer.Il ingurgite un café-crème au Petit Cardinal voisin (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 58). − P. métaph. Le demi-million que coûtent les clous et les vis ingurgités par les onze décors monumentaux de la pièce de Sartre (Serrière, T.N.P.,1959, p. 70). ♦ Arg. ,,Ingurgiter son bilan. Mourir, − dans l'argot des commerçants`` (Delvau 1867, p. 257). − Faire ingurgiter qqc. à qqn.Les Camelots du Roi attaquèrent les partisans de Marc Sangnier et leur firent ingurgiter des bouteilles d'huile de ricin (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 133). B. − Au fig. [Le plus souvent, le compl. d'obj. dir. désigne une lecture, une leçon à apprendre] 1. [Correspond à A 1] Ingurgiter qqc. à qqn : 1. Hier, savez-vous où je l'ai trouvé [votre fils]? (...) Au beau milieu de l'étang Robert! (...) je ne peux pourtant pas me mettre à la nage (...) pour lui ingurgiter son Cornelius nepos!
Labiche, Deux merles bl.,1858, I, 2, p. 122. − S'ingurgiter qqc.Je viens de m'ingurgiter de suite les dix-sept chants de Silius Italicus, pour y découvrir quelques traits de mœurs (Flaub., Corresp.,1857, p. 179).Savez-vous combien, maintenant, je me suis ingurgité de volumes sur Carthage? environ 100! et je viens, en quinze jours, d'avaler les 18 tomes de la Bible de Cahen! avec les notes et en prenant des notes! (Flaub., Corresp.,1857p. 208). 2. [Correspond à A 2] Ingurgiter qqc.Que n'ai-je pas ingurgité durant ce semestre! Quand je passe mentalement en revue la liste de tous ces romanciers (...) avec lesquels j'ai fait pêle-mêle et si copieusement connaissance pendant mon séjour à Passy (Martin du G., Souv. autobiogr.,1955, p. xlvi): 2. − Idées de Gavarni sur le spectacle : « Trouvez-moi quelque chose de plus cocasse que ces braves gens, qui tout de suite après s'être empiffrés, dans le travail de la digestion, vont se mettre dans un étouffoir, où suants et ne pouvant péter, les femmes bridées dans leur corset, ils ingurgitent des drames larmoyants, malsains et sentimentaux! » Ayant contre le drame les hoquets de l'émotion et de la digestion, etc.
Goncourt, Journal,1855, p. 169. ♦ Faire ingurgiter qqc. à qqn.Enfant ému du frisson poétique, Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux, On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux; On me faisait de force ingurgiter l'algèbre (Hugo, Contempl., t. 1, 1856, p. 98). Prononc. et Orth. : [ε
̃gyʀ
ʒite], (il) ingurgite [ε
̃gyʀ
ʒit]. Att. ds Ac. 1878 et 1935. Étymol. et Hist. 1. 1469 engurgité de « rempli de » (Regnaud le Queux, Doleance de Megere ds Jardin de Plaisance, éd. E. Droz et A. Piaget, t. 1, sign. c III vo[foXV vo]); 2. a) 1488 [éd.] soy engurgiter de « avaler, manger » (N. Le Huen, Voy. a Jerus., sign. H 3 rods Gdf. Compl.); b) 1840 s'ingurgiter qqc. « id. » (Ac. Compl. 1842); c) 1840 ingurgiter qqc. « id. » (ibid.). Empr. au lat.ingurgitare « engouffrer, avaler », dér. de gurges « gouffre » et « gosier » (Ern.-Meillet). Fréq. abs. littér. : 39. |