| INGRATITUDE, subst. fém. A. − Caractère, qualité de celui qui est ingrat; fait de se montrer ingrat. 1. a) [Correspond à ingrat A 1 a] Vous-mêmes, les enfants, qui devriez me bénir, vous me considérez avec une circonspection toute voisine de l'ingratitude (Duhamel, Cécile,1938, p. 20): 1. On se sent honteux et vraiment coupable d'ingratitude lorsqu'on se prend à bâiller devant l'œuvre de celui sans qui Cézanne ni Renoir, ni Seurat, ni même Gauguin n'auraient existé, sous la forme qu'on leur connaît...
Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 149. − Ingratitude + déterm.
α) [Le déterm. exprime une qualité] Ingratitude apparente, involontaire, réelle, renversante; cruelle, noire, plate, sournoise ingratitude. Je croyais que vous n'aviez que les grâces et les adorables qualités de la femme. En auriez-vous aussi la féroce ingratitude et l'impudente vanité? (Sand, Lélia,1833, p. 49).V. civilisateur B, Renan, Drames philos., Caliban, 1878, V, 1, p. 433.
β) [Le déterm. exprime une relation] Ingratitude filiale, humaine, populaire, royale; ingratitudes des enfants, des foules, des grands, des hommes; (mettre le comble à) son ingratitude. L'ancien gouvernement, par son ingratitude, vous a dégagé de votre reconnaissance (Dumas père, Angèle,1834, II, 7, p. 141).J'expiai par ces larmes écrites la dureté et l'ingratitude de mon cœur de dix-huit ans (Lamart., Confid., Graziella, 1849, p. 285).Je viens de voir l'image (...) du vieux poète sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par sa misère et par l'ingratitude publique (Baudel., Poèmes prose,1867, p. 74). − Subst. + d'ingratitude.Signe, trait d'ingratitude; audace, impudence d'ingratitude (vieilli); monstre, prodige d'ingratitude; mer, rêve d'ingratitude (littér.). Aux amis, je devais paraître un phénomène d'ingratitude et d'orgueil (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 238).Je ne veux pas même d'un semblant d'ingratitude. J'ai reçu ce service, j'en dois être reconnaissant (Hugo, Corresp.,1856, p. 252).Jeter bas les églises de France, c'est un acte monstrueux d'ingratitude et d'imprévoyance (Barrès, Cahiers, t. 2, 1912, p. 397).Cet océan d'ingratitude qu'est le monde moderne (Péguy, Argent,1913, p. 1177). − Verbe + ingratitude : 2. MmeJeannin alla voir le député et le sénateur de son département, à qui M. Jeannin avait maintes fois rendu service. Partout, elle se heurta à l'ingratitude et à l'égoïsme.
Rolland, J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 868. SYNT. Encourir, recueillir l'ingratitude (de qqn); expier, réparer son ingratitude; pardonner son ingratitude à qqn; opposer l'ingratitude au dévouement; crier à l'ingratitude; se conduire avec ingratitude; faire preuve d'ingratitude; accuser, payer, taxer qqn d'ingratitude; témoigner de l'ingratitude à qqn; se plaindre de l'ingratitude de qqn; pécher par ingratitude. − Ingratitude à l'égard de, envers, pour qqn.En déplorant ce qui me manque, Dieu me garde d'ingratitude envers lui et j'apprécie ce qu'il me laisse (Lamart., Corresp.,1835, p. 125).Rivale d'Athènes, elle [la République florentine] a été jalouse de l'imiter en tout point, même dans son ingratitude pour ses plus illustres citoyens (Dumas père, Lorenzino, 1842, I, 13, p. 217): 3. Tous ceux qui, en réaction contre la légende du Racine doux et tendre, imaginent à propos de lui un félin féroce, ont tiré le plus possible de son insolence et de son ingratitude à l'égard de Port-Royal.
Mauriac, Vie Racine,1928, p. 31. − Tournure impers., littér. Il y a de l'ingratitude à. Il y a vraiment de l'ingratitude à inaugurer ces magnifiques appartements sans moi (...) à mon insu! (Balzac, Début vie,1842, p. 465). b) P. méton., au plur. Acte d'ingratitude. Quant aux injures, aux calomnies, aux noirceurs, aux ingratitudes, j'y suis habitué de longue main (Lamennais, Lettres Cottu,1837, p. 290).À Paris la plupart des bienfaits sont des spéculations, comme la moitié des ingratitudes sont des vengeances!... (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 100).La providence spéciale de Dieu sur son peuple se manifeste durant tout le séjour de celui-ci au désert, malgré ses ingratitudes et ses révoltes réitérées (Théol. cath.t. 4, 1, 1920, p. 963). 2. [Correspond à ingrat A 1 b] Vieilli. C'est qu'il lui eût tout pardonné, à cette femme : son oubli, son ingratitude, sa mort même, tout! (Dumas père, Catherine Howard,1834, IV, 3, p. 287).Je pensais à Mélanie, et, me reprochant mon ingratitude, je m'évertuais à l'aimer comme autrefois (France, Pt Pierre,1918, p. 238). 3. DR. CIVIL. ,,Violation du devoir de reconnaissance d'un donataire ou d'un légataire envers celui qui l'a gratifié, entraînant la révocation de la libéralité dans les cas spécifiés par la loi : attentat à la vie du donateur, sévices, délit ou injure grave à sa personne ou à sa mémoire, refus d'aliments (C. civ. art 955 et s.; 1046 et s.)`` (Cap. 1936). B. − [Toujours avec déterm.] Vieilli. Caractère, qualité de ce qui est ingrat; caractère ingrat de quelque chose. 1. [Correspond à ingrat A 3] Ingratitude du péché. Aigris par l'ingratitude de leur métier (Hamp, Marée,1908, p. 48): 4. ... il parle de se faire soldat. − Ah! par amour pour l'uniforme? − Non (...). Je cherchai à le dissuader en lui représentant tous les dangers et l'ingratitude de la carrière militaire. − Que voulez-vous, me disait-il (...). Un régiment est presque une famille, et (...) je n'ai pas de parents.
Nerval, Fayolle,1855, p. 122. 2. a) [Correspond à ingrat B] Je songe à (...) la joliesse douce et vide de la Lombardie (...), à l'ingratitude des pampas des deux Amériques (Faure, Espr. formes,1927, p. 80). b) P. méton., au plur. Fait déplaisant. Les malheurs de hasard et les ingratitudes de l'événement (Mounier, Traité caract.,1946, p. 302). Prononc. : [ε
̃gʀatityd]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1279 [ms. xives.] « caractère de l'ingrat » (Laurent, Somme, ms. Soissons 208 [nouv. cote 222], fol. 8d ds Gdf. Compl.); fin xiiies. (J. de Meun, Testament, 82 ds Rose, éd. Méon, t. 4 : pechié d'ingratitude [envers Dieu]); 1667 spéc. « fait de celui qui ne répond pas à l'amour » (Racine, Andromaque, II, 1); 2. 1660 « acte d'ingratitude » (Corneille, Toison d'or, III, 3); 3. « caractère de ce qui ne répond pas aux efforts fournis », ingratitude d'un sol (Raynal, Hist. phil., XII, 28 ds Littré). Empr. au b. lat.ingratitudo « ingratitude ». Fréq. abs. littér. : 635. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 350, b) 992; xxes. : a) 940, b) 450. |