| INCAPABLE, adj. A. − Absol. [En parlant d'une pers. désignée par son activité ou par réf. à son activité] Qui n'a pas les qualités, les aptitudes requises pour une activité, un état, une fonction. Chef, dirigeant incapable. Un monarque foible et amateur de son peuple, étoit aisément trompé par des ministres incapables ou méchants (Chateaubr., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 70).Lopez avait peu d'illusions sur ses qualités de chef (...). Lopez était incapable, mais avec courage et bonne volonté (Malraux, Espoir,1937, p. 660).V. aider ex. 5 : 1. Il est vrai de dire qu'à quelques-unes des affaires précédentes le chef des jurés s'était montré bien fâcheusement incapable et que, par suite de ses incompréhensions, de ses hésitations, de ses maladresses, la délibération et les votes avaient été d'une lenteur exaspérante.
Gide, Souv. Cour d'ass.,1913, p. 645. − P. ext. Qui est sans qualités, sans talent, sans habileté. Synon. bon à rien.Les fantoches incapables et stupides stigmatisés chaque jour par la presse (Vogüé, Morts,1899, p. 190).Les journaux allemands de l'été 40 (...) nous représentaient comme une nation « négrifiée », comme un peuple décadent, fainéant et incapable (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 189) : 2. Elle répondait invariablement : « mais je n'ai rien, absolument rien. D'ailleurs si j'avais quelque sujet de mécontentement, ce serait à toi de le deviner. Je n'aime pas les hommes qui ne comprennent rien, qui sont tellement mous et incapables qu'il faut venir à leur aide pour qu'ils saisissent la moindre des choses ».
Maupass., Contes et nouv., t. 1, Serre, 1883, p. 675. − Emploi subst. Les incapables et les méchants. Ta République, (...) un ramassis d'incapables et d'impuissants, une ordure (Arnoux, Double chance,1958, p. 165).Dans l'économie de concurrence, la faillite élimine l'incompétent ou l'incapable (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 622) : 3. Les traîtres seront connus, flétris, les coupables de tout rang punis selon les lois, les incapables seront chassés, et la France, plus forte, mieux servie, contente d'elle-même, retrouvera parmi les peuples le grand renom des temps passés.
Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 535. B. − Incapable de (qqc.) 1. [En parlant d'animés; p. méton. d'une faculté] Qui n'est pas capable (par nature ou par accident, de façon temporaire, durable ou définitive). a) [Le compl. désigne un acte ou un procès actif] Qui n'est pas apte, qui n'est pas en état ou qui n'a pas la possibilité de (faire quelque chose). ♦ Incapable de + inf.Incapable d'agir, de comprendre, de se concentrer, de se contenir, de faire, de parler, de penser, de réagir. L'homme s'élève à un troisième degré de sociabilité auquel les animaux sont incapables de parvenir (Proudhon, Propriété,1840, p. 303).Ce talent nerveux, (...) inégal, plein de soubresauts, et incapable d'atteindre au repos (Goncourt, Ch. Demailly, 1860, p. 74) : 4. Incapable de lire, d'écrire, de me promener, je passe presque tout le jour étendu sur mon lit, accaparé par la douleur. À quel point la souffrance replie l'être sur lui-même...
Gide, Journal,1935, p. 1225. ♦ Incapable de + subst.Incapable d'action, de critique, de (tout) mouvement, de travail, du moindre travail. C'était un homme d'un caractère résigné, (...) incapable d'un effort prolongé, nonchalant dans ses affaires (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Denis, 1883, p. 844).Schubert reste ce demi-lyrique, incapable de systématisation, qu'il avait toujours été (Béguin, Âme romant.,1939, p. 119) : 5. Il y avait toujours des morceaux superbes, il était content de celui-ci, de celui-là, de cet autre. Alors, pourquoi de brusques trous? Pourquoi des parties indignes (...)? Et il se sentait incapable de correction, un mur se dressait à un moment, un obstacle infranchissable, au-delà duquel il lui était défendu d'aller.
Zola,
Œuvre,1886, p. 226. − En partic. [Le compl. verbal ou nom. désigne une action mor. condamnable] Qui est dans l'impossibilité morale de (faire quelque chose). Elle était probe et incapable de tromper (Lamart., Confid.,1849, p. 273).Cette classe d'hommes est en effet par sa nature incapable de cabale et de menées de club (Nizan, Chiens garde,1932, p. 78). b) [Le compl. subst. désigne un état ou une attitude psychol.] Qui n'est pas apte, qui n'est pas en état (d'éprouver ou de faire preuve de quelque chose). Incapable d'attention, d'application, de crainte. Le ménage (...) souffrait des mille froissements de deux tempéraments nerveux, incapables d'équilibre dans la joie et dans la douleur (Zola, Joie de vivre,1884, p. 1052).Ces vies sont habituellement l'apanage d'êtres incapables d'énergie (Proust, Prisonn.,1922, p. 44).V. banal ex. 4 : 6. Quand on est incapable de grands crimes, on est incapable de sainteté. Cette vérité de M. de La Palisse, dépasse les moyens d'un professeur de philosophie religieuse venu de fort loin pour nous instruire.
Bloy, Journal,1903, p. 187. c) Vieilli. [Le compl. verbal désigne un état ou un procès passif] Qui n'est pas susceptible de (subir quelque chose). En prononçant ces paroles, il s'était rendu incapable d'être utile à la chose publique (Staël, Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 203).Les cris émeuvent à peine tant d'autres malheureux incapables d'être distraits de leurs propres souffrances (Latouche, L'Héritier, Lettres amans,1821, p. 97).Il me faut une âme absolument incapable d'être étouffée (Claudel, Soulier,1944, 1repart., 2ejournée, 5, p. 1013). d) Rare. [En parlant d'une pers.] Qui ne peut recevoir (quelque chose). Incapable d'aliments, je recevais d'elle [l'Italie] encore la seule nourriture que je supportasse, l'air vivifiant et la lumière (Michelet, Oiseau,1856, p. xlvi).Je m'applaudis quelquefois d'être si pauvre et si incapable des trésors de la connaissance accumulée (Valéry, Variété II,1929, p. 226). 2. [En parlant d'une chose, d'un procès] a) [Le compl. désigne un procès actif] Qui n'a pas les propriétés requises pour (faire quelque chose), qui ne parvient pas à (faire quelque chose). Synon. impropre. ♦ Incapable de + inf.Le plaisir est incapable de créer de toutes pièces un penchant (Durkheim, Division trav.,1893, p. 48).Dans la plupart des cas, les graines des espèces fruitières sont incapables de germer dès leur extraction du fruit mûr (Boulay, Arboric. et prod. fruit.,1961, p. 54) : 7. Nous avons vu que les sondages étaient incapables d'épuiser l'huile contenue dans un gisement. Le sable retient par absorption 40 % de pétrole qu'il est impossible d'extraire pratiquement.
Chartrou, Pétroles natur. et artif.,1931, p. 62. ♦ Incapable de + subst.La maladie naît, (...) dans les états chroniques, d'une baisse fonctionnelle de l'organisme devenu incapable d'un fonctionnement optimum (Mounier, Traité caract.,1946, p. 214). b) Rare. [Le compl. désigne un état ou un procès passif] ♦ Incapable de + inf.Il est évident que l'homme qui pourrait épargner une somme sur ses revenus, la dépensera, si cette somme devient incapable d'être employée avec profit (Say, Écon. pol.,1832, p. 401). ♦ Incapable de + subst.Purement isolé, [un fait social] reste inévitablement à l'état stérile de simple anecdote, susceptible tout au plus de satisfaire à une vaine curiosité, mais incapable d'aucun usage rationnel (Comte, Philos. posit., t. 4, 1839-42, p. 340). C. − DR. [Avec ou sans compl. prép.] Qui est privé par la loi de la jouissance ou de l'exercice de certains droits. Si une personne capable de contracter accepte le dépôt fait par une personne incapable, elle est tenue de toutes les obligations d'un véritable dépositaire (Code civil,1804, art. 1925, p. 347).Sont inéligibles d'une manière absolue, c'est-à-dire sont incapables de faire partie d'une assemblée départementale ou d'arrondissement : 1. Les individus privés du droit électoral... (Bacquias, Conseil gén. et conseil arrondiss.,1934, p. 89). − Emploi subst. Toute disposition au profit d'un incapable sera nulle, soit qu'on la déguise sous la forme d'un contrat onéreux, soit qu'on la fasse sous le nom de personnes interposées (Code civil,1804, art. 911, p. 165).Les incapables de contracter sont, les mineurs, les interdits, les femmes mariées, dans les cas exprimés par la loi (Code civil,art. 11241804, p. 203). REM. Incapablement, adv.,hapax. La conscience, qu'a le peuple, d'avoir été incomplètement et incapablement défendu par le gouvernement de la Défense Nationale (Goncourt, Journal,1871, p. 782). Prononc. et Orth. : [ε
̃kapabl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1464 adj. dr. « inapte à jouir d'un droit ou à l'exercer » (Prétensions des Anglois à la Couronne de France, éd. Major Anstruther, Londres, 1847, p. 116 ds Bartzsch, p. 140); 1803 subst. (Code civil, art. 201 [loi du 13 floréal an xi], Paris, p. 43); 2. a) 1517 « qui n'est pas capable » (J. Bouchet, Chapelet des princes, fo35 rods Gdf. Compl.); 1718 absol. (Ac. : un homme incapable); 1821 subst. (Chateaubr., Corresp., t. 2, p. 211 : les incapables de la diplomatie); b) 1581 spéc. « qui est dans l'impossibilité morale (de faire quelque chose de mal) » (Montaigne, Trad. de R. Sebon, chap. 234 ds Hug. : l'homme estoit [...] incapable de tout mal); 3. 1541 en parlant de qqc. « qui n'est pas susceptible de » (Michel de Tours, Trad. de Suétone, VI, 198 vo, ibid. : es vergiers incapables de si grand nombre [ici : « qui ne peut contenir »]). Dér. de capable*; préf. in-1*. Cf. lat. chrét. incapabilis « insaisissable, incompréhensible, qu'on ne peut saisir, contenir; qui n'est pas capable de ». Fréq. abs. littér. : 3 182. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 134, b) 2 421; xxes. : a) 5 661, b) 6 156. Bbg. Jourjon (A.). Rem. lexicogr. R. Philol. fr. 1917-18, t. 30, pp. 74-75. |