| IMPUISSANT, -ANTE, adj. A. − 1. a) [En parlant d'un animé] Qui n'a pas le pouvoir, la force physique ou morale d'agir; qui ne peut modifier le cours des événements. Synon. désarmé, faible, incapable.La cause de ton ennui est toujours la même : le vide, la honte, le mécontentement. Tu traînes ce boulet de l'irrésolution, qui te rend inerte et impuissant. (...) tu sens fuir ta vie sans la consolation d'en avoir tiré quelque chose de noble et de beau (Amiel, Journal,1866, p. 123).Elle (...) supplie qu'on la soulage. Et lui, debout devant elle, impuissant, n'osant même plus prodiguer des paroles inutiles, mord son mouchoir et se tord les mains. Il n'a pas la force de rester là, de la voir mourir (Martin du G., Devenir,1909, p. 195).Elle se baissa vers la petite chose impuissante et blessée [un petit chat] qui l'implorait (Loti, Chât. Belle-au-bois-dorm.,1910, p. 63) : 1. Nous sommes aussi libres que vous voudrez, mais impuissants... pour le reste, la volonté de puissance. L'action, la vie ne sont que de vaines idéologies. Il n'y a nulle part de volonté de puissance. Tout est trop faible : toutes choses tendent à mourir.
Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 341. ♦ Rare. Impuissant à + subst.Il se sentait impuissant à l'expansion littéraire complète, et il en souffrait mortellement (Sand, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 286). ♦ Impuissant à + inf.Louise avait une pleurésie (...). Étendue dans son lit, elle souffrait silencieusement. La maladie, qu'elle était impuissante à combattre, s'emparait d'elle (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 63). − Emploi subst. C'est aux impuissants Qu'appartient cette chose auguste, le bon sens (Hugo, Toute la lyre, t. 1, 1885, p. 304).Cette formule [« faire quelque chose »] est souvent celle des impuissants et des brouillons (Colette, Jumelle,1938, p. 60). SYNT. Dieu, ennemi impuissant; s'avouer, demeurer, se sentir impuissant; rendre qqn impuissant; assister impuissant à qqc.; rester impuissant devant/contre qqc.; être le témoin impuissant de qqc. b) [P. méton.]
α) Mouvement, geste impuissant. Mouvement, geste traduisant l'impossibilité d'avoir quelque action efficace; mouvement, geste qui n'atteint pas son but. Elle me regarde avec des yeux vagues (...). Puis, tout à coup, elle s'écrie : « Ah! André, c'est toi! » Et, dans un geste impuissant, je vois sa main qui cherche ma main. Je prends alors sa main brûlante et je la presse bien fort (Gide, Journal,1890, p. 14).« Antoine! ça ne peut pas continuer, voyons! » Son ton vibrait de reproche. Antoine tourna la tête, avec un mouvement d'épaules impuissant (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1280).
β) Inefficace, qui est sans effet; qui n'atteint pas son but. − [En parlant d'un affect] Orgueil impuissant; bonté, colère, fureur, haine, rage impuissante. Il y avait dans son œil une espèce de folie, une folie mystique et violente; et autre chose encore, une fièvre, un désir exaspéré, impatient et impuissant de l'irréalisé et de l'irréalisable! (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Miss Harriet, 1883, p. 873).L'amitié est distraite, ou du moins impuissante. Ce qu'elle veut, elle ne le peut pas. Peut-être, après tout ne le veut-elle pas assez? (Camus, Chute,1956, p. 1490). ♦ Impuissant à + inf.Les yeux de l'amour et du plaisir sont impuissants à reconnaître la beauté dans un squelette, l'harmonie dans des viscères mis à nu, la vie dans un sang noir et figé (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 32). − [En parlant d'une activité, d'une faculté intellectuelle, d'un phénomène psychique] Effort, vœu impuissant; raison impuissante. Comme c'est mal arrangé, le monde! À quoi bon la laideur, la souffrance, la tristesse? Pourquoi tous nos rêves impuissants? Pourquoi tout? (Flaub., Corresp.,1864, p. 159).Mon père, qui était entrepreneur de travaux publics, a eu maintes fois l'occasion de voler. Bien qu'il en ait eu la tentation (...), il n'a jamais pu voler. En morale, la volonté est impuissante (Renard, Journal,1889, p. 27) : 2. Il souligna qu'il n'avait jamais été de ceux que pérorer devant les gens suffit à assouvir; et qu'il s'était trop moqué du bavardage impuissant des socialistes, et de leur abdication devant les faits (...) pour avoir le droit de ne pas saisir (...) l'occasion d'agir réellement...
Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 151. − [En parlant d'un procédé, d'une méthode] . Science, médecine impuissante (devant qqc.). On a essayé [dans les mines] de laver la fumée [d'une locomotive] dans une bâche à eau (...); mais ce procédé reste impuissant vis à vis de l'oxyde de carbone (Haton de La Goupillière, Exploitation mines,1905, p. 755).On n'a (...) aucune raison de croire a priori que le monde microbien s'arrête juste au point où les instruments d'optique deviennent impuissants (J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 22). ♦ Rare. Impuissant contre + subst.Le klaxon hurlait en vain, impuissant contre la force de l'exode, contre le bouillonnement millénaire que soulèvent devant elles les invasions (Malraux, Cond. hum.,1933, p. 241). 2. En partic. [En parlant d'un homme d'État, d'un corps d'État] Qui n'a pas de pouvoir de fait; qui n'a pas le pouvoir, les moyens de faire respecter ses décisions. Les lois et gens de loi sont impuissants et absurdes (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1927, p. 504).Plus la Convention se montrait impuissante, plus les pétitions se faisaient nombreuses et pressantes : un nouvel effort était nécessaire pour mettre le gouvernement « à la hauteur » (Lefebvre, Révol. fr.,1963, p. 360) : 3. ... « Je veux, disait-il, rester tout entier ce que je suis. Amoindri aujourd'hui, je serais impuissant demain ». Il préférait ne pas régner (...) et garder intact le principe monarchique plutôt que de le compromettre dans une restauration éphémère.
Bainville, Hist. Fr., t. 2, 1924, p. 230. B. − 1. [En parlant d'un homme] Qui est atteint d'impuissance sexuelle (v. impuissance C). C'est une chose singulière comme je suis écarté de la femme (...). Je suis devenu impuissant par ces effluves magnifiques que j'ai trop sentis bouillonner pour les voir jamais se déverser (Flaub., Corresp.,1845, p. 179).Il se fût accommodé sans embarras d'une anomalie qui eût été flatteuse. Mais il sentait bien que celle-ci était humiliante (...). Il hésita longtemps sur la catégorie d'anormaux où il se rangerait. Était-il impuissant, ou simplement frigide? (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 82) : 4. ... tous les républicains soupçonnaient leurs adversaires non pas d'être impuissants, puisqu'ils se reproduisaient, mais de fonctionner à un régime diminué (...). De leur côté, les réactionnaires les considéraient comme des dévorants, des frénétiques de la bagatelle (...) et ils éprouvaient un sentiment de jalousie, comparable à celui d'une femme honnête pour une fille qui prodigue son ventre.
Aymé, Jument,1933, p. 241. Rem. Le fait d'être impuissant est considéré, dans les cultures qui valorisent la virilité de l'homme, comme une tare, une anomalie honteuse, inavouable et laisse planer le doute d'une conduite sexuelle déviante, ce que met en évidence l'ex. suiv. de Flaubert : Un homme aussi sérieux (...) doit être calomnié. S'il est chaste, on le répute pédéraste (...). J'ai également eu dans un temps cette réputation. J'ai eu aussi celle d'impuissant (Corresp., 1852, p. 11), ce que confirme son utilisation comme insulte : Elle me traita même de flibustier, et d'impuissant (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Cas de MmeLuneau, 1883, p. 107). − Emploi subst. Sa foudroyante beauté devait réveiller les impuissants, sa voix charmer les sourds, ses regards ranimer de vieux ossements (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 69).Moûlu dit (...) : « De temps en temps c'est pas un crime de parler d'amour, ça change les idées. » « Ce sont les impuissants qui parlent d'amour, dit Brunet. L'amour, on le fait quand on peut » (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 250). 2. Au fig. [En parlant d'un écrivain, d'un artiste] Qui est incapable de produire, de réaliser une œuvre. Artiste, auteur impuissant. On était venu (...) pour être un grand écrivain, on se trouve un impuissant folliculaire (Balzac, Splend. et mis.,1844, p. 14) : 5. C'est le supplice d'une feuille de papier blanc qu'on aurait dans la tête et où la pensée (...) griffonne avec effort (...). Les hontes de soi-même d'être là impuissant, devant cette chose qu'on veut violer. On tourne, on retourne sa cervelle : elle sonne creux. Des rougeurs d'eunuque vous passent dans l'orgueil!
Goncourt, Journal,1862, p. 1100. − Emploi subst. Aujourd'hui, un homme qui ne fait pas un livre est un impuissant (Balzac,
Œuvres div., t. 2, 1830, p. 40).L'art a ses impuissants et ses imposteurs (Malraux, Voix sil.,1951, p. 318). REM. Impuissamment, adv.De manière impuissante. Il faut laisser la monographie de telles ivresses aux jeunes bonshommes en condition littéraire, dont c'est l'office de divulguer impuissamment l'âme humaine à des maquereaux inattentifs (Bloy, Femme pauvre,1897, p. 216). Prononc. et Orth. : [ε
̃pɥisɑ
̃], fém. [-ɑ
̃:t]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Mil. xves. « qui n'a pas le pouvoir de faire quelque chose » (Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 24863); 2. 1558 méd. (Bonaventure des Périers, Récréations et Joyeux devis, XXXII ds Conteurs français du xvies., éd. P. Jourda, p. 447); 1774 subst. (Voltaire, Dialogue de Pégase et du vieillard ds Littré); 3. 1644 « qui est sans effet, sans efficacité » (Corneille, Rodogune, III, 4, 956); 4. 1823 « qui manque de puissance créatrice » (Stendhal, Racine et Shakspeare, t. 1, p. 32). Dér. de puissant*; préf. im- (v. in-1), a évincé les anc. adj. nonpoant et nonpuissant « infirme » (xiie-xiiies. ds T.-L.). Fréq. abs. littér. : 1 349. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 634, b) 1 405; xxes. : a) 2 070, b) 2 344. |