| IMPITOYABLE, adj. A. − Inaccessible à la pitié. Bourreau impitoyable. Elle fut vraiment dure et impitoyable; aucun regret, aucun attendrissement sur celui qu'elle avait aimé (Zola, M. Férat,1868, p. 73).J'ai été rancunier, impitoyable, et mes duretés pour elle, elle te les a rendues (Renard, Poil Carotte,1900, 9, p. 167).V. badine ex. 1. − [Avec un compl. prép. indiquant la pers. ou la chose qui n'inspire pas de pitié] Se montrer impitoyable à (littér.), envers, pour qqn. Les gens du monde sont impitoyables pour ceux qui travaillent (Flaub., Corresp.,1877, p. 25).Humanité dure à soi-même, impitoyable aux autres et aux yeux de qui tout prêtre faisait figure de fainéant et de roublard (Mauriac, Pharis.,1941, p. 239).V. âne ex. 5, absenter (s') ex. 11 : 1. ... comme il avait besoin de se venger sur quelqu'un, il en voulait à Jacqueline. (...) il continuait de la juger durement, comme il sied à une âme jeune, violente et entière, qui n'a pas encore assez appris de la vie, pour n'être pas impitoyable envers ses faiblesses.
Rolland, J.-Chr., Amies, 1910, p. 1235. − P. exagér. Un impitoyable bavard : ,,un bavard intarissable`` (Rob.). Parleur impitoyable, ne sauriez-vous nous dire en peu de mots ce que vous avez à nous proposer? (Mérimée, Jacquerie,1828, p. 275). − P. ext. Caractérisé par un manque total de pitié. Dureté, férocité, sévérité impitoyable; regard, rire impitoyable. L'impitoyable loi du vae victis (Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 13) : 2. Après la reddition de la ville, le Faubourg des Postes subit une répression impitoyable. Les Allemands voulaient faire payer à la population du quartier le meurtre de leurs soldats.
Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 43. B. − Sans indulgence, très exigeant. Critique impitoyable. M. Peerlkamp, le spirituel éditeur de Leyde et l'épurateur rigide, l'émondeur impitoyable des textes les plus classiques (Sainte-Beuve, Virgile,1857, p. 191).L'enfant les boit [les contes] comme il buvait son lait. Il exige la suite et la répétition des merveilles; il est un public impitoyable et excellent (Valéry, Variété IV,1938, p. 149). − [Avec un compl. prép. indiquant la pers. ou la chose qui n'inspire pas d'indulgence] Se montrer impitoyable à (littér.), pour qqn. Voltaire, homme de goût, était impitoyable pour le siècle de Voltaire (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 13, 1851-62, p. 36).[Degas] un de ces connaisseurs délicieux, obstinément, voluptueusement étroits, impitoyables aux nouveautés qui ne sont que neuves (Valéry, Degas,1936, p. 40) : 3. Don Severo est (...) d'une rigueur terrible, impitoyable aux matadors qui ne travaillent pas presque immobiles et dans les cornes du fauve selon l'exemple du grand Belmonte.
Mauriac, Journal 3,1940, p. 220. − P. ext. Caractérisé par un manque total d'indulgence, par une grande exigence. Analyse, logique impitoyable. L'œil froidement impitoyable du caricaturiste (Goncourt, Journal,1894, p. 520).Leur impitoyable censure [des Eudistes] (...) a veillé, pendant plus de deux siècles, sur toutes les avenues de notre histoire religieuse (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 584) : 4. M. Guillemin a de terribles yeux. Il a fait des documents, des textes de Jean-Jacques particulièrement, la plus pénétrante et la plus impitoyable lecture.
Guéhenno, Jean-Jacques,1950, p. 180. C. − Littér. Difficile à supporter en raison de sa violence, de sa rigueur inflexible. Destin, réalité impitoyable; couleur, lumière, soleil impitoyable; hiver, pluie, vent impitoyable. Des colorations dures, impitoyables, cruelles à l'œil (Goncourt, Man. Salomon,1867, p. 138).Les lois impitoyables de la coutume et du destin (Faure, Espr. formes,1927, p. 23).V. boudiner ex., décliver ex. s.v. déclive : 5. Des Esseintes frissonnait délicieusement à se sentir confondu dans ce terrible monde de négociants, (...) dans cet impitoyable engrenage broyant des millions de déshérités...
Huysmans, À rebours,1884, p. 171. REM. Impitoyabilité, subst. fém.Manque total de pitié, d'indulgence. Paris, à six heures, me semble une Babylone américaine, où dans la hâte féroce des piétons à leurs plaisirs, dans l'impitoyabilité des cochers assurés contre l'écrasement des vieillards, il n'y a plus de cette aimable et douce et polie humanité de l'ancien Paris (Goncourt, Journal,1886, p. 603).L'impitoyabilité de mon jugement lorsque j'eus entre les mains les épreuves de Philine (Du Bos, Journal,1928, p. 52). Prononc. et Orth. : [ε
̃pitwajabl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1553 « qui est sans pitié » (Du Bellay, Poésies diverses ds
Œuvres, éd. H. Chamard, t. 5, p. 320, 42). Dér. de pitoyable*; préf. im- (in-1*) cf. 1530 impitiable (J. Bouchet, Noble Dame, fo83 rods Gdf. Compl.). A remplacé l'anc. adj. impiteux (1482 [date d'éd.] P. Ferget, Mirouer de la vie hum., fo154 rods Gdf. − 1892, Guérin); v. piteux. Fréq. abs. littér. : 858. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 066, b) 1 206; xxes. : a) 1 116, b) 1 420. DÉR. Impitoyablement, adv.D'une manière impitoyable. a) [Correspond à impitoyable A] Faire comme les pères spartiates, jeter impitoyablement au néant ceux qui ont les pieds boiteux ou la poitrine étroite (Flaub., Corresp.,1854, p. 42).Dans leur fière république [des oiseaux], (...) quiconque a été en cage et n'est pas mort de douleur, est impitoyablement condamné et exécuté (Michelet, Oiseau,1856, p. 272).b) [Correspond à impitoyable B] Il [Dante] avait cherché (...) les principes générateurs d'une philosophie de la société : il en devait poursuivre impitoyablement les déductions jusqu'aux plus démocratiques et plus impraticables maximes (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 267).Il faudrait impitoyablement trancher dans le train de maison, mener une vie strictement modeste, économe, frugale (Châteaubriant, Lourdines,1911, p. 129).c) [Correspond à impitoyable C] Le fleuve sombre roule sous le vent qui l'agite, et reflète le ciel impitoyablement bleu (Du Camp, Nil,1854, p. 303).La lumière, qui fouille impitoyablement et creuse le visage des vieillards, aime et caresse la jeune chair (Green, Journal,1944, p. 148).− [ε
̃pitwajabləmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. − 1reattest. 1558 « de façon impitoyable » (S. Fontaine, Histoire catholique, 65 b ds Fr. mod. t. 6, p. 63); de impitoyable, suff. -ment2*; a remplacé l'anc. adv. impiteusement (ca 1510-1519 Fossier, Chron. Marg., VI, 20 ds Gdf. − 1892, Guérin). − Fréq. abs. littér. : 216. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 358, b) 357; xxes. : a) 275, b) 255. |