| IMMORTEL, -ELLE, adj. A. − Qui n'est pas sujet à la mort. 1. [En parlant d'une divinité ou d'une pers. envisagée princ. dans sa nature physique] Dieux, êtres immortels. C'est une chose singulière que je ne puis craindre la mort de ceux qui me sont très chers ni la concevoir quand elle arrive; il me semble que ceux que j'aime sont immortels (Michelet, Mémor.,1822, p. 216).Union avec Jésus, (...) indissolubles fiançailles avec un époux immortel (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 162).Dionysos, (...) né de l'immortel Zeus et de la mortelle Sémélé (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 263) : 1. La première fois que j'ai songé à la mort comme à un événement auquel je n'échapperais pas, j'avais environ vingt ans (...). Jusque-là, comme tout être jeune à qui sourit la vie, je m'étais cru immortel, la mort étant pour les autres, pour tout le monde sauf moi.
Green, Journal,1941, p. 160. − Emploi subst. Imaginez un peu l'état d'esprit d'un homme qui ne doit point mourir et qui le sait, un immortel dans un monde où tout passe. La certitude de survivre à tous ceux et à toutes celles qu'il aime doit lui inspirer le dégoût et l'épouvante de l'amour (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 119).Elle est divine (...). Elle semble une immortelle, que la faux du temps n'effleurera jamais; elle paraît aussi éternelle que la magnificence du firmament (...). Elle triomphe de la mort (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 446). ♦ En partic., MYTH. ANTIQUE. Synon. de dieu, déesse.Les Immortels même, dieux et déesses, sont engendrés dans Jupiter (...); Jupiter immortel est mâle et femelle (Chateaubr., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 304). 2. [En parlant d'un principe spirituel] Les Anciens chercherent d'abord à établir en fait, qu'il existait dans l'homme, outre le corps mortel, un principe pensant qui était immortel; que ce principe, appelé ame, survivait au corps, quoique rien de tout cela n'ait jamais été prouvé (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 488).Des docteurs chinois (...) n'ont pas prétendu que l'ame fût immortelle par sa nature; mais ils ont imaginé qu'elle pouvoit (...) devenir même impérissable à force de vertus (Senancour, Rêveries,1799, p. 177) : 2. On assure qu'elle [l'âme] existe parce que la matière ne peut penser... Qu'en sait-on? Comment l'a-t-on vérifié?... On a l'aplomb d'ajouter : l'âme est immortelle!... L'âme humaine, bien entendu... Mais, quand je demande qu'on le prouve, on me fournit des raisons qui démontrent tout aussi bien l'immortalité de l'âme du chien. Pourquoi l'une et pas l'autre? Parce que dans tout cela il n'y a que rêveries de poètes suggérées par l'horreur du néant.
Curel, Nouv. Idole,1899, II, 3, p. 200. ♦ Vie immortelle. Synon. vie éternelle.Même si Dieu existait, (...) Ivan n'accepterait pas que cette vérité fût payée par le mal (...). Celui que la souffrance des enfants empêche d'accéder à la foi ne recevra donc pas la vie immortelle (Camus, Homme rév.,1951, p. 77). − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Ce qui ne meurt pas. L'immortel et l'infini ne nous sont sensibles que par l'âme (Staël, Allemagne, t. 4, 1810, p. 105). B. − P. ext. [En parlant d'une espèce animale ou végétale, d'un organisme ou d'éléments organiques] Qui se perpétue ou semble se perpétuer indéfiniment, à travers une succession ininterrompue d'organismes ou d'éléments semblables. Synon. perpétuel.Chaque homme est immortel dans l'humanité, et n'est immortel que par l'humanité et en elle (P. Leroux, Humanité, t. 2, 1840, p. 501).Blé immortel, contemporain de toutes les générations (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 146).À la fin de toutes vos batailles, ce qui restera debout, c'est une race paysanne : invincible, immortelle, imputrescible, parce que naturelle (Giono, Poids du ciel,1938, p. 37) : 3. Un infusoire se divise périodiquement en deux individus égaux (...). Ce mode de reproduction par bipartitions successives peut, en théorie, se prolonger sans terme, en sorte qu'on est fondé à tenir l'infusoire pour potentiellement immortel. Il ne l'est que potentiellement, car, en fait, rien n'est plus fragile, plus sujet à mourir, que ces êtres microscopiques...
J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 109. C. − P. hyperb. 1. Qui dure ou semble pouvoir durer tel quel pendant très longtemps. a) [En parlant d'un inanimé concr.] Synon. incorruptible, indestructible, vivace.Mer immortelle. Le sourire immortel et fleuri du printemps (Banville, Cariat.,1842, p. 170).Un magnifique houx (...), arbre vigoureux et immortel, (...) dont l'écorce toujours verte et les feuilles vernissées comme le cuir semblent survivre aux siècles (Lamart., Tailleur pierre,1851, p. 409) : 4. Nous nous trouvons quelquefois misérables de voir autour de nous une nature immortelle, tandis que nous dépérissons chaque jour; si, au contraire, nous étions immortels, et que la nature vieillît et se dégradât sans se réparer, nous aurions raison de nous plaindre. Comment une vie éternelle pourrait-elle se soutenir par des jouissances caduques?
Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 177. b) [En parlant d'un inanimé abstr.] Synon. constant, durable, indéfectible, invariable, permanent, persistant.Amour immortel; jeunesse immortelle. Cet état de terrible émotion où on se sent comme suspendu entre l'immortelle félicité et l'éternel désespoir (Cottin, Mathilde, t. 2, 1805, p. 331).Les vraies, solides jusqu'à la mort et immortelles affections (Goncourt, Journal,1857, p. 332) : 5. Quelle ne faut-il pas que soit ma grâce et la force de ma grâce pour que cette petite espérance, vacillante au souffle du péché, tremblante à tous les vents, anxieuse au moindre souffle, soit aussi invariable, se tienne aussi fidèle, aussi droite, aussi pure; et invincible, et immortelle, et impossible à éteindre; [sic] que cette petite flamme du sanctuaire.
Péguy, Porche Myst.,1911, p. 173. c) HIST. GR. Les Immortels. Corps d'élite servant à la garde du roi de Perse et composé d'un effectif immuable. Mais la garde (...) Marchait seule; et d'abord venaient les Immortels, Semblables aux lions secouant leurs crinières (Hugo, Légende, t. 3, 1877, p. 177). 2. Fam. et iron. Qui dure outre mesure, qui lasse par sa persistance excessive. Synon. sempiternel.Vêtu de cet immortel paletot noisette dont la solidité fait croire qu'il a été construit par les Romains (Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 264).Toujours le vieux thème, la scie immortelle de l'incompatibilité de l'amour et de la richesse (Arnoux, Rhône,1944, p. 114). D. − Au fig. Dont le souvenir survivra très longtemps dans la mémoire des hommes. 1. [En parlant d'une pers.] Synon. illustre, légendaire.Homme immortel; devenir immortel. Sophocle est immortel par ses tragédies. Les ignorants mêmes les connaissent (Constant, Journaux,1804, p. 73).Le manteau de Marengo, manteau glorieux sur lequel ont été plus tard exposés religieusement les restes mortels de l'immortel vainqueur (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 300) : 6. Dans quelle autre ville trouverez-vous sur un mur une inscription glorifiant la naissance d'un amour, comme celle d'un grand homme : Ici, Pétrarque conçut pour Laure un sublime amour qui les fit immortels... [it. ds le texte] et ne croyez pas qu'Avignon succombe sous le poids de l'histoire (...). Que de couples immortels dans les rues de cette ville de l'amour.
Triolet, Prem. accroc,1945, p. 49. − Emploi subst. La mode est aujourd'hui de jouer au grand homme, De se donner, vivant, les airs d'un immortel Et d'avoir comme un saint sa niche et son autel (Barbier, Satires,1865, p. 33). ♦ En partic., au masc. [Parfois avec une majuscule] Membre de l'Académie française. Il ne faut pas (...), si vous avez les passions ardentes, épouser (...) un membre de l'académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et par-dessus tout, un immortel de l'académie des Quarante Fauteuils et du dictionnaire inextinguible (Borel, Champavert,1833, p. 72).Les (...) académiciens furent institués (...) pour fixer le bel usage (...). C'est l'unique soin des Immortels (A. France, Opinions J. Coignard,1893, p. 189). Rem. S'emploie actuellement au fém. Lettre à MmeYourcenar, nouvelle Immortelle (...). Ainsi donc, dorénavant Immortelle au sens mineur, vous allez siéger près de nos autres Immortels déjà consacrés. Dont les écrits, eux, pour certains, ne le sont pas, c'est le moins que l'on puisse affirmer (Le Matin de Paris, 7 mars 1980, p. 32). 2. [En parlant d'un inanimé] Synon. célèbre, fameux, mémorable.Génie, gloire immortel(le); œuvre, ouvrage, page, pensée immortel(le); les immortels principes de la Révolution. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots (Musset, Nuit mai,1835, p. 66).Ces livres qui sont immortels : leur durée est celle de l'humanité même, qu'ils ne cessent pas d'intéresser, (...) parce qu'ils se rattachent à tout ce qu'il y a de pensées et d'affections immuables en elle (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 87) : 7. La science meurt; il n'y a que l'art qui soit immortel. Un grand savant fait oublier un autre grand savant; quant aux grands poëtes du passé, les grands poëtes du présent et de l'avenir ne peuvent que les égaler. Aristote est dépassé, Homère ne l'est pas.
Hugo, Rhin,1842, p. 159. Prononc. et Orth. : [im(m)ɔ
ʀtεl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Ca 1314 « qui n'entraîne pas la mort » plaies immortelz (H. de Mondeville, Chir., 1210 ds T.-L.). B. 1. a) ca 1330 « (d'une créature) qui n'est pas sujet à la mort » (G. de Digulleville, Vie hum., 5955, ibid.); 1578 subst. masc. myth. antique « dieu » (Ronsard, Ode à Phoebus, éd. P. Laumonnier, t. 17, 1, p. 57); b) av. 1525 « qui a une durée très longue » biens et tresors immortels (Crétin, Complainte sur la mort de Bissipat, p. 59 ds Hug.); 1665 subst. fém. bot. [cette fleur se desséchant sans jamais se faner] (Vallot, Hortus regius ds Roll. Flore t. 7, p. 81); 1833 subst. masc. « membre de l'Académie française » [cf. Ac. 1935 ... en raison de l'inscription : A l'Immortalité que porte le sceau donné à l'Ac. par son fondateur le Cardinal de Richelieu] (Borel, loc. cit.); 2. 1352-56 « qui demeure ds la mémoire des hommes » (Bersuire, fol. 12 ds Littré). A dér. de mortel*; préf. in-1*. B empr. au lat. class. immortalis « immortel (au plur. « les dieux »); impérissable, éternel ». Fréq. abs. littér. : 2 095. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 514, b) 3 238; xxes. : a) 2 763, b) 1 659. Bbg. Delb. Matér. 1880, p. 173. |