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IGNORER, verbe trans.
I.
A. − Être dans l'état de ne pas pouvoir connaître quelque chose, quelqu'un.
1. Être dans l'état de ne pas pouvoir connaître l'existence de quelque chose, de quelqu'un. Le critique n'était pas né encore, on ignorait les sculptures du Parthénon (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 6).
[P. méton. de l'objet] Être dans l'état de ne pouvoir connaître ni l'existence ni la pratique, le contenu ou la valeur de quelque chose. Tel est l'homme dans l'état sauvage; il ignore la plupart des arts utiles à la vie. Comme un enfant, il combat souvent avec des pierres et des bâtons (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 291).Cette religion (...), cette morale qui ignorait la charité (...) : il est manifeste que des croyances de cette nature n'ont pu prendre naissance (...) qu'à une époque où les grandes sociétés n'étaient pas encore formées (Fustel de Coul., Cité antique,1864, p. 135).
Nul n'est censé ignorer la loi. Nul n'est censé ignorer la loi parce qu'il y a un code et que la loi est chose écrite : après cela, libre à vous de l'enfeindre, mais vous savez les risques que vous courez (Sartre, Litt.,1948, p. 31).
Emploi pronom. réciproque, rare. Ils s'ignoraient encore (...). Tant qu'ils s'ignoraient mon salut restait possible. Qu'ils fussent en contact, et tout s'écroulait (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 264).
2. Être dans l'état de ne pas pouvoir avoir de connaissances sur quelque chose (dont on connaît l'existence mais qui excède la faculté humaine de connaître ou qui excède une science, un savoir à un moment donné).
a) [Constr. avec un compl. nom.] Ignorer la cause, les conséquences, la nature, les origines, les propriétés de quelque chose; ignorer son avenir, sa destinée. Nous ignorons les choses qui n'agissent pas sur les terminaisons nerveuses de la surface de notre corps (Carrel, L'Homme,1935, p. 77).Nous ignorerons (...) éternellement le langage [de l'homme préhistorique] (Bally, Lang. et vie,1952, p. 50) :
1. ... ce que j'ignore n'est nullement du même ordre que ce que je sais : ceci est à cela comme le que est au ce-que : « ce que » répondrait (s'il pouvait ici répondre) à la question quoi?, et inversement le quod (qui est paradoxalement ici ce que je connais) ne peut jamais être le complément direct ni la chose d'un savoir. Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 53.
b) [Constr. avec une interr. indir. ou une prop. introd. par si] On ignore toujours où la vie vous conduit (Estaunié, Ascension M. Baslèvre,1919, p. 16).Nous ignorons complètement si la résistance constatée à ce moment est une résistance maximum, ou si elle continue à croître rapidement pendant les instants qui suivent (Cléret de Langavant, Ciments et bétons,1953, p. 44) :
2. Nous ignorons par quelles superstitions, par quelles conjurations, par quels essais, à travers quelles esquisses mythologiques l'homme est arrivé à rassembler les auspices et les aruspices dans le chien domestiqué. Alain, Propos,1921, p. 308.
c) Absol. N'avoir aucune connaissance (du monde et/ou de l'homme). Pour les uns, le monde se découvre trop grand. Dans un pareil ensemble, l'homme est perdu, − il ne compte pas : nous n'avons dès lors qu'à ignorer et à disparaître (Teilhard de Ch., Milieu divin,1955, p. 24).
En partic. N'avoir aucune connaissance (du bien et du mal), être dans un état d'innocence. L'enfant apporte un peu de ce ciel dont il sort; Il ignore, il arrive; homme, tu le recueilles (Hugo, Légende, t. 4, 1877, p. 857).
d) Emploi pronom., dans le lang. de la philos. (morale). Ne pas être objet de connaissance pour soi-même. Incrédule à l'oracle de Delphes, loin de chercher à me connaître moi-même, je me suis toujours efforcé de m'ignorer. Je tiens la connaissance de soi comme une source de soucis, d'inquiétude et de tourments (A. France, Pt Pierre,1918, p. 265).Nous ne voulons pas dire que le je primordial s'ignore. S'il s'ignorait, il serait en effet une chose, et rien ne pourrait faire qu'ensuite il devînt conscience (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 463) :
3. Cependant qu'elle [la palme] s'ignore Entre le sable et le ciel, Chaque jour qui luit encore Lui compose un peu de miel. Valéry, Charmes,1922, p. 154.
B. − Ne pas connaître par défaut d'information.
1. [Le compl. d'obj. désigne l'objet d'une étude systématique ou d'un apprentissage] Ne pas connaître quelque chose parce qu'on ne l'a pas étudié, pratiqué, expérimenté.
a) [Constr. avec un compl. nom.] Ignorer l'art, la manière de faire qqc.; ignorer les usages, les règles de qqc.; ignorer l'orthographe. Elle ignorait les convenances. Une vierge ne devait pas poser la main sur le genou d'un homme, fût-il son oncle (Adam, Enfant Aust.,1902, p. 409).Comme j'ignore le maniement de la fermeture, j'attends dignement que quelqu'un monte pour me libérer (H. Bazin, Vipère,1948, p. 206) :
4. ... le malheur de Paul Bert, c'est qu'il ignorait l'allemand. En science, il n'y a pas de progrès pour qui ignore l'allemand. Il avait fait un premier ouvrage sur la pression barométrique, fort bon. Il sentait qu'il n'irait pas plus loin parce qu'il ne pouvait pas connaître les travaux des autres... Barrès, Cahiers, t. 1, 1896, p. 81.
[P. méton. de l'objet]
α) Ne pas connaître l'usage de quelque chose. Les ménestrels et les jongleurs étaient dans l'obligation de connaître les instruments de musique, et ne pouvaient ignorer la vielle (Grillet, Ancêtres violon, t. 1, 1901, p. 73).
β) N'avoir ni connaissance ni expérience de ce qu'est quelque chose, quelqu'un. Synon. ne pas avoir idée de (qqc.).Ignorer l'amour, la vie, le monde. Nana devenait moins gentille (...). Cela l'inquiétait, il se demandait ce qu'elle avait à lui reprocher, en homme qui ignore les femmes (Zola, Nana,1880, p. 1260).
Ignorer la femme (rare). N'avoir pas eu de relations sexuelles avec une femme. Beaucoup [de forçats] ignorent encore la femme (...). L'amour est alors chez eux absolument pédérastique (Goncourt, Journal,1880, p. 88).
b) [Constr. avec une prop. complétive à l'ind. ou une interr. indir.] Ce paysan croit que le râle est le mâle de la caille, et il ignore que la caille est un oiseau migrateur (Renard, Journal,1901, p. 683) :
5. Il n'ignorait certainement pas comment se pratique cette agréable chose que les petites ouvrières appellent : « faire boum », mais par bêtise, par honte, ou par malechance, il n'avait jamais eu ce que ses camarades nommaient une bonne amie. Huysmans, Sœurs Vatard,1879, p. 70.
c) Absol. Ne pas avoir accès à l'instruction, à la culture; ne pas avoir de connaissances intellectuelles, de culture générale. D'énormes masses humaines (...) n'ont ni la pratique, ni même le soupçon du travail à l'usine et (...) meurent, souffrent, ignorent (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 357).
Rare. [Quantifié] Avoir peu, n'avoir pas de culture. Le P. Lacordaire n'a pas lu assez. Il ignorait trop. Il ne s'est pas fortifié par autrui, par l'histoire (Dupanloup, Journal,1869, p. 317).
2. [Le compl. d'obj. désigne un fait, une donnée de fait] Ne pas être informé, au courant de quelque chose; n'avoir pas entendu parler de quelque chose.
a) [Constr. avec un compl. nom.] Il me prêtait des succès galants que j'ignorais; il me blâmait d'actions auxquelles j'étais étranger (Balzac, Méd. camp.,1833, p. 207).Je tiens à ce que ma famille et ma mère surtout ignorent mes débordements (Flaub., Corresp.,1866, p. 70) :
6. Et la police qui allait venir au bureau de l'enregistrement... car Annie n'était pas assez maligne pour que la police ignorât longtemps ses agissements, sans doute avait-elle déjà découvert le « pot-aux-roses », elle allait venir... Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 105.
Loc. [P. allus. à l'Évangile de St Matthieu, VI 3] Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite. V. droit 1ex. 2.
[P. méton. de l'objet] N'avoir aucun renseignement sur quelque chose, ne pas avoir les informations nécessaires pour une action. J'ignore votre vie, mais je connais votre cœur (Duras, Édouard,1825, p. 103).Vous ignorez complètement la presse parisienne, si vous croyez qu'on y fait ce qu'on veut et qu'on y écoute quelqu'un (Flaub., Corresp.,1858, p. 281).
P. ext. Ne pas se rendre compte de quelque chose (dans une situation, une action). Je ne sais ce qu'ils pensaient de ma conduite, car j'affectais d'ignorer leur présence et ne levais plus jamais les yeux sur eux (Lacretelle, Silbermann,1922, p. 178).Dans le cas du membre fantôme, le sujet semble ignorer la mutilation et compter sur son fantôme comme sur un membre réel (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 96).
SYNT. Ignorer l'existence de qqn, un fait, une rumeur, ce qui s'est passé; ignorer les intentions, les projets, les raisons de qqn; n'ignorer rien/ignorer tout de qqn, de qqc.; ignorer l'adresse, le numéro de téléphone de qqn.
b) [Constr. avec une prop.] Ne pas savoir.
[Constr. avec une prop. complétive à l'ind.] Je ne veux pas mourir sans vous dire que j'ignore pas que je suis votre dupe (Chênedollé, Journal,1815, p. 73).On ignorait généralement qu'il était marié car il ne sortait jamais avec sa femme (Druon, Gdes fam., t. 1, 1948, p. 132) :
7. Si j'ai rapporté assez longuement cet incident de l'enfance de Rouletabille, c'est que je suis sûr que, dans sa situation actuelle, on en comprendra toute l'importance. Alors qu'il ignorait qu'il était le fils de Larsan, Rouletabille ne pouvait déjà songer à ce triste épisode sans être déchiré par l'idée que la dame en noir avait pu croire (...) qu'il était un voleur... G. Leroux, Parfum,1908, p. 20.
[Constr. avec une prop. complétive au subj.] Il a vu un groupe qui voulait porter Barbès : les bonnes gens ignoraient encore qu'il fût mort! (Goncourt, Journal,1870, p. 658).Brisson était hostile au relèvement de l'indemnité parlementaire. On lui mit sous les yeux les faits. Il dit : « J'ignorais qu'il y eût parmi nos collègues de telles misères. Vous m'avez convaincu » (Barrès, Cahiers, t. 5, 1906, p. 68).
[Constr. avec une interr. indir.] J'ignore quand je serai quitte de cet infernal bouquin (Flaub., Corresp.,1879, p. 283).Je n'ignore pas quels inconvénients il y a dans la religion actuelle : mais je n'y regarde pas (Martin du G., J. Barois,1913, p. 246).
[Constr. avec une prop. introd. par si] En réalité j'ignore totalement si nous sommes ou non poursuivis, et si l'on nous voit ou non, du sol (Saint-Exup., Pilote guerre,1942, p. 299) :
8. − Je ne veux pas me confesser à lui, me dit-il, je le trouve trop débraillé. J'aime mieux me confesser à vous. − Mais il est l'aumônier et vous ignorez si je suis prêtre. Il insista : − Vous avez l'air d'un vrai prêtre, vous! Je veux me confesser à vous. Billy, Introïbo,1939, p. 197.
Rare. [Constr. avec une prop. inf.]
[Le suj. logique de l'inf. est le même que le suj. de ignorer] Ses cris cessèrent en me voyant; il ignorait peut-être en avoir poussé de si lamentables et avoir été entendu (Sainte-Beuve, Volupté, t. 2, 1834, p. 259).
[Dans une relative; le suj. logique de l'inf. est différent du suj. de ignorer] Il (...) refuse de se marier avec celle qu'on lui propose et qu'il ignore être celle qu'il aime (Brasillach, Corneille,1938, p. 237).
[Avec ell. du verbe être] Je suis au regret de n'avoir pas écrit depuis si longtemps. Mais je t'ignorais fatigué (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1894, p. 196).
c) Emploi pronom. passif, rare. N'être pas connu. Ce sont les grands parents et les juges de paix qui disent que tout se sait. Ils ont pour cela une bonne raison, c'est que tout ce qui ne se sait pas s'ignore, et par conséquent n'existe pas (Musset, Chandelier,1840, I, 1, p. 20).
Rem. 1. L'emploi de ignorer ( avec un compl. nom.) dans l'accept. B (supra) connote, par rapport à ne pas connaître, ne pas savoir, l'idée d'une absence totale de connaissance et/ou un jugement du locuteur selon lequel la connaissance de ce qui est ignoré serait nécessaire, utile à la personne désignée par le suj. de ignorer. 2. a) Ignorer, gén. dans une tournure négative, est utilisé, dans le dialogue ou le monologue adressé à un interlocuteur, pour rappeler ou introduire une information que le locuteur pense (ou feint de penser) devoir être évidente pour son interlocuteur. Vous ne pouvez pas ignorer que, lorsqu'on a manqué à une personne de mon sexe, on ne doit plus se présenter devant elle, surtout quand elle a fait un choix! (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 58). Vous n'ignorez pas que Mademoiselle Étienne travaille avec moi chez Baponot? − J'ignorais, dit Linaire d'un ton mort (Queneau, Loin Rueil, 1944, p. 115). Dans l'oligopole sans différenciation du produit, (...) trois stratégies, on ne l'ignore pas, sont possibles (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 38). b) L'expr. vous n'êtes pas sans ignorer, calquée sur l'expr. vous n'êtes pas sans savoir, est parfois employée dans le dialogue avec le sens de « vous ne pouvez pas ignorer, vous savez certainement ». Cette expr. résulte d'un contresens sur l'interprétation de la double négation (ne... pas... sans).
C. − En partic.
1. [Le compl. désigne un trait psychol. ou de caractère, une aptitude]
a) Ne pas avoir conscience de quelque chose. Ignorer sa beauté, ses capacités, son caractère. Ses cheveux sont blonds et flottants. Par mille talents embellie, Seule elle ignore ce qu'elle est (Béranger, Chans., t. 2, 1829, p. 117).Vous ne sauriez croire comme il [un pays] prend les gens par un tas de petits instincts animaux que nous ignorons en nous (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Allouma, 1889, p. 1308).
b) Emploi pronom.
α) réfl. Ne pas savoir ce que l'on est, ce que l'on vaut; ne pas en avoir conscience. Elle ne sait pas combien elle a de charmes, car elle s'ignore (Krüdener, Valérie,1803, p. 158).Elle s'ignorait comme elle ignorait les autres. Elle se languissait, à son insu, du besoin de rencontrer quelqu'un qui eût une analogie de sentiment avec elle (Bourget, Disciple,1889, p. 123).
En partic.
[Dans une relative; l'antécédent désigne la qualité ou l'état ignoré de la personne désignée par le suj.] Un poète qui s'ignore. Il faudrait accorder qu'un très grand nombre d'hommes et de femmes, parfaitement « normaux » en apparence, sont des homosexuels qui s'ignorent (Gide, Journal,1931, p. 1089).Elle demande où est son frangin, orphelin qui s'ignore (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 42).
[La qualité, l'état désigné par l'antécédent est repris sous forme adj. en fonction d'attribut] Saisissant, éblouissant, intéressant ce profond sceptique qui s'ignore sceptique (Barb. d'Aurev., Memor. 2,1839, p. 387).
[Constr. avec un attribut subst. précédé de comme] J'en viens à m'ignorer comme sujet d'un champ visuel (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 262).
β) passif. [Gén. dans une relative] Ne pas être l'objet d'une connaissance, d'une prise de conscience (de la part d'une personne). Un désir, un sentiment qui s'ignore. Les lignes de leurs corps, modestement vêtus, ne se déplaçaient que suivant une grâce calme, d'autant plus sûre d'elle-même qu'elle s'ignorait (Jammes, Robinsons,1925, p. 22).Les prophètes de la nation et les prophètes de la classe ont pratiquement imprégné les peuples contemporains d'un national-socialisme qui s'ignore (Perroux, Écon. xxes., 1964p. 339) :
9. Schiller a écrit deux traités sur le naïf et le sentimental, dans lesquels le talent qui s'ignore et le talent qui s'observe lui-même sont analysés avec une sagacité prodigieuse... Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 327.
2. [Le compl. d'obj. désigne un sentiment, une sensation, l'objet d'une expérience] N'avoir pas fait l'expérience de quelque chose, ne pas éprouver. Ignorer l'amour, le désespoir, l'inquiétude, les passions, le vice. Les produits qu'ils calomnient, ils n'y ont jamais touché, ils en ignorent la saveur et le parfum (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 222).Les cœurs médiocres ignorent les grandes colères (Hugo, Corresp.,1871, p. 294) :
10. Jamais on ne me commandait. Un père et une mère ont sur leur fils des droits consacrés qu'une grand'tante ne pensa jamais à exercer sur son petit neveu. J'ignorais les gifles et les fessées. Guéhenno, Journal homme 40 ans,1934, p. 25.
P. anal., littér. Leurs champs du beau maïs ignorent la moisson (Chénier, Amérique,1794, p. 107).Son climat ensoleillé ignore le charme des clairs de lune (Béguin, Âme romant.,1939, p. 160).
Rare. [Le suj. désigne un sentiment, une sensation; le compl. d'obj. la personne qui les éprouve] Je suis (...) comblé quand je le veux, j'appareille à toute heure, le désespoir m'ignore (Camus, Été,1954, p. 170).
D. − Rare. [Sans idée de connaissance] Ne pas avoir. Ce penchant profond de l'esprit allemand, qui ignore nos cloisonnements et notre instinct des plans (Béguin, Âme romant.,1939p. xiv).Une langue peut ignorer l'accent comme le vietnamien. Là où il existe, l'accent peut avoir sa place déterminée par la structure phonématique de l'unité lexicale (Langage, Pottier, 1968, p. 303).
II. − [Sans idée d'absence de connaissances, de savoir]
A. − Mal connaître, connaître d'un savoir que le locuteur juge inadéquat ou faux. Synon. méconnaître.Il faut profondément ignorer l'histoire et l'esprit humain pour ne pas savoir quelle chaîne ces simples, fortes et honnêtes disciplines créaient pour les meilleurs esprits (Renan, Souv. enfance,1883, p. 133) :
11. ... nous avons déjà vu que la pensée objective et l'analyse réflexive sont deux aspects de la même erreur, deux manières d'ignorer les phénomènes. La pensée objective déduit la conscience de classe de la condition objective du prolétariat. La réflexion idéaliste réduit la condition prolétarienne à la conscience que le prolétaire en prend. Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 506.
B. − Ne pas vouloir connaître, feindre de ne pas connaître.
1. [Le compl. d'obj. désigne qqc. dont la personne désignée par le suj. est informée ou qu'elle connaît]
a) [Le compl. d'obj. désigne un fait, une donnée de fait] Ne faire aucun cas de quelque chose, faire comme si quelque chose n'existait pas, n'avait pas eu lieu. Synon. négliger, ne pas tenir compte.Elle avait été élevée dans une de ces familles qui vivent enfermées en elles-mêmes, et qui semblent toujours loin de tout. Elles ignorent les événements politiques, bien qu'on en cause à table (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Pardon, 1882, p. 656) :
12. Un journaliste qui sait son métier n'écrit pas : « Ils étaient prêts à traiter avec les Soviets »; mais bien : « Ils étaient prêts à ignorer tous les crimes du passé et du présent, à serrer les mains sanglantes des tortionnaires de Moscou dans une étreinte passionnée ». Gide, Journal,1931, p. 1061.
En partic. Feindre de ne pas se rendre compte de quelque chose, ne pas tenir compte volontairement de quelque chose (dans une situation). Synon. ne pas relever.Il explique : « Hitler l'a dit ». « Hitler! » répète Brunet abasourdi. Livard ignore l'interruption. Il poursuit (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 274).
Rare. [Constr. avec une complétive à l'ind.] Moi, comme préfet, je dois ignorer qu'il y a un archevêque, hors les cas prévus par la loi comme les cloches et les processions (A. France, Orme,1897, p. 118).
b) [Le compl. d'obj. désigne un élément de savoir] Ne pas prendre en considération de façon délibérée. Synon. écarter, oublier, sous-estimer.L'historicisme dénonce le péril d'un dogmatisme naïf qui, voulant ignorer l'histoire, n'aboutit qu'à un pseudo-universalisme fallacieux (Marrou, Connaiss. hist.,1954, p. 151).La théorie politique ne peut ignorer de semblables jugements de valeur dans la mesure où ils réagissent sur l'accueil réservé par les autorités aux revendications de groupes (Meynaud, Groupes pression Fr.,1958, p. 166) :
13. Ramené à son principe, le style, manière d'écrire ou de parler (en ignorant pour l'instant cette importante distinction), a sa source dans les formes spécifiques d'élocution correspondant aux diverses causes qui déterminent l'emploi du langage dans la parole et le choix spontané ou délibéré (encore une distinction essentielle) des signes... Langage, Guiraud, 1968, p. 449.
Rare. [Constr. avec une prop. introd. par si] Il suffit que nous ignorions si les dés sont réguliers ou non, ou dans quel sens agissent les irrégularités de structure si elles existent, pour que nous n'ayons aucune raison de supposer qu'une face paraîtra plutôt que l'autre (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 48).
c) Ne pas reconnaître la valeur de quelque chose. Irresponsables aussi sont les enfants élevés dans les écoles modernes par des professeurs qui ignorent la nécessité de l'effort, de la concentration intellectuelle, et de la discipline morale (Carrel, L'Homme,1935, p. 265).
2. [Le compl. d'obj. désigne une personne que la personne désignée par le suj. voit ou connaît]
a) Ne pas tenir compte de la présence, du comportement des réactions d'une personne (dans une situation). Nous serons moins généreux, dit Suzanne [à Jean]. Ton sang ne nous fait pas peur. Nous te ferons payer! Jean continue de l'ignorer (Sartre, Engrenage,1948, p. 20).
En partic.
α) Feindre de ne pas voir, de ne pas reconnaître quelqu'un. J'aperçus Herbaud qui longeait le bassin en compagnie de Sartre : il me vit, et il m'ignora (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 319).
β) Marquer de l'indifférence à quelqu'un, refuser toute forme de rapport personnel ou social avec quelqu'un. Il se croyait donc tenu d'ignorer le locataire du premier, quoiqu'il eût été bien aise de le connaître (Rolland, J.-Chr., Maison, 1909, p. 1050) :
14. Ces hommes considérables auraient toujours ignoré leurs humbles cousins du fumier de Job, si l'on eût écouté la vieille Séphora; aux heures les plus critiques, la veuve de Rodrigues s'était refusée à toute sollicitation, à toute tentative de rapprochement avec les fils et les petits-fils de son beau-frère Abel, moitié par timidité de parente pauvre et par crainte des rebuffades, moitié par aversion pour ces renégats... Vogüé, Morts,1899, p. 31.
Littér., vieilli. Quand pourrai-je (...) Boire l'heureux oubli des soins tumultueux, Ignorer les humains et vivre ignoré d'eux! (Delille, Homme des champs,1800, p. 142).
b) Emploi pronom. réciproque. Ne pas tenir compte de la présence, du comportement, des réactions les uns des autres (dans une situation). Des équipes travaillaient sur les ponts, dans les logements, dans les machines, sous la direction d'ingénieurs qui s'ignoraient (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 18).
En partic.
α) Feindre de ne pas se voir, se reconnaître. L'exiguïté de la loge ne pouvait permettre à ceux qui s'y trouvaient de s'ignorer. Anne joua une minute avec Séryeuse en lui adressant quelques phrases sans lui montrer qu'il le connaissait de vue (Radiguet, Bal,1923, p. 27).
β) Se marquer de l'indifférence, se refuser à toute forme de rapport personnel ou social les uns avec les autres. Avec toutes les femmes que j'ai aimées, rupture, et, du jour de la rupture, on s'ignore de part et d'autre : la herse de fer (Montherl., Demain,1949, I, 1, p. 708).
P. anal. [En parlant de choses] Un son isolé est plus nul (en général), qu'une odeur isolée. Les odeurs s'ignorent entr'elles (Valéry, Tel quel II,1943, p. 287).
Rem. 1. La prop. complétive au subj. et la prop. introd. par si sont employées avec la tournure positive de ignorer; on relève toutefois qq. ex. de la prop. complétive au subj. après ignorer dans une tournure négative. Comme elle n'ignorait pas qu'elle fût aimée du chevalier, elle y prit plaisir pour la première fois, et appela aussitôt le jeune homme par son nom (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 127). L'avant-centre rémois n'ignore pas que son forfait, alors qu'il participe à des rencontres de championnat, eût été parfois mal interprété (Figaro ds G. Boysen, Subj. et hiérarchie, Odense University Press, 1971, p. 126). 2. On relève qq. attest. de la constr. trans. indir. vieillie ignorer de qqc. a) Dans un énoncé. Elle est crânement (...) honnête, allez! et instruite, elle n'ignore de rien, cette fille-là! (Balzac, Modeste Mignon, 18, 1844, p. 246). Oui, mais voilà, il se les flanquerait en l'air, les quatre fers, inévitablement; et le chien, qui n'en ignore pas, abuse de la circonstance (Courteline, Femmes d'amis, Tortillard, 1893, p. 53). b) Dans l'expr. jur. afin/pour que nul n'en ignore. Afin que tout le monde le sache, en soit informé. Pour que nul n'en ignore à tous, selon la loi, je fais appel encore (...). Quelqu'un s'oppose-t-il à cet hymen? (Bornier, Fille Rol., 1875, IV, 1, p. 90). Et j'ai dit tout afin que nul n'en ignorât, Tout, − et rien, pour qu'on ne sût rien, tiens! qui m'importe Vraiment (Verlaine, Poèmes div., Paris, Gallimard, 1962 [1896], p. 1021).
REM.
Ignorable, adj.,hapax. Comment, si je suis sûr, dit le colonel (...) ah ça, Flick! est-ce que vous perdez la tête!... Sûr d'une chose qui crève les yeux?... qui n'est même plus ignorable et qui est le thème à potins de toutes les commères de la ville? − Mon colonel... fit l'adjudant. Le colonel cria : − Assez (Courteline, Gaîtés esc., Sans chenil, 1897, I, p. 269).
Prononc. et Orth. : [iɳ ɔ ʀe]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1330 (Girart de Roussillon, 112 ds T.-L.); 1579 en ignorer (Larivey, Les Esprits, V, 5 ds Hug. : je n'en ignore). Empr. au lat.ignorare « ne pas connaître, être ds l'ignorance ». Fréq. abs. littér. : 7 716. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 11 122, b) 9 526; xxes. : a) 11 216, b) 11 473.