| IGNORANT, -ANTE, part. prés. et adj. I. − Part. prés. de ignorer*. II. − Adjectif A. − 1. [Correspond à ignorer A] a) Qui ne connaît pas l'existence de quelque chose. Ils [les trains] passaient, inexorables (...) indifférents, ignorants de ces drames et de ces crimes (Zola, Bête hum.,1890, p. 237).« Primitif » désigne un vaste ensemble de populations restées ignorantes de l'écriture (Lévy-Strauss, Anthropol. struct.,1958, p. 113). b) Qui n'a pas de connaissances sur quelque chose (dont il connaît l'existence mais qui excède la faculté humaine de connaître ou qui excède une science, un savoir à un moment donné). Les quatre sciences philosophiques sont profondément ignorantes sur le mécanisme civilisé et sur le progrès réel de ses diverses branches (Fourier, Nouv. monde industr.,1830, p. 86).Un sceptique est un homme comme tous les autres, c'est-à-dire parfaitement ignorant des causes de la vie ou de la création (Vigny, Journal poète,1857, p. 1333). 2. [Correspond à ignorer B] a)
α) [En parlant d'une pers.] Qui ne connaît pas (ou très peu) quelque chose, parce qu'il ne l'a pas étudié, pratiqué, expérimenté. Synon. incompétent, inexpérimenté, novice. − [Construction avec un compl. prép. de, en désignant l'objet ignoré ou un domaine de savoir, d'expérience] Ignorant du monde, de l'histoire; ignorant en histoire, en littérature, en musique. Il s'affligeait seulement que son nom eût été (...) livré à la rancune des fanatiques ignorants de l'Antiquité (Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1935, p. 131).Son père, ignorant en sculpture, la baronne non moins ignorante, crièrent au chef-d'œuvre (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 199).Absolument ignorante des choses du commerce, celle-ci avait encore la gaucherie charmante d'une pensionnaire élevée dans un couvent de Blois (Zola, Bonh. dames,1883, p. 571).Voir Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 82 : 1. ... lui, si peu éveillé, tellement ignorant des choses pour nous essentielles, l'amour, la politique... Parmi les camarades de notre petite équipe, il était celui dont la vie s'annonçait la plus unie...
Abellio, Pacifiques,1946, p. 20. Rem. On relève qq. autres constructions prép. : ignorant au sujet de, dans, quant à, relativement à qqc. Les ministres de Charles-Quint, quelque talent qu'ils eussent pour les négociations ou l'intrigue, étaient tous également ignorans dans les affaires pécuniaires (Sismondi, Écon. pol., 1827, p. 25). Très ignorant quant à la théorie des choses militaires, il se perdait à vouloir mettre de l'ordre dans cette foule (Montherl., Songe, 1922, p. 131). − [Qualifiant un subst. désignant une pers. par son activité; gén. postposé] Médecin ignorant. Ces saints mutilés des cathédrales que des archéologues ignorants ont refaits, en mettant sur le corps de l'un la tête de l'autre (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 629) : 2. Que de fois j'ai entendu (...) des chanteurs possédant une jolie voix, détruire tout l'effet d'un cantabile rien que par une respiration défectueuse. Le public (...) qualifie de poussif, le chanteur maladroit ou ignorant, qui lui cause une souffrance au lieu d'un plaisir.
Holtzem, Bases art chant,1865, p. 143.
β) [En parlant d'un objet] Rare. Qui dénote l'ignorance de son auteur. Les funestes et ignorantes copies de l'antique de nos faiseurs contemporains (Borel, Champavert,1833, p. 10).Chez Raphaël nous voyons un art qui se débat dans ses langes : les parties sublimes font passer sur les parties ignorantes (Delacroix, Journal,1847, p. 173). b) Qui n'est pas informé, au courant de quelque chose, qui n'a pas entendu parler de quelque chose. Si incroyable que cela vous paraisse, je suis aussi ignorante que vous des projets de mon petit compagnon (Bernanos, Crime,1935, p. 867) : 3. Madame Brémond partageait à l'égard de Juliette le préjugé commun à toutes les mères de famille qui se distraient aux alentours de la maison conjugale : elle la croyait ignorante de ses démarches comme de ses pensées.
Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 261. 3. [Correspond à ignorer C] a)
α) [En parlant d'une pers.] Qui n'a pas conscience d'(un trait psychologique ou de caractère, d'une aptitude). Cela se fit tout d'un coup, comme une passion qui s'allume dans une âme ignorante de ses propres forces (Sand, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 177).Il en faut assez peu pour enfanter un grand homme dans un jeune homme ignorant de ses dons (Valéry, Variété [I], 1924, p. 93).
β) [P. méton. en parlant d'une action, d'un trait psychol.] J'ai aimé le tien [un crime] parce que c'était un meurtre aveugle et sourd, ignorant de lui-même, antique, plus semblable à un cataclysme qu'à une entreprise humaine (Sartre, Mouches,1943, p. 76). b) Qui n'a pas fait l'expérience, qui n'éprouve pas (une émotion, un sentiment). Je reconnais toujours la duchesse ignorante des plaisirs de l'amour, et toujours insensible sous les apparences de la sensibilité (Balzac, Langeais,1834, p. 214).C'était toute la joie des êtres inanimés abandonnés à leur instinct, ignorants de l'incertitude humaine (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 233). B. − En partic. [Correspond à ignorance I A 2] 1. a) [En parlant d'une pers.] Qui n'a pas reçu d'instruction, qui a peu ou pas de connaissances intellectuelles, de culture générale. Synon. illettré, inculte; anton. cultivé, lettré, savant.J'ai deux élèves ignorants dans ma classe : ils ont besoin tous les deux de répétitions (Champfl., Souffr. profess. Delteil,1855, p. 146) : 4. Il faudrait d'abord les montrer [Giotto et Masaccio] dans l'atelier, dans la boutique où ils vivaient en artisans. C'est là, en les voyant à l'ouvrage, qu'on goûterait leur simplicité et leur génie. Ils étaient ignorants et rudes. Ils avaient lu peu de chose et vu peu de chose.
A. France, Lys rouge,1894, p. 136. − Expr. Ignorant comme un âne, une carpe, un pot. Mais, ma mère chérie, elle m'a trouvé ignorant comme une carpe. − Tu savais les choses essentielles en connaissant bien les devoirs que nous enseigne la religion, répondit la baronne (Balzac, Béatrix,1839, p. 62).Que d'étroitesses! Légitimiste catholique, collectivement rêvant la députation et l'Académie Française! Avec tout cela, ignorant comme un pot et provincial jusque dans les moelles (Flaub., Corresp.,1876, p. 384). SYNT. Ignorant et borné, corrompu, crédule, grossier, misérable, prétentieux, présomptueux, stupide, sot, superstitieux; foules, masses ignorantes; peuples ignorants; siècles ignorants et barbares. b) [En parlant d'un comportement] Qui dénote l'ignorance (d'une personne, d'une époque). Mœurs ignorantes. Ses pontifes subjuguant l'ignorante crédulité par des actes grossièrement forgés; mêlant la religion à toutes les transactions de la vie civile, pour s'en jouer au gré de leur avarice ou de leur orgueil (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 94).Malgré le caquetage ignorant de ses guides, il était fortement impressionné (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1847, p. 464). 2. Vieilli a) [En parlant de pers.] Qui n'est pas souillé par le mal, qui ne l'a pas commis. Synon. innocent.Enfant, vierge ignorant(e); chaste et ignorant. Au bagne il était mauvais, sombre, chaste, ignorant et farouche. Le cœur de ce vieux forçat était plein de virginités (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 524).Plus elle est jeune et forcément naïve et ignorante et innocente plus il serait criminel, plus il serait inique, plus il serait fou de la livrer (Péguy, Argent,1913, p. 1301). − [P. méton. du déterminé] Âme simple, naïve, ignorante. C'est sur la soie d'or de tes cheveux d'enfant que mon cœur ignorant a épelé ses premiers baisers (Pailleron, Monde où l'on s'ennuie,1869, III, 7, p. 168). b) [En parlant d'une action] Qui dénote l'ignorance, l'innocence. Ils continuaient à vivre leurs amours ignorantes, au milieu de ce flot de sève (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 207). C. − [Correspond à ignorer II; avec une valeur dépréc. ou polémique fortement marquée dans le cont.] Qui a un savoir que le locuteur juge inadéquat ou faux. Il a suffi (...) d'une proposition mal comprise du grand mathématicien Poincaré pour qu'une foule de lettrés ignorants (l'espèce en est prospère) replacent la terre au centre du monde (A. France, Rabelais,1909, p. 224).Dès qu'un peuple est sauvagement pratique, comme l'américain, il élit, pour guider ses pas, les plus fumeux et ignorants idéologues que l'univers ait jamais connus (Giraudoux, Siegfried et Lim.,1922, p. 270). III. − Substantif A. − [Correspond à supra I A] Personne ignorante (dans un domaine particulier). Je ressemble à ces ignorants du danger qui l'ont traversé sans s'en apercevoir, et qui pâlissent après coup (A. Daudet, Femmes d'artistes,1874, p. 11).Ce que l'ignorant en quelque domaine ignore le plus, c'est nécessairement son ignorance même, puisqu'il n'a pas les moyens d'en mesurer l'étendue et d'en sonder la profondeur (Valéry, Variété V,1944, p. 42) : 5. Relu Ursule Mirouet. Ânerie incroyable de Balzac. Ce livre est l'histoire des sentiments ou évolutions et péripéties de sentiments religieux chez des ignorants de toute religion, racontée par le plus complet de ces ignorants, par un ignorant de génie.
Bloy, Journal,1900, p. 43. B. − [Correspond à supra I B] Personne ignorante, qui n'a pas reçu d'instruction, qui a peu ou qui n'a pas de connaissances intellectuelles, de culture générale. Si on se trouve dès l'enfance en compagnie de criminels ou d'ignorants, on devient soi-même un criminel ou un ignorant (Carrel, L'Homme,1935, p. 181) : 6. ... la distance qu'ils [les amants passionnés de l'égalité] trouvent entre le puissant et le faible, l'opulent et le pauvre, l'oisif et le manouvrier, le lettré et l'ignorant, leur fait conclure que les privations des derniers sont des vices monstrueux dans l'ordre politique.
Sismondi, Écon. pol.,1827, p. 4. − [Avec une valeur dépréc. et/ou polémique fortement marquée dans le contexte] On voit un tas de pleutres, d'ignorants et de pas grand'chose entasser des millions et des milliasses (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 24).Des ignorants qui se figuraient tout savoir, sans avoir rien appris (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 241). REM. Ignorantissime, adj.,rare. Très ignorant. Je suis le plus ignorant, ignorantissime, de ceux qui respirent (Villiers de L'I.-A., Corresp.,1864, p. 74). Prononc. et Orth. : [iɳ
ɔ
ʀ
ɑ
̃], fém. [-ɑ
̃:t]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1remoitié xiiies. adj. « qui, volontairement, ne tient pas compte de qqc. » (R. Grosseteste, Château d'Amour, éd. J. Murray, 868; cf. trad. p. 175); 2. 2emoitié xives. subst. « qui n'a pas de savoir, d'instruction » (E. Deschamps, V, 173, 34 ds T.-L.); 3. ca 1340 « qui n'a pas connaissance de qqc. » (Bâtard de Bouillon, 6130, ibid.). Empr. au lat.ignorans-antis, part. prés. de ignorare, v. ignorer. Fréq. abs. littér. : 1 821. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 810, b) 2 357; xxes. : a) 2 975, b) 2 293. Bbg. Hope 1971, p. 149, 202 (s.v. ignorantissime). |