| HURLER, verbe I. − Emploi intrans. A. − [Le suj. désigne un animal, notamment le loup, le chien] Pousser des cris aigus et prolongés. Hurler longuement, lugubrement. J'entends encore (...) hurler les chacals et les coups du vent qui secouait ma tente (Flaub., Corresp.,1857, p. 242).Comme ils passaient devant une maison bâtie au bord de la route, un chien se mit à hurler d'une façon lamentable (Zola, M. Férat,1868, p. 184) : 1. ... il [un chien] se remit à hurler vers quelque chose d'invisible, d'inconnu, d'affreux sans doute (...). Et les deux femmes égarées se mirent, toutes les deux, à hurler avec le chien (...). Alors, pendant une heure, le chien hurla sans bouger; il hurla comme dans l'angoisse d'un rêve...
Maupass., Contes et nouv., t. 2, Peur, 1882, p. 802. − [En parlant du chien, du loup] Hurler à la lune, à la mort. Dès le coucher du soleil, plusieurs chiens hurlent à la mort... Informations prises, tout se clarifie. Ce serait tout simplement un honnête petit abattoir pour quelques boucheries humaines des grands quartiers (Bloy, Journal,1907, p. 356). B. − P. anal. [Le suj. désigne une pers.] 1. Pousser un ou des cri(s) prolongé(s), aigu(s) et violent(s). Hurler comme un forcené, un possédé; un fou, la foule hurle. Cette assemblée en délire hurla, siffla, chanta, cria, rugit, gronda (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 63).Le nourrisson qui sent la pointe d'une épingle hurle comme s'il était malade au plus profond; c'est qu'il n'a pas idée de la cause ni du remède (Alain, Propos,1923, p. 529) : 2. ... tous se mirent à hurler sans discontinuer, d'un long cri collectif et incolore, sans respiration apparente, sans modulations, comme si les corps se nouaient tout entiers, muscles et nerfs, en une seule émission épuisante qui donnait enfin la parole en chacun d'eux à un être jusque-là absolument silencieux. Et sans que le cri cessât, les femmes, une à une, se mirent à tomber.
Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1674. − [Constr. avec un compl. causal désignant un affect, introd. par de] Je le meurtris si outrageusement d'un coup de mes souliers ferrés, qu'il hurla de douleur et me laissa tomber à terre (About, Roi mont.,1857, p. 205).On entend hurler d'angoisse et d'épouvante la victime (Sully Prudh., Justice,1878, p. 67). − Loc. fig. Hurler avec les loups, avec (un groupe de personnes). Agir, parler comme ceux avec qui on se trouve. La critique, reconnaissons-le, comprend mieux ses devoirs qui sont, non de hurler avec les loups et de flatter les goûts du public, mais de le ramener, ce public hostile ou indifférent, au véritable critérium en fait d'art et de poésie (Verlaine,
Œuvres posth., t. 2, Baudel., 1865, p. 8).Des chefs et des gouverneurs timides et obligés de hurler avec la populace, de peur de la voir se déchaîner (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 11, 1868, p. 259).V. braire ex. 1 : 3. Jamais on ne vit, chez tant de représentants du droit, un si beau concert de silence. Je ne dis rien de ceux qui trouvèrent plus prudent de hurler avec les loups. Une curieuse catégorie encore, celle des gens qui n'ont rien lu, ne savent rien, et n'ont pas trouvé le moyen de se faire une opinion.
Clemenceau, Iniquité,1899, p. 260. − P. exagér. [Dans une tournure qualificative] C'est à hurler, à faire hurler. L'art me donne quelquefois des désespoirs à hurler, des fatigues à en mourir (Flaub., Corresp.,1860, p. 264).C'est à hurler de rage quand on songe que ce peintre qui, dans la hiérarchie du médiocre, est maître, est chef d'école (Huysmans, Art mod.,1883, p. 26).Hier soir, vu une pièce absurde sur la défaite française : Candle in the wind. Le ton en est faux à faire hurler (Green, Journal,1941, p. 152). SYNT. Hurler de désespoir, de frayeur, de fureur, d'horreur, de joie, de peur, de terreur; hurler et gémir, gueuler, pleurer, vociférer; hurler et se débattre, gesticuler, trépigner. 2. P. ext. a) Parler, crier, chanter de toutes ses forces. Synon. beugler (fam.), brailler (fam.), crier, gueuler (vulg.), vociférer.Hurler comme un sourd; hurler à se casser la voix. Avec une horrible voix du gosier, la fille soudain hurla en patois (Mauriac, Génitrix,1923, p. 394) : 4. Tous les officiers sont ici, d'une politesse exemplaire. Plus le grade est élevé, plus la voix est douce! Le sous-lieutenant est ou peut être rogue. Le sergent hurle, par habitude, par tradition. Je crois que dans l'armée américaine, je suis le seul sergent qui ne hurle pas.
Green, Journal,1942, p. 281. − En partic. [Empl. pour qualifier de façon dépréc. l'émission vocale d'un acteur, d'un orateur, d'un chanteur] Dire, chanter en exagérant les effets de voix, d'une manière où on sent l'effort. Et les chanteurs [français] (...) et les cantatrices? (...) ils ne chantent pas, ils crient, ils hurlent du nez, du gosier (Melchissédec, Pour chanter,1913, p. 213). b) P. exagér., péj. Parler avec véhémence (pour protester, réclamer). Tel qu'il est, ce mariage qu'on ne peut attaquer sans entendre hurler autour de soi les bégueules et les petits esprits, il peut devenir une source de bonheur et d'amour (Zola, Corresp. [avec Baille], 1860, p. 113).Plus que jamais les créanciers hurlaient. On voyait parfois errer des huissiers jusqu'aux portes de Bradenham. Quatre candidatures, une maîtresse dépensière, un dandysme coûteux, avaient triplé les dettes de Disraëli (Maurois, Disraëli,1927, p. 103). − [Constr. avec un compl. prép. introd. par après, contre] Ce même siècle [le dix-huitième] ne cessa de hurler (...) contre tous les philosophes qui ont commencé par les principes abstraits, au lieu de les chercher dans l'expérience (J. de Maistre, Pape,1819, p. 257).Quand te verra-t-on tonner contre l'immoralité de la littérature moderne et hurler après ces bons et pacifiques républicains? (Flaub., Corresp.,1844, p. 157). − Faire hurler (qqn).Provoquer chez (quelqu'un) une vive réaction d'indignation, de protestation. Je sais que je vais te faire hurler. Toi, tu es, malgré le désert, l'homme de la communauté (Duhamel, Maîtres,1937, p. 219) : 5. ... la marquise de Belbeuf, née Morny, et notre admirable Colette (Willy), se montrèrent sur la scène d'un music-hall, exactement le Moulin-Rouge, dans une tenue qui effaroucha et fit hurler les mauvais bourgeois.
Fargue, Piéton Paris,1939, p. 180. − Hurler à (qqc.) ♦ Hurler à la mort. Réclamer avec véhémence la mort, l'exécution de quelqu'un. Ses journaux [de la gauche] hurlent à la mort, réclamant à grands cris le sang des mauvais patriotes (Aymé, Confort,1949, p. 155). ♦ Accuser avec véhémence de (quelque chose). Les autres hurlent à l'anarchie et veulent faire croire qu'ils m'ont pris en flagrant délit d'indiscipline révolutionnaire (Breton, Manif. Surréal., 2eManif., 1930, p. 94). C. − P. anal. [Le suj. désigne un inanimé concr.] Produire un son, un bruit aigu et prolongé. La tempête hurle; une sirène hurle; les freins, le moteur d'une voiture hurle(nt). Il monta dans son auto qui commença à s'enfoncer dans la foule, à contre-courant cette fois. Le klaxon hurlait en vain (Malraux, Cond. hum.,1933, p. 241).Mais les pignons de la boîte de vitesse hurlent une fois de plus et les voitures entrent dans l'ouate à plein régime (H. Bazin, Huile sur feu,1954, p. 48) : 6. ... il n'y eut plus que le tonnerre grondant de la tempête : la pluie entêtée battait les ardoises, le vent ébranlait les fenêtres, hurlait sous les portes...
Zola, Joie de vivre,1884, p. 833. D. − Au fig. 1. [Le suj. est un plur. ou un équivalent] Produire un effet (violemment) discordant. Synon. jurer, gueuler (vulg.).Des couleurs qui hurlent ensemble. Il s'est trouvé de par le monde un baron de l'Empesé qui a publié l'Art de mettre sa cravate! Art et cravate, voilà de ces mots qui hurlent de se voir accouplés (Balzac,
Œuvres div.,1830, p. 49) : 7. La vérité politique (si ces deux mots ne hurlent pas d'être assemblés!) est une synthèse vivante, jamais accomplie une fois pour toutes : l'histoire va vite et tout bouge sans cesse.
Mauriac, Bloc-notes,1958, p. 378. − [Constr. avec un compl. prép. introd. par avec, à côté de, auprès] [Dans les toiles académiques] des toges rouges hurlent auprès de robes bleues, sur des fonds saumâtres (Mauclair, De Watteau à Whistler,1905, p. 69). 2. Littér. [Le suj. désigne l'obj. d'une représentation] Être exprimé avec violence. Ce sont tes passions qui hurlent sur tes toiles (Dierx, Poèmes,1864, p. 21).Tout ce qui relève chez lui de l'intoxication imaginative, de l'hallucination, du caprice, est débridé, et crie et hurle (L. Daudet, Idées esthét.,1939, p. 256). II. − Emploi trans. [Le suj. désigne une pers.] A. − [Le compl. d'obj. désigne un affect] Exprimer par des hurlements ou des paroles incohérentes, violentes. Hurler sa colère, son désespoir, sa douleur. La porte battue d'une poutre de charron céda devant l'émeute reconstituée qui hurla son plaisir fou d'entrer par la brèche (Hamp, Champagne,1909, p. 169).Je regarde innocemment Fouillard déchaîné qui hurle sa fureur impuissante. − Tas de vaches!... Puis après tout, j'm'en colle (Dorgelès, Croix bois,1919, p. 64). − Au fig., littér. [Le suj. désigne un objet] Exprimer de façon très manifeste, tapageuse. Nous passons devant des affiches rouges (...) qui hurlent son nom, augmentant l'autorité de ses paroles : Londres 25 miles, Dentifrices Moss, dents éclatantes (Morand, Rococo,1933, p. 108).Le style « Pomone » éclatait, avec ses commodes et ses meubles d'appui en loupe de cèdre (...). Les sièges mêmes (...) hurlaient le goût de cette époque (Vialar, Tournez,1956, p. 47). B. − [Le compl. d'obj. désigne (le contenu d')un message] Prononcer, proférer en criant de toutes ses forces et/ou avec véhémence. Synon. beugler (fam.), brailler (fam.), crier, gueuler (vulg.), vociférer.Hurler qqc. à tue-tête. Elle (...) se mit à rugir ce cri de rage folle Que hurle avec horreur la femme qu'on viole (Banville, Cariat.,1842, p. 57).Retté rentrait de la brasserie, saoul, et se mettait à hurler ses vers en se promenant furibondement d'un bout de la chambre à l'autre (Goncourt, Journal,1893, p. 488) : 8. ... le professeur de mathématiques dans la salle voisine, hurla quelque indication pédagogique, suivie d'un juron de sous-officier. Il était célèbre pour son débraillé, son sans-façons, ses coups de gueuloir, qu'aucune cloison n'arrêtait ni aucune circonstance.
Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 103. − [Constr. avec un compl. prép. désignant le destinataire, introd. par à] « Te lèveras-tu, charogne! » (...) son défunt les lui hurlait dans l'oreille, ces quatre mots qu'elle connaissait bien (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Noyé, 1888, p. 1155). − [Introd. un discours rapporté ou en incise] − À mort! criait la foule (...). − À mort! répétait le cavalier (...). − À mort! hurlaient les moines qui, crucifix au poing, attisaient la populace. À mort! Mettons le feu! (Borel, Champavert,1833, p. 65).Je dis à mon matelot qui ramait doucement de s'arrêter devant la petite porte de mon ami Pol. Et je hurlai de tous mes poumons : « Pol, Pol, Pol! » (Maupass., Contes et nouv., Blanc et bleu, 1885, p. 1308). ♦ [Introd. une complétive] Il a recommencé à hurler que je l'écorchais vif, et ma mère aussi, que j'étais tout son déshonneur (Céline, Mort à crédit,1936, p. 370).Sitôt qu'elle fut libre, (...) elle hurla qu'elle se confesserait quand même (Queffélec, Recteur,1944, p. 183).P. exagér., au fig. Tous les moujiks de la presse officieuse hurlaient que les bons patriotes ne devaient point s'inquiéter de choses dont s'accommodait la Russie (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 182). ♦ Hurler de + inf.Hurler à un couvreur de s'attacher (Caput 1969). Prononc. et Orth. : [yʀle] init. asp., (il) hurle [yʀl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Vx heurler encore ds Fér. 1768 comme variante. Étymol. et Hist. Ca 1385 (E. Deschamps, Miroir de Mariage, 10614 ds éd. G. Raynaud, IX, 342 : Il faut hurler avec les leux). Du b. lat. ūrulare (dissimilation du class. ŭlŭlare « hurler [chiens, loups; personnes], vociférer; appeler par des hurlements ») avec changement de ŭ
tonique en ū
peut-être pour maintenir le caractère onomat. du mot, v. Meyer-Lübke ds Z. rom. Philol. t. 22, p. 6; le h- expiratoire est également d'orig. expressive. De *ūlulare, l'a. fr. (h)ul(l)er (1178 [ms. de Cangé, fin xiiies.] Renart, éd. M. Roques, 3487, 3696); étant donné qu'une dissimilation l - l > s - l serait inhabituelle, la forme a.fr. usler (ca 1175 B. de Ste-Maure, Chron. Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 18342) se rattache prob. à uller, s étant purement graphique. Cf. FEW t. 14, p. 15a. Fréq. abs. littér. : 1 671. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 926, b) 2 540; xxes. : a) 3 717, b) 2 718. |