| HEURTER, verbe I. − Emploi trans. dir. ou indir. [Avec l'idée de choc, de rencontre] A. − 1. Toucher, entrer en contact avec (plus ou moins brutalement, et généralement de façon non intentionnelle). a) Heurter (contre) qqn/qqc.Et tout aussitôt la petite Fadette (...) heurta contre Landry, qui était assis par terre dans la brume (Sand, Pte Fad.,1849, p. 114).Il avait heurté sur le boulevard sans les reconnaître les filles Jondrette (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 877).La faucheuse avait heurté contre un obstacle (R. Bazin, Blé,1907, p. 213).La cuiller en tournant heurtait le cristal avec un bruit argentin et rassurant (Gracq, Beau tén.,1945, p. 192) : 1. Tout à coup mon bras qui s'appuyait à la haie s'est trouvé dans le vide, tandis que le sol me manquait. J'étais parvenu, sans m'en douter, au bord du talus, et j'ai heurté violemment des deux genoux et du front la surface pierreuse de la route.
Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1198. Rem. On relève la construction qqn heurte (contre) qqn/qqc. de + compl. désignant une partie du corps du sujet. Heurter qqn du coude, une poutre de la tête; heurter (contre) qqc. du pied, de la tête (supra ex.). − Emploi pronom. réfl. Qqn/qqc. se heurte à, contre qqn/qqc.Rencontrer, se cogner avec. Se heurter contre un mur, une racine, à une souche. Les yeux fixés sur les cadavres, il [Barrini] se heurtait contre les pierres, contre les arbres, contre tous les obstacles qu'il rencontrait (Mérimée, Colomba,1840, p. 148).Comme un aveugle qui a perdu son guide, je me suis heurté à tous les arbres de la route (Du Camp, Mém. suic.,1853, p. 271).Sur le boulevard, un homme qui courait à perdre haleine s'était heurté contre lui (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 39).Sylvère (...) monta deux étages, se heurta à une grosse femme (Toulet, Tendres mén.,1904, p. 129) : 2. La neige tournoyait dans le reflet des vitres (...) on la voyait se dissoudre en flocons distincts, elle tournait autour de la lumière comme des phalènes dans le halo d'un lampadaire. Il y avait une infinité de flocons, blancs et souples, qui venaient se heurter aux fenêtres et mouraient là, collés à la vive clarté.
Roy, Bonheur occas.,1945, p. 152. − Emploi pronom. réciproque. [Sans compl. indir.] S'entrechoquer. L'immense mer, dont les flots se heurtaient encore avec une incomparable violence (Verne, Île myst.,1874, p. 4).Les meubles se balançaient, les verres se heurtaient dans le buffet, la suspension oscillait et vibrait comme la lampe d'un navire (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Hérit., 1884, p. 520).Dans la rue Où sous les becs de gaz se heurte la cohue (Moréas, Syrtes,1884, p. 51).Tandis que les passants (...) se hâtent et se heurtent à l'angle des trottoirs (Lorrain, Sens. et souv.,1895, p. 231). Rem. On relève la construction se heurter de + compl. désignant une partie du corps du sujet. C'étaient deux paysans, l'homme et la femme, qui marchaient d'un pas irrégulier, en se balançant et se heurtant parfois de l'épaule (Maupass., Bel-Ami, 1885, p. 220). b) Emploi factitif. Heurter qqc. à, contre qqc.Faire entrer en contact avec. Les galères romaines (...) étaient à sec sur le sable. Il vit le flot les approcher peu à peu (...) les heurter les unes contre les autres, les briser (A. France, Clio,1900, p. 62). − [Le suj. désigne une pers.; le compl. dir. une partie du corps; le compl. indir. l'objet heurté] Heurter la tête de qqn contre un mur. Henri : Un être aimé (...) se roulait dans la nuit du sépulcre, heurtant sa tête à l'angle d'une tombe (Dumas, père, C. Howard,1834, III, 4, p. 272).A-t-elle heurté son front aux meubles en retenant dans sa gorge des cris affreux de désespoir? (Maupass., Contes et nouv., t. 2, MmeHermet, 1887, p. 1128). ♦ Emploi pronom. réfl. indir. D'un saut terrible, il alla se heurter la tête contre la muraille (Zola, Assommoir,1877, p. 792).Le précepteur sauta dans le gouffre, et ne reparut pas, s'étant heurté le crâne au fond (Maupass., Contes et nouv., t. 2, En voy., 1883, p. 327).Il tomba contre la porte qui s'ouvrit et il roula jusqu'au comptoir où il se heurta le front (G. Leroux, Roul. tsar,1912, p. 125).[Sans compl. indir.] Tu es comme un homme qui, s'étant heurté la tête en marchant, regarde toujours en l'air et se croit en sûreté (Soulié, Mém. diable, t. 2, 1837, p. 57). Rem. On relève un emploi factitif avec un compl. dir. désignant une pers. Cette ruée de Paris dont la fièvre les charriait, les heurtait en une ardente bousculade (Zola, Paris, t. 1, 1897, p. 50). SYNT. Heurter qqn en pleine poitrine, en passant; heurter contre qqn au coin d'une rue; heurter un mur, une pierre, la table, la vitre; son pied, sa tête heurte qqc., contre qqc.; navire qui heurte un écueil; heurter sa tête contre une poutre; heurter durement, rudement, violemment, vivement; aller, faillir, venir heurter. 2. En partic., vieilli. [Le compl. dir. ou indir. désigne une porte, etc.] Frapper (pour se faire ouvrir, attirer l'attention). Je heurte à la porte, elle était fermée; j'appelle, Hingant est quelque temps sans répondre; il se lève enfin et m'ouvre (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 444).Un rassemblement colère, qui heurte les volets fermés d'un épicier (Goncourt, Journal,1870, p. 619).Je me précipitai sur le mur que je heurtai à coups de poing, de toute ma force, en vociférant : « Au secours, au secours! » (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Nuit de Noël, 1882, p. 865) : 3. Joseph, après s'être essuyé les pieds sur un confortable tapis brosse, heurta le battant de la porte. Trois coups nets et rapprochés, suivis, à quelque distance, d'un battement solitaire. Pas un de plus, pas un de moins. Un signal bien étudié. La porte ne tarda pas à s'ouvrir et Joseph entra...
Duhamel, Passion J. Pasquier,1945, p. 142. − [Le compl. dir. désigne ce qui sert à frapper] Le moine s'arrêta devant une maison (...) et ayant heurté le marteau contre la porte, il attendit (A. France, Thaïs,1890, p. 50). − Au fig. Heurter à toutes les portes. Synon. frapper* à toutes les portes. − Emploi abs. Toi qui heurtes au nom du passé Entre! (Régnier, Poèmes anc.,1890, p. 207).L'homme heurtait toujours en haletant et en bégayant des insultes. Le panneau tenait bon, les gonds ne lâchaient pas (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 38). B. − Au fig. 1. Atteindre, rencontrer; buter contre. Gabrielle à son père : Il me vient dans l'esprit des idées qui me heurtent et s'enfuient comme les oiseaux le soir à nos croisées, je ne peux pas les retenir (Balzac, Enf. maudit,1831-36, p. 416).L'écueil des subtilités métaphysiques, contre lequel le christianisme alla heurter dès le iiiesiècle, ne fut nullement posé par le fondateur (Renan, Vie Jésus,1863, p. 48).Le délire tumultueux des images qui heurtaient sa tête brûlante (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1586).Dans les yeux de Jacques, son regard venait de heurter quelque chose de dur, comme un refus (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1287) : 4. Poète est aussi celui qui cherche le système intelligible et imaginable, de l'expression duquel ferait partie un bel accident de langage : tel mot, tel accord de mots, tel mouvement syntaxique, − telle entrée, − qu'il a rencontrés, éveillés, heurtés par hasard, et remarqués, − de par sa nature de poète.
Valéry, Tel quel I,1941, p. 146. − Emploi pronom. réfl. Qqn se heurte à, contre qqc.Se heurter à un souvenir douloureux, à un mauvais rêve; se heurter à l'impossible, contre l'impossibilité d'accomplir qqc.; se heurter à une consigne sévère. Fernande (...) s'était heurtée à la misère noire, aux bottines qu'on ne savait comment remplacer (Zola, Travail, t. 1, 1901, p. 92).Paris est une collection de villes autonomes et incommunicables dont chacune conserve jalousement ses traditions et ses familles. Tel groupe est bourguignon (...). Ailleurs, on se heurte à des coutumes venues en droite ligne de la Restauration (Estaunié, Ascension M. Baslèvre,1919, p. 7).Durant ses séjours à Limoges, Jean se heurte partout à l'image de Nathalie (Chardonne, Dest. sent., II, 1934, p. 234).Dans la logique d'un système où le dedans des choses a juste autant, ou même plus de valeur que leur dehors, nous nous heurtons de front à la difficulté (Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 59) : 5. Je ne parviens pas à croire à un plan cosmique, où l'animal humain aurait un rôle privilégié. Je me suis trop heurté aux absurdités, aux contradictions de la nature, pour admettre une harmonie préexistante. Aucun Dieu n'a jamais répondu aux appels, aux interrogations de l'homme. Ce qu'il prend pour des réponses, c'est seulement l'écho de sa voix. Son univers est clos, limité à lui.
Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 971. − [P. méton. du suj., sans compl. indir.] Son amour-propre [de Chateaubriand] se heurta et se blessa partout (Thibaudet, Réflex. crit.,1936, p. 26). 2. Emploi factitif. Heurter qqc. à, contre qqc.Faire rencontrer avec. Un souffle de tempête qui précipitait les événements à leur conséquence, qui heurtait les idées contre les faits (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 246). II. − Emploi trans. dir. [Avec l'idée de désagrément, d'opposition, de résistance] Causer un choc moral, faire obstacle, opposition (généralement d'une manière choquante, brutale ou maladroite qui entraîne une réaction négative). A. − Heurter qqn.Synon. de blesser, contrarier, contrecarrer.Heurter qqn de front (v. front C 1); heurter qqn en qqc., en faisant qqc.; attitude, discours, paroles, propos qui heurte(nt) qqn. Rose-Marie-Victoire craignait tant, en déplaisant à son époux, en le heurtant, de le désaffectionner, d'être privée de sa compagnie, qu'elle lui aurait sacrifié tout, même son oncle (Balzac, Vieille fille,1836, p. 396).Ils me heurtent quelquefois par leur trop de franchise, mais quand ils seront hommes, c'est-à-dire hypocrites, je regretterai l'époque de leur franchise (Montherl., Reine morte,1942, II, 1ertabl., 3, p. 180).Ce qui me heurte en cette affaire (...) ce n'est pas la nature un peu exceptionnelle de la contribution, mais que les formes légales n'aient pas été respectées (Aymé, Passe-mur.,1943, p. 178) : 6. Nous avons contracté cette curieuse habitude de tenir pour médiocre tout artiste qui ne commence par choquer et par être suffisamment injurié ou moqué. Qui ne nous heurte ou ne nous fait hausser les épaules est imperceptible.
Valéry, Degas,1936, p. 106. ♦ Emploi pronom. réfl. Qqn se heurte à qqn.S'opposer à, s'affronter avec. Se heurter de front à qqn. La fille, elle [la mère] n'avait jamais pu s'accorder avec elle, blessée de se heurter à son propre sang, à une gaillarde active (Zola, Terre,1887, p. 28).Le fils du Krüger de 1836, devenu Président du Transvaal, s'était heurté à Cecil Rhodes, prophète de l'impérialisme britannique (Maurois, Édouard VII,1933, p. 23).Cette fois, les conspirateurs se heurteraient à quelqu'un dont ils ont cru se servir (Mauriac, Nouv. Bloc-notes,1961, p. 168) : 7. Les deux générations [Mrs Van Norten et Rhoda] s'affrontèrent. Celle de la guerre du rhum, de la monte à califourchon, des huit cylindres, de la nudité et de Harlem se heurtant à celle des amazones, des loges entre colonnes, de la guerre de Cuba, de la Cinquième Avenue et de la promenade en victoria après la grand'messe.
Morand, Champions du monde,1930, p. 186. − En partic., notamment dans le domaine militaireSe battre, livrer bataille. Pour que l'ennemi ne les eût pas attaqués, vingt-quatre heures après l'escarmouche de Grand-Pré, il fallait que le 4ehussards s'y fût heurté simplement à quelque reconnaissance de cavalerie (Zola, Débâcle,1892, p. 109).On s'est heurté aux arrière-gardes allemandes (Foch, Mém., t. 1, 1929, p. 137).Si l'on excepte l'incident qui s'est produit ce matin (...) aux abords du tribunal militaire où des manifestants se sont heurtés aux forces de police, le calme règne, en fait, dans la Régence (Figaro,19-20 janv. 1952, p. 7, col. 5). ♦ Emploi pronom. réciproque. S'opposer, s'affronter. C'était comme une arène où les champions de toutes les philosophies se heurtaient dans un tournoi gigantesque (Maupass., Dr H. Gloss,1893, p. 112).Une discussion où il savait d'avance qu'Odette et lui se heurteraient (Bourget, Drame,1921, p. 79) : 8. Je suis sûr qu'à Roscaër Irène et lui se sont quittés ennemis. Ils se sont heurtés comme deux êtres d'une race différente. Et certainement les hostilités n'en resteront pas là.
Gracq, Beau tén.,1945, p. 85. B. − [P. méton. du compl.] 1. [Le compl. désigne un affect, la prise de position de qqn] Synon. de blesser, choquer, contrarier.Heurter qqc. en, chez qqn; heurter la délicatesse, la douleur, les espérances, la manière d'être de qqn. Il heurtait tous ses instincts, la blessait, l'épouvantait, la rendait véritablement malheureuse (Zola, Ventre Paris,1873, p. 761).Des garçons qui ne se souciaient pas de plaire et heurtaient sans le savoir une pudeur glacée chez la jeune fille, ce camarade étranger (Chardonne, Dest. sent., III, 1936, p. 191).Mon projet va heurter de front les prétentions des partis (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 240) : 9. Par moments, et sur un mot qui heurtait ses idées, il s'exaltait, s'emportait, et peu à peu, sur le même sujet, redevenait calme et presque indifférent, comme s'il n'eût pas jugé l'objet de la contestation digne d'un effort.
Du Camp, Mém. suic.,1853, p. II. − Emploi pronom. réciproque. Babel effrénée, pandémonium où se heurtent les énergies, les appétits, les détresses de vingt races en fusion dans le même creuset (Loti, Vertige mond.,1917, p. 196). 2. En partic., dans le domaine de la perception auditive ou visuelle. [Le suj. désigne une couleur ou un son; le compl. les yeux ou l'ouïe] Synon. de choquer, écorcher (les oreilles).Le cri rauque des vieux verrous rouillés heurta rudement son oreille (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 493).Des contours adoucis où rien ne heurte la vue (Loti, Jérusalem,1895, p. 25).On ne saurait nier, certes, que nous ne possédions une ouïe assez fine et que heurtent les dissonances (Arnoux, Roy. ombres,1954, p. 99).Emploi passif. L'œil était heurté vigoureusement par le poudroiement de la lumière sur les pierres blanches (Gracq, Argol,1938, p. 29). Rem. On relève a) Un emploi avec un suj. et un compl. désignant une couleur, au sens de « toucher en produisant une impression désagréable ». Un certain azur publicitaire glorifie l'horlogerie nationale, heurte un vert d'absinthe dont la friction l'exalte (Colette, Fanal, 1949, p. 26). b) La construction qqn heurte une couleur contre une couleur, au sens de « mettre en contact en produisant une impression désagréable ». Le goût (...) de Berard qui (...) heurte contre des bleus clairs un rouge à peine mûr (Id., Jumelle, 1938, p. 86). C. − Heurter qqc.[Le compl. désigne des institutions, des usages établis, une entité abstr., une chose quelconque] Affronter. Heurter les bienséances, la justice, la raison. Une constitution républicaine heurtoit des constitutions royales (Chateaubr., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 52).Cependant il se décida, ne voulant pas heurter les usages reçus (Gyp, Mar. civil,1892, p. 155).Pédéraste, dit-on [un jeune homme] ou qui s'en donne l'air pour ne pas heurter la mode, ce que je trouve pire (Arnoux, Crimes innoc.,1952, p. 199) : 10 ... on n'a jamais plaidé avec plus de hauteur [que Goethe], et de passion le droit qu'a l'œuvre, fille immortelle du génie, d'éclore à son heure, de jaillir du divin cerveau, et de vivre, dût-elle, en entrant, heurter quelques convenances établies, et froisser quelques susceptibilités même légitimes.
Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 11, 1855, p. 310. − Emploi pronom. réfl. Qqc. se heurte à, avec qqc.S'opposer à. Les idiomes rustiques reparurent et prirent le dessus : ils se heurtèrent avec les idiomes des vainqueurs, et, même en en triomphant, ils se décomposèrent (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 5, 1851, p. 17).La brise de terre se heurte à celle de mer (Morand, Lewis,1924, p. 188). − Emploi pronom. réciproque. Il est impossible que la nature dans l'infinie variété de ses combinaisons, se contredise; que les lois se heurtent, qu'une série soit la négation d'une autre série (Proudhon, Créat. ordre,1843, p. 294).Dans ma pensée et dans mon cœur ce remous d'objections qui se heurtent sans se détruire (Mauriac, Nouv. Bloc-notes,1961, p. 107) : 11. Laure avait tant fait que son père ne savait plus à quoi s'arrêter; elle était revenue tant de fois à la charge, que la tête du grand industriel ressemblait à une arène où les pensées les plus contraires se choquaient, se heurtaient avec acharnement et s'entre-détruisaient comme des bêtes fauves.
Sandeau, Sacs,1851, p. 24. D. − Emploi abs. Ce qui heurte. Il y a des négligences et quelques incorrections [dans une ode de P. Lebrun], rien qui heurte ni qui choque (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 6, 1863, p. 135).Ma dernière chronique a déplu, heurté, choqué (Léautaud, Théâtre M. Boissard,1926, p. 349).Si d'aventure le livre qu'on publie ne heurte pas assez, on y ajoutera une préface pour insulter (Sartre, Sit. II,1948, p. 162). III. − Emploi pronom. A. − réfl., v. supra I B 1. B. − [En parlant des sons ou des couleurs] Faire un contraste violent avec. ♦ Emploi pronom. réfl. Les terminaisons ioniennes se heurtaient aux consonnes du désert, âpres comme des cris de chacal (Flaub., Salammbô, t. 1, 1863, p. 4). ♦ Emploi pronom. réciproque. Les effets de voix et d'instruments s'y croisent [dans la Nuit du Sabbat ]dans tous les sens, se contrarient, se heurtent (Berlioz, Souv. voy.,1869, p. 77).Les cuivres éclatent comme des boîtes d'artifice; les tonalités se heurtent, les modulations s'entrechoquent avec un bruit de tempête (Saint-Saëns, Harm. et mélod.,1885, pp. 228-229).Luxe d'acteurs (...). Tous les rouges s'y accordent et s'y heurtent (Cocteau, Monstres sacrés, t. 2, 1940, p. 46).[Le] Grand Canyon (...) les photographies nous font voir un bariolage de couleurs crues et brutales qui se heurtent dans un soleil éclatant. En réalité, le monstre est tout en tons de pastels (Green, Journal, t. 4, 1943-46, p. 140). REM. Heurteur, -euse, subst.Celui, celle qui heurte. Il réagit contre les heurteurs, ceux qui écrasaient ses pieds. Ceux qui le poussaient de l'épaule (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 222). Prononc. et Orth. : [œ
ʀte] init. asp., (il) heurte [œ
ʀt]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Verbe intrans. a) 1119 hurter « entrer rudement en contact avec » (Ph. de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 1494); b) ca 1135 hurter a la porte (Couronnement Louis, éd. E. Langlois, 433-434); c) fig. ca 1180 hurter « contrecarrer » (G. de Berneville, Gilles, éd. G. Paris et A. Bos, 3478); d) 1752 dessein heurté peint. (Trév.). II. Verbe trans. a) ca 1160 hurter « rentrer rudement en contact avec » (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 5743); fin xives. heurter (Geu St Denis, éd. B. J. Seubert, 411); b) fig. ca 1280 hurter « contrecarrer, contrarier quelqu'un » (Clef d'amour, éd. A. Doutrepont, 306); 1668 heurter de front (Molière, L'Avare, I, 5). III. Verbe pronom. 1. réfl. ca 1170 soi hurter a « se cogner à » (Béroul, Tristan, éd. E. Muret4, 4482); 2. réciproque a) 1155 sei entrehurter (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 2460); b) av. 1662 se heurter « se contrarier mutuellement » (Pascal ds Lar. 19e); c) 1752 couleurs qui se heurtent peint. (Trév.). Prob. dér. de l'a. b. frq. *hûrt que l'on peut restituer d'apr. l'a. scand. hrûtr « bélier » [le verbe aurait donc signifié proprement « cogner à la façon d'un bélier »]; dés. -er. La forme heurter, attesté dep. la fin du xives., a triomphé au xvies. (cf. heurt, heurtement, heurtoir attestés tous les trois d'abord avec la voyelle -u-), époque où u s'est ouvert en oe devant r, surtout en Picardie, mais aussi à l'Est et à l'Ouest (v. Fouché, p. 350). Fréq. abs. littér. : 2 083. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 699, b) 2 611; xxes. : a) 3 456, b) 3 931. Bbg. Frings (T.), Wartburg (W. von). Fr. und fränkisch. Z. rom. Philol. 1951, t. 67, p. 173. |