| HEURT, subst. masc. A. − Rencontre, choc (plus ou moins brutal). 1. [Avec un obstacle gén. matériel] a) [Avec des pers.] Non seulement la bousculade ne me divertit pas de mon obsession, elle la renforce; chaque heurt, chaque coup de coude chaque compression la resserrent et l'enclouent (Arnoux, Paris,1939, p. 25). b) [Avec des choses] Heurts légers, violents; au moindre heurt; les heurts sonores des battoirs; le heurt du marteau. Le silence de la grande pièce où sonnaient seulement les petits heurts de l'argenterie et des assiettes (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Inutile beauté, 1890, p. 1153).Les coups de sifflet, maintenant pressés, scandaient le heurt des souliers sur les degrés de bois (Duhamel, Notaire Havre,1933, p. 74).On était en pleine chimère et, selon les règles de tout irréel, le heurt avec la dure vérité des choses, un jour ou l'autre, viendrait bien (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 188) : 1. ... l'arbre (...) [qu'on abattait], décrivit son immense quart de cercle. Les hommes prirent la fuite. Dans un heurt sourd qui fit trembler le sol, tout l'espace libre fut découvert d'un bondissement de branches cassées par un tonnerre, de feuilles secouées par un ouragan.
Châteaubriant, Lourdines,1911, p. 16. Rem. La plupart des dict. enregistrent un emploi rare au sens de « marque laissée par un choc ou un coup ». Ce cheval a un heurt à un pied de devant (Ac. 1935). 2. Au fig. ou p. métaph. a) Dans le domaine intellectuel (vx).Le heurt que le Génie du Christianisme donna aux esprits, fit sortir le dix-huitième siècle de l'ornière, et le jeta pour jamais hors de sa voie (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 46).Rousseau a donné un heurt à l'esprit français, à l'imagination française (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 7, 1864, p. 374). b) Dans le domaine moral ou sentimental.Émotion brutale. MmeArnoux ôta son chapeau. La lampe, posée sur une console, éclaira ses cheveux blancs. Ce fut comme un heurt en pleine poitrine. Pour lui cacher cette déception, il se posa par terre à ses genoux (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 280).Il eut un heurt violent au cœur : l'orchestre s'était arrêté net, au milieu d'une mesure (Rolland, J.-Chr., Aube, 1904, p. 102). B. − Opposition, affrontement. 1. [Entre des pers.] Désaccord, antagonisme. Ils vivaient, côte à côte, attentifs l'un à l'autre. Il n'y avait entre eux ni heurt ni dissonance : peut-être parce qu'il n'y avait ni contact ni accord (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 75). − Gén. au plur. Querelle, dispute. Des heurts continuels les eussent fait se séparer bientôt, sans la naissance de deux enfants, qui pourtant ne ramenèrent pas la concorde. Le ménage continua d'aller cahin-caha (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 12). − P. méton. Par crainte d'un heurt avec le pouvoir exécutif, la législature n'osa affirmer ce droit incontestable (Tocqueville, Corresp. [avec Henry Reeve], 1851, p. 121).Une passion (...) affaiblie et comme usée par un heurt quotidien, par un frottement continu des caractères (Huysmans, Sœurs Vatard,1879, p. 282).Un de ces duels d'idées que provoque chez les intelligences philosophiques le heurt avec un écrivain de grand talent qui contredit leurs convictions les plus chères (Bourget, Actes suivent,1926, p. 66) : 2. Ils étaient mariés à peine depuis trois mois, et une sourde désunion grandissait entre eux. C'était le heurt de deux tempéraments, de deux éducations différentes, un mari maussade, méticuleux, sans passion, et une femme poussée dans la serre chaude du faux luxe parisien, vive, saccageant l'existence, afin d'en jouir toute seule, en enfant égoïste et gâcheur.
Zola, Pot-Bouille,1882, p. 225. − En partic. Affrontement, combat. Le maréchal évoque la guerre civile. S'il entend par là le heurt violent de deux fractions du peuple français, l'hypothèse est tout à fait exclue (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 320). ♦ Au plur. Le 6 au matin, des escarmouches se produisent entre quelques milliers de manifestants et la police. Dans l'après-midi après le meeting qui s'est tenu à la Faculté des Sciences, des heurts violents ont lieu rue Saint-Jacques et place Maubert notamment (Ph. Labro, M. Manceaux, Ce n'est qu'un début, Paris, Éd. et Publ. premières, 1968, p. 98). 2. [Entre des choses] Discordance, contraste. V. désenchanteur ex. 1. − En partic. [Entre des sons ou des couleurs] Contraste violent, désagréable. Les heurts des syllabes. Les teintes violentes, les heurts farouches des tons, les séditions brusques de la couleur (Bloy, Femme pauvre,1897, p. 217).Le fait que tout le monde improvise en se guidant sur la même trame harmonique, empêche déjà bien des heurts, bien des discordances (Panassié, Jazz hot,1934, p. 64) : 3. ... un arpège qui descend et remonte sur une tenue d'accord, dont la tonalité de la bémol majeur, suspendue dans une attente à voix basse, se résorbe sans heurt et sans éclat en la tonalité de sol mineur...
Rolland, Beethoven, t. 2, 1937, p. 457. Prononc. et Orth. : [œ:ʀ] init. asp. Pas d'aspiration ds Dub. ni Lar Lang. fr. On ne fait plus sentir le [t] final à partir de Littré et on prononce le mot comme court [ku:ʀ]. Le [t] est, encore, noté ds Fér. Crit. t. 2 1787, Land. 1834, Gattel 1841, Nod. 1844, Besch. 1845. Att. ds Ac. dep. 1694. Homon. heur, heure. Étymol. et Hist. 1. a) 1remoitié du xiies. hurt « choc, coup donné en heurtant » (Psautier Cambridge, 114, 9 ds T.-L.); b) ca 1450-86 heurt « id. » (G. Alexis, Martyrologue des faulses langues, 111 ds
Œuvres poétiques, éd. A. Piaget et E. Picot, II, 315); 2. fig. a) av. 1846 le heurt des sons de l'harmonie (Cormenin ds Besch.); b) 1882 le heurt de deux tempéraments (Zola, loc. cit.). Déverbal de heurter*. Fréq. abs. littér. : 293. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 24, b) 333; xxes. : a) 636, b) 663. |