| HEUREUX, -EUSE, adj. I. − [Heureux est gén. antéposé] Favorisé par le hasard, le destin ou la nature. A. − [En parlant du destin ou de ce qui s'y rattache] Qui apporte ou annonce quelque chose de favorable, de positif. Heureux auspices, présage, sort; heureuse étoile, fortune. Ce que le sort refuse presque toujours aux pauvres mortels, c'est une destinée heureuse dont les circonstances se succèdent et s'enchaînent selon nos souhaits (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 268).Quel groupe chargé seul des sorts funestes, quand de partout ailleurs s'apprêtait l'Empire et qu'on regorgeait d'heureux augures et de messages fastueux! (Sainte-Beuve, Volupté, t. 3, 1834, p. 74).Ma vie était tranquille et simple, − (...) un chef-d'œuvre de clarté, d'heureux hasard −, loin d'apprécier cette chance qui tenait tous les passages à niveau ouverts devant moi, elle tenait uniquement à connaître mes heures obscures (Giraudoux, Simon,1926, p. 104) : 1. ... peut-être l'homme est-il plus fier de gagner par heureuse chance que de bien jouer. Ce qu'exprime le mot féliciter; car féliciter c'est proprement louer le succès, et non pas le mérite. Antique idée de la faveur des dieux, qui survit aux dieux. Si l'homme n'était pas ainsi, la justice égalitaire régnerait depuis longtemps, car ce n'est pas difficile. Mais l'homme n'aime guère ce qui n'est pas difficile.
Alain, Propos,1921, p. 303. B. − [À propos d'une pers.] 1. Qui est favorisé par le destin en général. Synon. chanceux, fortuné.Heureux coquin. Long-temps des camps rivaux le succès est égal : Enfin l'heureux vainqueur donne l'échec fatal, Se lève, et du vaincu proclame la défaite (Delille, Homme des champs,1800, p. 42).Bernadotte, par exemple, un des plus heureux parmi les aventuriers de la Révolution, devenu prince royal de Suède par un concours de circonstances extraordinaires (Bainville, Hist. Fr., t. 2, 1924, p. 134). − Locutions ♦ Avoir la main heureuse. Avoir la chance de faire un bon choix. Mon expérience est ratée (...). Je n'ai pas eu la main heureuse. Je suis tombé sur un de ces ecclésiastiques fatigués que rien n'intéresse plus (Duhamel, Journal Salav.,1927, p. 159). ♦ Être heureux au jeu, en affaires/en amour, etc. Avoir de la chance en tel domaine. ♦ Être plus heureux que sage/plus heureux qu'un honnête homme. Avoir plus de chance que de sagesse ou d'honnêteté : 2. Par un de ces hasards qui déconcertent pour long-tems toutes les règles de la prudence, tous les raisonnemens de la sagesse, il avait gagné son terne et fait fortune. J'étais encore d'humeur à lui faire un sermon, mais il n'était plus d'humeur à l'entendre; je me bornai à le féliciter d'avoir été plus heureux que sage.
Jouy, Hermite, t. 1, 1811, p. 268. ♦ Être assez/bien/trop heureux de (+ subst. ou inf.)/pour (+ inf.)/que (+ prop. au subj.). Être assez (...) chanceux pour (...). Le bonheur promis à la femme assez heureuse pour toucher M. de Senneterre (Fiévée, Dot Suzette,1798, p. 27). ♦ S'estimer bien/très (...) heureux de (en être quitte/s'en tirer à si bon compte, etc.). S'estimer bien (...) chanceux de (...). Elle se serait estimée très heureuse, si une catastrophe n'avait une fois encore bouleversé son budget (Zola, Bonh. dames,1883, p. 538).V. compte II C 3 a, Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 245.[Exclamativement] (Bien/encore/trop, etc.) heureux (de) (+ subst. ou inf.) /lorsque/quand/si (+ prop.).Elle se donnerait à lui, à jamais, trop heureuse de son esclavage (Arland, Ordre,1929, p. 415).Heureuse encore lorsque l'irréflexion et l'ignorance sont assez complètes chez elle, pour la dérober au sentiment de ses maux (Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 219).Trop heureuses quand sa faveur infinie veut bien choisir cette âme parmi celles que nous avons aimées (Péguy, Myst. charité,1910, p. 160).Heureux si leurs fusées retombent comme des épées et satisfont un besoin de cruauté dont ils professent qu'il est le signe des âmes nobles (Benda, Trah. clercs,1927, p. 216). − Expr. proverbiale. Heureux au jeu, malheureux en amour ou Malheureux au jeu, heureux en amour (voir amour ex. 155). − Emploi subst. Les heureux du jour, de ce monde/de la terre, etc. Ceux qui jouissent d'un sort favorable, qui sont comblés de biens. Il est bon d'apprendre quelquefois aux heureux de ce monde, ne fût-ce que pour humilier un instant leur sot orgueil, qu'il est des bonheurs supérieurs au leur, plus vastes et plus raffinés (Baudel., Poèmes prose,1867, p. 60).Je n'entends jamais sans colère les heureux du siècle accuser de basse jalousie et de honteuse concupiscence le sentiment qu'éprouve l'homme du peuple devant la vie plus distinguée des classes supérieures (Renan, Avenir sc.,1890, p. 83). ♦ Absol. La mort, si redoutée des heureux, n'est, pour les infortunés, qu'une pâle et froide amie (Dumas père, Lorenzino,1842, I, 11, p. 209). 2. Qui est favorisé par la nature, doué de qualités exceptionnelles; qui a le privilège de pouvoir s'adapter facilement aux circonstances ou d'entretenir des relations agréables avec autrui. Heureux caractère, dons, naturel; heureuse constitution. La petite avait les plus heureuses dispositions, elle apprit avec tant de facilité, qu'elle devint bientôt plus forte que je ne l'étais (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 107).Je ne me fais pas une vertu de ma circonspection invincible autant qu'involontaire (...) elle n'est pas en harmonie avec des natures plus heureuses, plus aimables, plus faciles, plus naïves, plus abondantes, plus communicatives que la mienne (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 469).Luce Lanthenay aussi, qui possède (...) un de ces heureux teints blancs et roses inattaquables (Colette, Cl. école,1900, p. 177) : 3. ... l'éducation et l'habitude peuvent faire des hommes toujours sereins, gais, heureux, dispos en toute rencontre, faisant aisément les choses les plus difficiles, portant allégrement le poids des affaires les plus épineuses. Mais cette heureuse disposition d'esprit tient bien plus au tempérament et au caractère qu'à l'étude et à l'éducation.
Maine de Biran, Journal,1815, p. 95. 3. Qui s'attire la faveur de telle personne ou de tel groupe. Le maître autrefois honoré, rival heureux de Charcot vieillissant (Bernanos, Joie,1929, p. 638). − En partic., domaine des relations amoureuses. Qui obtient les faveurs de telle personne. L'enivrement naïf et subit de celle qui aime, ne se croit point aimée, s'est déjà résignée à voir passer devant elle une rivale heureuse et triomphante, et apprend tout à coup que cette rivale n'existe pas (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 566).Tous avaient été les amants heureux de celle qu'il idolâtrait vainement. (...) tous elle les avait adorés, tous elle les lui avait préférés (Gobineau, Pléiades,1874, p. 270). C. − [En parlant d'une chose] 1. [En parlant d'un événement, d'un trait de l'activité hum.] Qui apporte un avantage quelconque, qui a une conclusion satisfaisante, des conséquences positives (souvent à l'encontre de toutes prévisions). On voit arriver les fils de Borée, qui annoncent qu'ils ont donné pour toujours la chasse aux Harpies (...). Cette heureuse nouvelle comble de joie toute l'assemblée (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 256).La guerre heureuse que les Anglais terminèrent par la paix de 1763 (Say, Écon. pol.,1832, p. 390).Une intervention heureuse du 9ecorps, qui vient à point dégager la gauche du 11e(Foch, Mém., t. 1, 1929, p. 112).V. classer ex. 5 et délicieusement ex. SYNT. a) Heureux effet(s), résultat(s), succès; heureuse(s) conclusion, conséquences, fin, issue, tournure. b) Heureux accident, coup, crime, retour; heureuse(s) arrivée, chute, circonstance(s), diversion, occasion, rencontre, surprise. − [Dans une formule de politesse] (Je vous souhaite une) bonne et heureuse année/je vous la souhaite bonne et heureuse; (je vous souhaite un) heureux voyage, etc. Je vous souhaite une bonne et heureuse année. Fasse le ciel que tout ce que vous entreprenez pour votre bonheur vous réussisse et que tous vos travaux soient couronnés d'un heureux succès (M. de Guérin, Corresp.,1826, p. 10). − Locutions ♦ Ce qui arrive, survient d'heureux. L'intérêt vif et frais qu'il prenait à tout ce qui leur arrivait d'heureux ou de malheureux (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 553). ♦ Vx. Être heureux à. Être utile à. Elle ne vous aime pas, non plus que vous ne l'aimez, ce qui est bien la meilleure condition pour que votre union soit heureuse à l'État (Montherl., Reine morte,1942, I, 1ertabl., 3, p. 146). ♦ [Exclamativement et parfois avec une nuance iron.] C'est (trop) heureux. Oh! seulement si de sa trahison Nous avions (...) une seule apparence! Ce seroit trop heureux! (Laya, Ami loix,1793, II, 3, p. 36).C'est (bien) heureux pour vous. − (...) Avez-vous envoyé à Bâle? − Non, Sire. − Ce sera heureux pour vous; s'il en était autrement (...) vous péririez (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 477).C'est heureux, car (+ prop.).Il voulait avoir tout le monde sur le pont, aux postes de veille. C'était heureux, car depuis la séance louftingue avec le Bulgare, j'étais plutôt distrait (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 226).Il est heureux que (+ prop.).Il est heureux (...) qu'avec ces dispositions, je n'aie jamais songé au mariage (Delacroix, Journal,1853, p. 12).Pop. et fam. [P. ell. du verbe être] Encore heureux de (+ subst. ou inf.)/que (+ prop.).Pour le tirage au sort, j'ai amené un treize... Encore heureux que j'ai pas parti... (Méténier, Lutte pour amour,1891, p. 30).Ils ont pour moi tous les mépris. Encore heureux de pas être viré (Céline, Mort à crédit,1936, p. 18). 2. En partic. a) Domaine esthétique ou intellectuel.Qui présente (par hasard ou comme par l'effet du hasard) un caractère harmonieux, un ensemble de qualités correspondant à certains critères d'appréciation. Fécondité de cette fusion entre les deux types de pensée. (...) cas heureux et réussis du cosmopolitisme contemporain (Bourget, Nouv. Essais psychol.,1885, p. 262).L'examen intérieur de chaque mot afin de vous offrir le cadeau exquis d'une expression plus heureuse, la plus jolie et la plus juste (Blanche, Modèles,1928, p. 156).L'art vient de connaître une ère éblouissante de triomphes et une série trop heureuse de réussites et de beaux coups, qui semblent avoir épuisé toutes les chances et d'avance appauvri toute génération qui suit immédiatement une génération trop favorisée (Valéry, Variété II,1929, p. 164) : 4. Elle [la maison] rit dans un jardin planté d'essences de tous pays, semé de corbeilles rutilantes, dont l'ordonnance est si heureuse que des perspectives s'y déploient comme dans un parc, où les allées fuient, et si harmonieux le dessin que les arbres y sont posés juste où ils doivent acquérir à l'œil toute leur stature et rendre toute leur beauté.
Pesquidoux, Livre raison,1932, p. 210. SYNT. Heureux accord, choix de mots; heureuse alliance de mots; heureux équilibre, tour, trait; heureuse combinaison, expression, formule, idée, trouvaille. b) Domaine moral.Qui exerce (inopinément) un rôle bénéfique, qui suscite (parfois contre toute attente) un jugement favorable. Heureuse influence. Cette heureuse ignorance, cette imprévoyance des maux, cette incuriosité qui, comme dit le bon Montaigne, est un chevet si doux, si sain (Florian, Fables,1792, p. 29).L'heureuse et bienfaisante pensée, de fonder en cette ville un prix de vertu qui serait un précieux encouragement (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Rosier MmeHusson, 1887, p. 691).L'heureuse infidélité d'Orberose devait bientôt sauver le héros d'un grand péril et assurer à jamais sa fortune et sa gloire (A. France, Île ping.,1908, p. 102) : 5. ... longtemps retenue dans le sombre empire du vice, l'âme en sort par une heureuse délivrance, et s'efforce de rentrer dans le domaine de la vertu. Le poète s'est plu à décrire (...) ce pèlerinage satisfactoire, cette route frayée par la miséricorde.
Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 147. − [Dans une formule honorifique, pour rendre hommage à un défunt] (Un tel, une telle) d'heureuse mémoire. Élisabeth d'heureuse mémoire, en son vivant duchesse de Thuringe, est sainte (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 300). − RELIG. CHRÉT. [P. réf. à la liturgie romaine de la vigile pascale] Heureuse faute qui nous valut un tel Sauveur. Le Verbe s'était fait chair pour nous guérir des suites de la première faute (...)! Grâce à lui nous pouvons bénir « l'heureuse faute », si magnifiquement réparée. O Felix culpa! (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4,1920, p. 399). 3. [En parlant d'un phénomène naturel, d'un site géographique] Qui est naturellement bien formé ou disposé, qui offre des conditions propices. Heureux climat; heureuse saison, situation. L'œil satisfait y voit croître des plantes plus vigoureuses et plus heureuses là qu'ailleurs (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 24) : 6. Nous étions devant Bayruth (...) devenue colonie romaine sous Auguste, qui lui donna le nom de Felix Julia. Cette épithète d'heureuse lui fut attribuée à cause de la fertilité de ses environs, de son incomparable climat, et de la magnificence de sa situation. La ville occupe une gracieuse colline qui descend en pente douce vers la mer...
Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 169. II. − [Heureux est gén. postposé] Qui se trouve dans un état de bonheur. A. [En parlant d'une pers.] Qui goûte la satisfaction d'avoir pu accomplir totalement ses désirs, épanouir harmonieusement sa personnalité. Être le plus heureux des hommes, la plus heureuse des femmes; être heureux ensemble/icibas. Quant aux poëtes, les plus heureux en apparence, les plus charmés du séjour de la terre ont, au milieu de leurs joies, des accents d'une profonde mélancolie (P. Leroux, Humanité, t. 1, 1840, p. 10).Les gens heureux n'ont pas le droit d'être optimistes : c'est une insulte au malheur (Renard, Journal,1903, p. 839).Peut-être qu'il vaut mieux ne pas être trop heureux : c'est seulement dans la peine qu'on comprend la peine de toute vie (Pourrat, Gaspard,1931, p. 113).Surtout un délicieux garçon comme lui (...). C'est un ange... Comme tu vas être heureuse, gâtée, comblée (Anouilh, Sauv.,1938, I, p. 153).V. bonheur ex. 8 : 7. Le secret pour être heureux c'est de savoir jouir à table, au lit, d'être debout, d'être assis, jouir du plus proche rayon de soleil, du plus mince paysage, c'est-à-dire aimer tout : de sorte que pour être heureux, il faut déjà l'être − pas de pain sans levain.
Flaub., Souv.,1841, p. 54. 8. ... Rieux (...) dit d'une voix ferme (...) qu'il n'y avait pas de honte à préférer le bonheur. − Oui, dit Rambert, mais il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul. Tarrou (...) fit remarquer que si Rambert voulait partager le malheur des hommes, il n'aurait plus jamais de temps pour le bonheur. Il fallait choisir.
Camus, Peste,1947, p. 1387. SYNT. a) Âme, chair, conscience heureuse. b) Couple, enfant(s), époux, imbécile heureux; famille, fille, mère heureuse; heureux mortels. c) S'estimer/paraître/rendre (qqn)/sembler/se sentir/se trouver/vivre heureux; (être) extrêmement/fort/infiniment/parfaitement/particulièrement/pleinement/profondément heureux. ♦ Ombres heureuses ou subst. les heureux. Ceux qui jouissent du paradis. Guerrier généreux, Qui passe de la terre au séjour des heureux (Fontanes,
Œuvres, t. 1, La Grèce sauvée, 1821, p. 326).V. comprendre ex. 11. − Locutions ♦ Avoir tout pour être heureux. En voilà un qui aura tout pour être heureux, s'il sait s'en servir (...) : la banque, les sucreries, un grand journal quotidien, un titre du Saint-Empire, la notoriété mondiale (Druon, Gdes fam., t. 1, 1948, p. 15). − (Être) heureux comme un bâtard/comme un coq en pâte/comme un poisson dans l'eau/comme un roi, etc. Je ris tout bas du bal, des jeux, des amourettes, Moi, je critique, et vous, vous jouissez. Vous êtes Heureux comme un roi, sire, et moi, comme un bossu (Hugo, Roi s'amuse,1832, p. 362). ♦ (Être) heureux dans son/en ménage. Il avait été heureux en ménage, cédant aux exigences de sa femme, répondant : oui, ma vieille, à tout ce qu'elle disait, et, concessions pour concessions, l'autre le dorlotait (Huysmans, Sœurs Vatard,1879, p. 34). ♦ (Être/sembler, etc.) heureux de (+ subst. : bonheur/occasion/succès, etc.);(être) heureux de (+ inf. : apprendre / causer / connaître /échapper / être aimé / montrer / obtenir / offrir / partager / posséder / pouvoir / recevoir / retrouver / revoir /sentir / trouver/vivre, etc.).Une belle jeune fille souriante, heureuse de vivre et laissant le bonheur sortir par tous les pores de son visage (Champfl., Bourgeois Molinch.,1855, p. 42).Elle continuait à rire, heureuse de l'idée qu'elle allait avoir tout à l'heure un nouvel amant, (...) heureuse aussi de savoir qu'il faisait beau (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 127).Le rêveur est heureux d'être triste, content d'être seul et d'attendre (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 133).En partic. [Dans une formule de politesse] Je suis heureux de faire votre connaissance/de vous rencontrer/de vous voir. D'abord, ils se sont dit bonjour, puis : − Je suis bien heureux de vous connaître. − Le plaisir est partagé (Renard, Journal,1894, p. 199). ♦ (Il est) heureux que (+ prop. gén. au subj.).Mon existence actuelle me plaît : heureux que mes goûts se trouvent si bien d'accord avec ma fortune (Lamennais, Lettres Cottu,1834, p. 274). ♦ Rendre un homme heureux [le sujet désigne une femme courtisée]. Lui accorder ses faveurs. − Expr. proverbiales ♦ Vx. Il n'est heureux que celui qui croit l'être. ♦ Les peuples/les gens heureux n'ont pas d'histoire*. ♦ [P. allus. à Florian, Fables, 1792, p. 94 : Il en coûte trop cher pour briller dans le monde. Combien je vais aimer ma retraite profonde! Pour vivre heureux vivons caché] Un inconscient dont la nature profonde, loin de tendre au défoulement, ne demandait qu'à continuer de vivre heureuse et cachée! (Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 27). − [P. ell., exclamativement et gén. en tête de phrase (plus ou moins explicitement p. réf. à Matthieu 5, 3-12 et Luc 6, 20-23, v. bienheureux A)] Heureux (ceux) qui (+ prop.), heureux (+ subst. : les morts, etc.).Heureux (...) les pasteurs insouciants et rudes qui dorment à l'ombre de ces bois silencieux (...)! Heureuses toutes les créatures qui jouissent de la vie sans fatigue et sans excès! (Sand, Lélia,1833, p. 263).Heureux et bienheureux ceux qui reposent dans le cœur de leur Dieu et qui se réchauffent à sa vivante chaleur (Psichari, Voy. centur.,1914, p. 221).V. cabriole ex. 9 et croyant ex. 4. − Emploi subst. Personne heureuse. Le défilé de ces joyeux, de ces vivants, de tous ces heureux de vivre, de tous ces reconnaissants de l'existence, ça vous donne des idées homicides (Goncourt, Journal,1870, p. 556).Quand on est petit, on trouve tout naturel qu'il y ait des heureux et des malheureux, des bien-portants et des malades (...). Mais, en réfléchissant, on est épouvanté de tant de choses qui sont par trop injustes, par trop mauvaises (Martin du G., J. Barois,1913, p. 221). ♦ Faire un/des heureux. Il semble méditer des bienfaits ou compter les heureux qu'il a faits (La Martelière, Robert,1793, V, 6, p. 66). B. − P. méton. 1. [En parlant d'un aspect du comportement] Qui exprime le bonheur (v. ce mot B 1). Sourire, visage heureux; animation, expression, lassitude heureuse. Il avait l'air heureux; son teint était clair, et ses yeux doux et calmes (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 286).Une jeune femme d'une figure heureuse et joviale (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 151).Madame Edmée le remercia, d'une caresse heureuse qui effleura sa nuque (Mille, Barnavaux,1908, p. 241) : 9. Elle était gracieuse et prévenante pour tous. Quand on arrivait chez nous, et qu'on la voyait là, assise à l'ombre de notre véranda, dans une pose heureuse et nonchalante, souriant à tous du sourire mystique des Maoris, on eût dit que notre case et nos grands arbres abritaient tout un poème de bonheur paisible et inaltérable.
Loti, Mariage,1882, p. 179. 2. [En parlant d'une chose gén. abstr.] Qui donne, favorise le bonheur; qui a le caractère du bonheur (v. ce mot B 1). Couler des jours heureux. Sa vieillesse était même plus heureuse que sa jeunesse. « Dans la jeunesse, tout paraît grave, sans remèdes; dans la vieillesse, on sait que tout s'arrange, plus ou moins mal. » (Maurois, Disraëli,1927, p. 325).Promenade exceptionnellement heureuse et belle. (...) jardins dont le tracé et les couleurs nous enchantent (Green, Journal,1949, p. 275).V. cicatriser ex. 6 : 10. ... il [l'esprit] n'imagine cet état heureux et parfait qu'en attribuant à ce qui est privé de mouvement, à ce qu'il formule éternellement semblable à soi-même, les propriétés et les passions de ce qui est en mouvement incessant sous l'aiguillon d'un désir inassouvi et qui ne se peut procurer de la joie que par l'intermédiaire de la douleur et de la privation.
Gaultier, Bovarysme,1902, p. 247. SYNT. a) Amour, mariage, songes, souvenirs heureux; condition, impressions, liberté, paix, position, union heureuse(s). b) Âge, jour(s), moments, temps heureux; années, enfance, époque, existence, heure(s), jeunesse, journée(s), minutes, nuit(s), soirées, vie heureuse(s). ♦ Heureux événement (v. ce mot ex. 6). − Emploi subst. masc. sing. inv. Ce qui est heureux. L'heureux et le mauvais, l'agréable et l'amer concouraient à me déterminer (Arnoux, Zulma,1960, p. 50). C. − P. anal. [En parlant d'un animal, d'un végétal, d'une chose concr.] Qui semble éprouver, manifester du bonheur. Campagne, île heureuse. À moins qu'après avoir chassé les gros bestiaux, ce qu'ils ont laissé ne soit abandonné aux moutons. Heureux et contens, ceux-ci y passent des heures entières (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 255).Heureuse et sereine région qui gardait la paix par-dessus l'orage (Michelet, Oiseau,1856, p. 48).La lune heureuse (...) couleur de ruche, avec les yeux calmes et dilatés dans sa face très ample (Rodenbach, Règne silence,1891, p. 153) : 11. Autour, le midi splendide (...). Les choses étaient pâmées de bonheur (...) et si loin que le regard pût aller, toujours (...) les mêmes frondaisons heureuses...
Estaunié, Simple,1891, p. 198. Prononc. et Orth. : [øʀø], fém. [-ø:z] ou [œ-]. Dub. uniquement : [ø-]; Warn. 1968 et Passy 1914 : [ø-] ou [œ-]. V. heureusement. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Fin xiies. euros « qui bénéficie d'un destin favorable, de la chance » (Partonopeu de Blois, éd. J. Gildea, 2334, var. mss AGLPTV); b) xiiies. « avantageux, bon, favorable » choses aurouses (Gaut. [Gossouin] de Mes, Ym. du monde, B.N. 1669, fo75 rods Gdf. Compl.); c) 1674 « réussi, beau, juste, bon » (Boileau, Art poétique, I, 109, éd. Ch. H. Boudhors, p. 84); 2. a) début xiiies. « qui connaît le bonheur » (P. de Corbie, Pensis com fins amourous, éd. K. Bartsch, Romances et Pastourelles, III, 33, 12); b) 1538 « marqué par le bonheur, où il y a du bonheur » heureuse vye (Marot, Epigrammes, éd. C. A. Mayer, CLV, 2); 3. 1654 emploi subst. (G. de Balzac, De la cour, 2edisc. ds Littré). Dér. de heur*; suff. -eux*. Fréq. abs. littér. : 22 084. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 40 858, b) 32 595; xxes. : a) 29 812, b) 23 743. |